Fil d'Ariane
À gauche la journaliste Nazila Maroufian, 23 ans, qui vient d'être libérée de prison, à droite ses consoeurs Niloufar Hamedi et de Elaheh Mohammadi, toutes deux sont toujours emprisonnées en Iran.
Engagées en mémoire de Mahsa Amini et au nom de la liberté d'expression, de nombreuses journalistes iraniennes sont ou ont été systématiquement la cible des autorités. Harcelées, persécutées, interpellées, jetées en prison, parfois même agressées sexuellement... Leur sort inquiète les groupes de défense des droits humains.
Il y a un an, le nom de Mahsa Amini devenait tristement célèbre à travers le monde entier. Le 16 septembre 2023, la jeune kurde iranienne décédait après son arrestation par la police des moeurs pour non-respect des strictes obligations vestimentaires islamiques.
Cette tragédie a entraîné des mois de manifestations, réprimées dans le sang et les arrestations, mais le soulèvement "Femme, vie, liberté" s'est poursuivi sous différentes formes et apparaît comme l'un des plus grands défis lancés aux autorités iraniennes depuis la révolution de 1979.
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Les journalistes ayant dévoilé l'affaire et enquêté sur ses circonstances ont été particulièrement visés par la répression. Selon l'organisation Reporters sans Frontières (RSF) basée à Paris, qui dénonce une "répression terrifiante", 79 journalistes ont été arrêtés en un an, et douze d'entre eux sont toujours derrière les barreaux. Dont plusieurs femmes.
Moins d'une semaine après la mort de Mahsa Amini, une journaliste de 29 ans du quotidien Shargh, Niloufar Hamedi, a été arrêtée. Elle s'était rendue à l'hôpital où est décédée Mahsa et avait posté sur les réseaux sociaux une photo de la famille en deuil.
Une de ses consoeurs, Elahe Mohammadi, 36 ans, du quotidien Ham Mihan, qui s'était rendue dans la ville natale d'Amini, à Saqqez (ouest) pour couvrir ses funérailles, a été arrêtée le 29 septembre 2022. Depuis, elle est toujours derrière les barreaux de la prison d’Evin à Téhéran. Accusée notamment de “complot” et “collusion”, elle attend le verdict d’un procès qui s’est ouvert le 30 mai 2023.
Les deux journalistes sont détenues depuis lors, et sont actuellement jugées pour violation de la sécurité nationale, des charges qu'elles rejettent catégoriquement. Ensemble, elles ont été nommées parmi les femmes les plus influentes de 2023 par le média britannique Time Magazine, et ont remporté le Prix mondial de la liberté de la presse UNESCO/Guillermo Cano, avec leur consoeur Narges Mohammadi.
"Le courage et l'engagement de Niloufar Hamedi doivent être récompensés, et non punis. Son emprisonnement pendant près d'un an illustre la terrible répression mise en oeuvre par la République islamique d'Iran à l'égard des journalistes, et son rejet de la liberté de la presse et de toute information fiable", estime Jonathan Dagher, le responsable Moyen-Orient de RSF. Niloofar risque une lourde condamnation qui, selon les précédents, pourrait atteindre la peine de mort, lit-on sur le site de l'organisation de défense de la liberté de la presse. "Pourtant, son mari et fidèle défenseur, le journaliste Mohammad Hossein Ajorlou, parle souvent sur son compte X de la détermination et de la bonne humeur à toutes épreuves de sa femme," précise l'article de RSF.
Le gouvernement iranien est déterminé à réduire au silence ces deux soeurs journalistes et les femmes dont elles portent la voix. Jonathan Dagher, de RSF
Une répression encore illustrée par l'arrestation début septembre de la soeur jumelle de Elahe Mohammadi, Elnaz. Egalement journaliste, la jeune femme a été condamnée à trois ans de prison, dont une grande partie avec sursis, pour complot. Elle et sa co-accusée Negin Bagheri devront purger moins d'un mois de détention, selon leur avocat. Mais elles devront suivre une formation "éthique" supervisée par des agents du renseignement iranien et n'ont pas le droit de quitter le pays.
"Le gouvernement iranien est déterminé à réduire au silence ces deux soeurs journalistes et les femmes dont elles portent la voix", accuse le membre de RSF. L'organisation réclame l'arrêt des "sanctions aveugles" contre tous les journalistes du pays.
La Fondation Clooney pour la Justice (CFJ) fondée par l'avocate Amal Clooney et son mari l'acteur George Clooney, a récompensé cette année les deux soeurs avec le prix Justice pour les Femmes. "Leur travail courageux a permis de faire sortir de l'ombre la mort de Mahsa Amini", a déclaré le CFJ.
Quelques semaines après l'arrestation de Niloufar Hamedi et Elahe Mohammadi, la jeune Nazila Maroufian, aujourd'hui âgée de 23 ans, a publié une interview du père de Mahsa, Amjad Amini, sur le site Mostaghel Online. Il y accusait les autorités de mentir sur les circonstances de la mort de sa fille. La famille Amini affirme que Mahsa a subi des coups ayant entraîné la mort, tandis que la version officielle avance un problème cardiaque.
Depuis la publication de cet entretien, Nazila Maroufian a été arrêtée quatre fois. A chacune de ses sorties de prison, elle s'est photographiée sans foulard, un défi au pouvoir religieux dont un des piliers est le port du voile obligatoire pour les femmes. "N'acceptez pas l'esclavage, vous méritez le meilleur !" a-t-elle écrit sur l'un de ses posts la montrant à sa sortie de prison, un bouquet de fleurs dans une main et un bras levé en signe de victoire. De nouveau été incarcérée fin août, la jeune femme a affirmé début septembre avoir été victime d'une agression sexuelle en détention.
Libérée il y a quelques jours, elle n'a cette fois pas posté de photo.
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