Mama Merkel et les réfugiés : et si la chancelière n'avait pas été une femme ?

Des photos d'Angela Merkel brandies par les migrant franchissant les frontières allemandes... Pour les réfugiés, elle est devenue "Mama Merkel", un surnom  également repris largement par la presse. Et si la chancelière avait été un chancelier ? Cela aurait-il changé la politique si généreuse de Berlin et le regard que l'on porte sur elle ?
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Mama Merkel
Un réfugié tient à la main le portrait d'Angela Merkel en descendant du train à la gare de Munich, le samedi 5 septembre 2015.
AP Photo/Michael Probst
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Finies les insultes germanophobes du genre "sale chienne de Berlin" ou "Merkel toi même !" proférées à longueur de crise grecque à la chancelière. Aux poubelles, les caricatures de la cheffe du gouvernement allemand en disciple de Hitler ou en vampire. Bienvenue à Mutti (maman en allemand), à Mama Merkel que nous voulons désormais présidente du monde, émerveillées que nous sommes par ces milliers de citoyens qui accueillent, outre-Rhin, les naufragés de la vie avec ces "wilkommen !" de bienvenue.

Et si ce raz de marée d'amour si soudain et sympathique n'était pas aussi insignifiant et bon enfant qu'il y paraît. Salue-t-on "papa" Obama quand il exige des mesures drastiques pour l'avenir de la planète et donc pour garantir ainsi le futur de nos enfants ? Crie-t-on "thank you dad Cameron" si le chômage baisse au Royaume Uni.

Mama Merkel Mère Théresa Der Speigel
"Mutter Angela" titre Der Spiegel, parodiant le l'image de Mère Térésa
Der Spiegel

"Mama Merkel"

Souvent lorsqu'un un "grand homme" est vénéré, on le qualifie d'un respectueux "père", pas d'un mignon papa. Il n'y eut guère que les Français pour appeler, de façon erronée, les tsars puis Staline de "petits pères des peuples", de quasi papas donc. Et Tino Rossi pour chanter une ode à "petit papa Noël".

Nous t'aimons !

Sur la toile,  fusent les #MamaMerkel et autres #Merkel_TheEthiopian, et les cris d'amour, telle cette image qui circule sur les réseaux sociaux, avec un "nous t'aimons" lancé en arabe à la face du monde en général et à celle du président syrien Bachar el Assad en particulier.

"Nous t'aimons Angela"
"Nous t'aimons !", crié à Angela Merkel en allemand et en arabe sur les réseaux sociaux...
capture Facebook
Ou cet autre internaute qui remarque sur son compte twitter "ce moment où les Syriens respectent plus la chancelière allemande que le président de leur propre pays."
 
Et que dire de ce poème repéré par le journal Bild (très lu en Allemagne, aux méthodes souvent contestées) et qui a pris la tête de la bataille pour l'ouverture du pays aux réfugiés ? Des vers que l'on pourrait ainsi traduire : "Ton amour me sert de carte, ton amour me sert de carte, la carte du 'tracteur' n'a plus de sens pour moi."
 
poème à Merkel
Facebook

Alors dans cette soudaine "merkelomania", habillée des atours d'une mama italienne ne sonnerait-il pas comme un tintement de gentil mépris ?
Ce culte de la personnalité tourne parfois au vinaigre avec des montages d'une chancelière enceinte ou parturiente accouchant de dizaines de milliers de petits réfugiés. Quand il n'est pas fait allusion à une sainte. Eternelle dichotomie, la maman ou la vierge.
Dans un message peu élégant, un internaute danois qui semble peu apprécier la politique allemande en matière de droit d'asile, compare ironiquement la chancelière à Mère Teresa sous un montage inspiré par le film La Chute sur les derniers jours de Hitler. Le retour de bâton pointe son nez...

Et voici que la presse marche dans les traces de la ferveur populaire. Le Guardian titrait le 1er septembre 2015  après l'appel d'Angela Merkel aux Européens à accueillir les réfugiés : "Mama Merkel, la mère compassionnelle  des réfugiés syriens". Tandis que Libération du même jour raconte le voyage des migrants : "De Budapest à Vienne, 3 650 exilés dans les trains à destination de «Mama Merkel»" Sans oublier Newsweek : "Angela Merkel, conscience européenne de la crise des réfugiés", jusqu'au South China Morning Post de Hong Kong : "Mama Merkel émerge en sauveur inattendu à la crise des réfugiés".
 


Le quotidien britannique proche des Travaillistes s'extasie : "Angela Merkel est âgée de 7 mois et vit actuellement dans un camp de réfugiés à Hanovre (nord de l'Allemagne, ndlr), parmi environ 700 autres migrants venus de 33 pays. Sa mère, Ophelya Adé, une ghanéenne de 26 ans, est arrivée en Allemagne cette année, après avoir traversé la mer Méditerranée, alors qu'elle était enceinte de plusieurs mois. Dans un entretien au magazine Der Spiegel, elle explique pourquoi elle a appelé sa fille du nom complet de la chancelière : 'J'étais si reconnaissante, tellement soulagée qu'Angela Merkel nous accepte, si impressionnée par ce que cette femme avait réalisé ici !' "

Tandis que Monzer, un Syrien arrivé cette semaine en Allemagne, a dit au Guardian : "Merkel est une femme respectable, avec des valeurs humaines, elle est très attentionnée. Elle est une mère pour les Syriens".

De toutes ces lignes sort une constante : la compassion, le "care", cette fonction de soignante, propre aux femmes. Personne ne relève l'identité chrétienne ou le libéralisme de Madame Merkel. Est-ce la féminité, la foi, le "capitalisme chrétien" autrement appelé l'ordolibéralisme, ou autre chose encore, qui pousse la chancelière à intervenir dans cette crise humaine ? Nous avons posé la question à Dorothea Hahn, correspondante de la Tageszeitung (quotidien  marqué à gauche) à Washington, qui fut auparavant en poste à Paris. Un regard proche et lointain.

Le regard de la journaliste Dorothea Hahn

Angela Merkel est surtout une femme politique qui sait résumer les sentiments des Allemands

Dorothea Hahn du Tageszeitung 2
Dorothea Hahn, correspondante du Tageszeitung à Washington
DR

Dorothea Hahn : "Je ne pense pas que ce soit un hasard que les deux pays européens qui avaient une frontière avec la Pacte de Varsovie et qui formaient le "front" entre Ouest et Est pendant les décennies de la guerre froide, sont les plus accueillants pour l'instant.
Il y a quand même le souvenir relativement récent de la division, et des vagues de réfugiés des années 50 (la crise Hongroise) et des anneés 80 (la crise de l'Ex-RDA).

Il y a ensuite le désir pour dorénavant plusieurs générations d'Allemands d'apprendre les leçons du passé.

Puis en Allemagne il y a l'expérience actuelle d'une extreme droite violemment xénophobe dans dans les rues. Ce n'est certes qu'une petite minorité, mais ses propos font peur. Ces derniers mois il y a eu plein de manifestations anti-nazies, et des gens qui se sont organisé pour ne pas céder leur espace public aux néonazis.
Je dirais que les activités d'extrême droite ont poussé l'autre Allemagne à se montrer fortement. Fort heureusement cette autre Allemagne - généreuse et accueillante - est plus forte ces jours.

Je pense que l'accueil positif des réfugiés vient de la société allemande. De la société civile, pas des leaders politiques ou des partis. Ca monte du bas vers le haut. Merkel - elle - a eu la sensibilité politique d'y réagir. Mais ce n'est pas elle qui a conduit l'Allemagne à cet accueil.

Il y a des réseaux de gens en Allemagne qui s'organisent et qui ne dorment presque plus parce qu'ils donnent de leur temps pour faire le boulot (d'accueil, scolarisation, traitement médical, logement), autant de choses que l'Etat ne fait pas. A Berlin, à Hambourg et dans plein de petites villes c'est fort. En le voyant de loin, je suis d'ailleurs assez fière de mes compatriotes. Ce sont ces gens qui ont poussé Merkel à ré-ouvrir les frontières.

Quand à Merkel - elle est certes de l'Est et protestante - mais elle est surtout une femme politique qui sait résumer les sentiments des Allemands. Ce n'est pas pour rien qu'elle est au pouvoir depuis 10 ans.
"

Merkel Mama par Dilem
La chancelière vue par Dilem pour TV5MONDE
TV5MONDE/DILEM