Mali : violences faites aux femmes, le meurtre de trop ?

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"Comment peut-on tuer quelqu'un juste par jalousie" se demande Traoré Coumba Bah, cousine de Fanta Sékou Fofana, assassinée...
Reportage K. Magassa, récit JL Eyguesier, Montage K. Schweitzer-Demulder, pour le Journal Afrique - TV5MONDE, 2'15
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Fanta Sékou Fofana était standardiste à la présidence du Mali. Et aussi la la fille d'un conseiller spécial du président de la république du Mali, Ibrahim Boubacar Keita. Marié à un autre employé de la présidence. Qui l'a tuée dans une crise de jalousie. Autant de faits qui ont médiatisé ce crime et ont poussé des Maliennes à se rassembler à Bamako contre les violences faites aux femmes.
Si ce crime n'avait pas été commis entre les murs aussi prestigieux de la présidence du Mali aurait-il été autant médiatisé ? Unité de lieu, le siège de la présidence du Mali ; de temps, l'une des dernières journées de décembre 2017 ; de personnes, des employés à des fonctions plus ou moins importantes au service de la plus haute fonction de l'Etat ; d'action, un assassinat. Au début cela ressemble à un polar, mais ce n'est pas une fiction : dans la nuit du 28 au 29 décembre 2017, un homme assassine Fanta Sékou Fofana, une jeune femme de 27 ans, sa fiancée, sa conjointe, enceinte peut-être, le flou opacifie les circonstances de ce féminicide.

Les violences faites aux femmes, un fléau au Mali, comme ailleurs

Mais ce meurtre perpétré dans un lieu aussi prestigieux que la présidence du Mali a fait l'effet d'un mini électrochoc, et les rassemblements contre les violences faites aux Maliennes se succèdent. Une première action a réuni 150 personnes autour du collectif des Amazones pour réclamer des mesures en faveur de la protection des femmes, le mardi 2 janvier 2018, à la "Pyramide du souvenir" de Bamako (un centre d’études, de recherche et d’animation sur la démocratie et les droits humains) pour dénoncer les violences conjugales. Des membres de la famille de Fanta Sékou Fofana, standardiste de la présidence, assassinée par son conjoint dans la nuit du jeudi 28 au vendredi 29 décembre 2017, étaient présents pour afficher leur soutien à cette cause. Une nouvelle manifestation est prévue ce samedi 6 janvier, toujours dans la capitale, devant l'Assemblée nationale, pour ne pas laisser retomber la mobilisation. Le but est d'obtenir qu'une loi "ad hoc" prévienne ces crimes, au delà des événements culturels ou politiques organisés régulièrement pour mettre le sujet sur la place publique, tels ces 16 jours d’activisme en "orange" oragnisés une fois encore du 25 novembre au 10 décembre 2017.

Le Mali est un pays en proie à des conflits internes très violents, en particulier dans les régions du Nord, où les statistiques sont complexes à établir et semblent ne pas refléter l'ampleur des "violences basées sur le genre". Et sont difficiles à trouver : selon ONU Femmes Afrique, en 2015, "le Mali a enregistré 1468 cas déclarés. Des violences physiques, au déni de ressources, jusqu’aux violences psychologiques, les femmes maliennes font face à plus de 20 types de violences régulières". 

Ces crimes devraient susciter l’indignation générale, pousser à la réflexion publique sociétale et politique mais il n’en est rien
Aminata Coulibaly, militante féministe

Plusieurs études indiquent qu’en Afrique, les rapports femmes-hommes et l’organisation familiale sont structurés autour de la réputation et la respectabilité qui régissent les identités de genre et se perpétuent à travers l’éducation et la socialisation. Salif Zonou, coordinateur général de l'ONG « Femmes battues »
du Mali, souligne « que le modèle anthropologique universel des violences servant à établir la domination masculine part en principe d’une collusion erronée entre différence et hiérarchie, la différence des sexes (base de l’altérité) n’impliquant pas une hiérarchie entre eux ». Et poursuit l’anthropologue, « nous ne vivons pas la guerre des sexes mais le fait que les deux sexes sont victimes d’un système de représentations vieux de plusieurs millénaires ».

Aminata Coulibaly, autrefois militante dans les deux principales structures de défenses des femmes de la CAFO (Coordination des Associations et ONG féminines du Mali ) note ceci « Le militantisme actuel a perdu de sa juste valeur. Par peur de paraître trop progressiste et de se mettre les élites religieuse, sociétale et même politique à dos, les membres de la CAFO et de l’APDF (Association pour le Développement des Droits de la Femme) se murent dans le silence et mènent des actions que pour illustrer leur présence démagogique dans les sphères associatives. A en croire, comme le pensent certaines que tout est au profit du lucre car finalement c’est ce qui se produit sous nos yeux. Ces crimes devraient susciter l’indignation générale, pousser à la réflexion publique sociétale et politique mais il n’en est rien car les associations de défenses des droits des femmes mènent des actions passives et se contentent d’encaisser les chèques de l’état, les subventions des organismes internationaux ».

C’est toute la société malienne qui est accablante.

La féministe Gnanmankolo Sibi (qui préfère s'exprimer sous pseudonyme), virulente, exprime sa colère auprès de Terriennes : « C’est toute la société malienne qui est accablante. Tout est à reconstruire. A commencer par ce qu’on dit dans les écoles. Tuer une femme n’est pas si grave, elle n’a pas la même valeur qu’un homme. Ne parlons pas d’égalité des droits. Les femmes elles-mêmes ne parlent que de genre, de leurs droits. La plupart ne pensent qu’à la prochaine tenue à porter pour se faire admirer à un mariage, aux photos à prendre pendant les réunions, les conférences. Le paraître. Elles se transforment en objets de déco. Le spectacle est tel qu’on en demeure sidéré-e ; la preuve avec les présentatrices du JT ORTM (Office de Radiodiffusion Télévision du Mali, ndlr), leur tenue est plus importante que les infos. La société patriarcale, s’illustre comme à l’accoutumée au premier rang. Tu discutes avec des hommes, ils ne parlent le plus souvent que de filles, quel que soit leur âge. Et quand on leur demande : mais ça ne vous dérange pas de coucher avec des petites filles ? On me répond : est-ce que c’est un défaut ? Dans le meurtre à la présidence la fille était fiancée, elle allait se marier pour être en deuxième position. Pourquoi les Filles acceptent ça ? Elles ont si peu d’estime pour elles-mêmes ? Pour qu’on arrête de tuer les femmes par jalousie, vengeance, il faudrait commencer par éduquer les garçons et les filles de la même façon et leur donner les mêmes droits. Ce qui est loin d’être le cas. Les femmes ne demandent pas aux hommes de se voiler que je sache. Pourquoi ce serait différent ? Pourquoi les femmes sont d’un côté et les hommes de l’autre lorsqu’on célèbre un événement familial ? Ce que disent les unes n’intéressent pas les autres ? Les femmes seront toujours considérées comme inférieures ici, quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise, c’est ancré profond. Commençons par analyser les feuilletons qui passent à la télé. On n’arrive même pas au quota de 30 % de femmes imposé par la loi. ».

Pressions politiques, culturelles, religieuses

Dans un rapport daté de 2005, la Fédération Internationale des ligues des droits de l’homme (Fidh), reconnaît que « la société malienne tolère les violences conjugales ». Le document de l’organisation internationale de défense de droits humains fait écho des pressions sociétales, religieuses et politiques que subissent ces femmes lorsqu’elles dénoncent de telles violences. Dans ces conditions, l’obtention d’éventuels témoignages s’avèrent difficile. Rokiatou Konaté, une ancienne proche de l’APDF explique ceci « J’ai emmené une fille au foyer de l’APDF à l’ACI (siège de l'association Femmes battues à Bamako, ndlr) parce que son mari la battait au fouet, elle était blessée tout près de l’œil. Mariée sous contrainte très jeune, 15 ans, à un cousin lointain, plus du double de son âge, classique. Je la croyais en sécurité. Mais non. L’APDF a appelé la maman qui a appelé le mari. Ils sont venus tous les deux récupérer la fille. Et le pire, c’est que l’APDF l’a laissé partir alors qu’on avait parlé ensemble d’une formation pour elle, Il faut avoir les nerfs solides. Depuis, je n’écoute plus les plaintes. Du n’importe quoi. A chaque fois qu’il se passe un événement anormal, tel la mort de cette fille à la présidence, les cours devraient s’arrêter dans tous les établissements et on devrait lancer la discussion, il faut que les gens s’expriment, il faut que les gars écoutent les filles, vice et versa ».

Selon le nouveau Code civil et pénal, « la femme doit obéissance à son mari » et l'homme est consacré comme unique chef de famille (« puissance paternelle »). L'âge légal du mariage est de 18 ans pour l'homme et de 16 ans pour la femme. Par ailleurs, dans certains cas, le mariage peut être autorisé à partir de 15 ans et les revendications du Haut Conseil islamique de reconnaitre le mariage religieux ont de surcroit été prises en compte.

Dans un autre rapport paru en 2017, la FIDH note encore ceci « Le nouveau code viole gravement les obligations internationales du Mali, consacrées par la Convention des Nations-unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), ratifiée en 1985, et le Protocole à la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples relatif aux droits des femmes, ratifié en 2005. Quelques mois après, à la veille des élections présidentielles, il semble que rien ne s’y fait et la question des droits de la femme reste d’une docilité affligeante aux consignes du pouvoir. »