Marche des salopes en Colombie : « Je suis librement pute »
Le 6 avril 2013 se tiendra la deuxième Marche des salopes dans la capitale colombienne, Bogota, et dans de nombreuses villes du pays sous la houlette de Mar Candela, féministe depuis le berceau.
“Je manifeste car pute ou pas pute, j'ai le droit de me sentir en sécurité quand je marche dans la rue.“
La tragédie est à l’origine de la marche des salopes en Colombie. La féministe et organisatrice, Mar Candela, improvisait chez elle un centre d’écoute, il y a trois ans. Répondant à des appels de femmes en détresse jour et nuit, elle souhaitait surtout soutenir les prostituées et les informer de leurs droits. Dans ce pays, troisième destination de tourisme sexuel en Amérique latine, la prostitution n’est pas un délit s’il s’agit d’une activité pour subvenir à ses besoins.
La Constitution précise tout de même que c’est « immoral ». Le proxénétisme, lui, est puni par la loi. Malgré un cadre juridique qui leur est a priori favorable, les professionnelles du sexe sont souvent démunies. Le Congrès n’ose pas encore réguler cette activité sous la pression des conservateurs et l’Eglise catholique.
Dans ce cadre, Mar s’était liée d’amitié avec une femme qui échangeait ses prestations sexuelles contre de la drogue. Son estime d’elle par terre, elle était fréquemment violée par son maquereau et autres hommes. Après un effort surhumain de persuasion, la militante a réussi à convaincre la jeune femme de porter plainte. « Elle me disait qu’elle méritait tout ce qui lui arrivait. Et qu’elle avait perdu tous ses droits. » Peu après cet épisode, Mar Candela a reçu un appel désespéré : « Ils vont me tuer ». La jeune femme a été assassinée, Mar l’a appris dans la presse. S’en est suivie une dépression de trois mois.
Mar Candela, féministe colombienne.
La force de frappe du net
Pour se sortir du gouffre dans lequel ce crime l’a plongée, Mar Candela se met à chercher furieusement une façon d’alerter la Colombie de la violence faite aux femmes. La magie d’Internet – arme de prédilection de Mar Candela - la conduit jusqu’à la boîte mail de l’organisatrice de la Marche des salopes au Mexique, elle-même inspirée du mouvement né au Canada. La Mexicaine n’a qu’un conseil à lui donner : « Fonce ! ». C’est ainsi que la marche des salopes est née en Colombie.
Le 25 février 2012 des centaines de « salopes » marchent dans les rues colombiennes (environ 800 à Bogota et 5000 dans tout le pays). « Rien ne justifie les agressions et encore moins la façon de nous habiller. » Tel est le mot d’ordre de la manifestation.
Ce happening fait beaucoup de bruit et Mar devient la cible de nombreuses critiques… des féministes. « On me disait que je n’étais pas assez connue dans le milieu, que je n’avais pas assez de culture féministe. J’ai tenu bon. Même si le premier rassemblement s’est fait de façon un peu artisanale, les Colombiennes ont été au rendez-vous. »
« Pute » ou pas...
Elle s’engouffre dans l’éternel débat « pute » ou pas « pute ». Ce mot fait froncer les sourcils de ceux qui estiment que ce n’est pas le mot approprié pour revendiquer le droit des femmes. « Une femme ne doit pas être jugée par ce qu’elle est ou par ce qu’elle porte. Nous avons oublié que pute, en espagnol, est la contraction du mot "prostituta". Ce n’est que ça, pas une insulte. Il ne faut pas faire la confusion entre une femme qui dispose librement de son corps et une autre qui s’en sert pour gagner de l’argent. Et s’il y a une différence fondamentale, les deux ont les mêmes droits et doivent être tout aussi respectées. C’est ce que nous revendiquons », explique-t-elle.
Et de poursuivre : « s’il faut se battre très peu vêtues de façon spectaculaire avec des formules choc, ainsi soit-il. En Colombie, toutes les femmes sont des putes jusqu’à preuve du contraire, notamment, aux yeux des autres femmes. Et si pour certains, une femme libre est une pute. Alors je manifeste parce que je suis librement pute. »
La première édition de la Marche des salopes en Colombie.
La deuxième Marche des salopes colombienne aura lieu le 6 avril. Cette fois-ci, Mar Candela a une petite armée derrière elle, l’attention des caméras et une certaine reconnaissance dans le milieu féministe. Elle entend doubler le nombre de participantes et ainsi peser sur la législation en faveur du droit des Colombiennes dans un pays où « les femmes sont les cibles privilégiées des conflits armés », selon l'ONG Amnesty International.
Pour Mar Candela, ces coups d’éclats sont nécessaires pour que journaux et pouvoirs publics se penchent sur la question. Son fer de lance n’est pourtant pas la provocation. Cette militante est une femme de terrain. Elle intervient dans d’ateliers divers d’information ; et participe à une émission très avant-gardiste pour le paf colombien, animée par une sexologue revendiquant le plaisir des femmes. Elle tient toujours son centre d’appel.
Un parcours de combattante
Mar Candela a quitté son foyer à 15 ans, sans un sou dans les poches. Instaurées par son père, les inégalités entre elle et son frère l’insupportaient. De l’alphabétisation à la défense des droits des indigènes, la jeune femme s’est très vite engagée dans de nombreuses associations d’aide aux Colombiennes. « Mais je ne me définissais pas comme une féministe, avoue-t-elle, je pense que je trouvais le terme ringard. Pour moi, les féministes étaient de simples démagogues. C’était de la pure ignorance. Avec le recul, il fallait être féministe pour emprunter la voie que j’ai prise. Il m’a fallu quinze ans pour comprendre que je le suis de naissance. » Quinze ans et l’école de la vie. A 32 ans et une petite fille sous le bras, Mar Candela est en train de finir le lycée.
Pendant longtemps, elle s’est passée de la théorie ce qui lui a permis de se forger ses propres préceptes : « La femme doit être libérée de toute oppression. Le but n’est pas de maîtriser l’homme mais soit même. Le seul objectif est celui de construire des sociétés où hommes et femmes vivent dans l’égalité de droits. »