La troisième "Marche des Femmes" a rassemblé des dizaines de milliers de personnes samedi 19 janvier 2019, dans plusieurs grandes villes à travers le monde et surtout aux Etats-Unis, où est né ce mouvement. A New York, bonnet rose bien vissé sur la tête, les manifestant.e.s ont scandé les mêmes slogans anti-Trump, mais sur fond de divisions internes. Reportage.
Par un froid glacial, des dizaines de milliers de personnes, sourires aux lèvres et pancartes à la main, se sont rassemblées, samedi 19 janvier à New York, pour la "Marche des femmes". “Nous ne nous tairons pas”, “le pouvoir aux femmes”, “laissez nos utérus tranquilles”. Lors de la troisième édition de ce rassemblement, l’une de celles organisées à travers les Etats-Unis, les slogans féministes et farouchement anti-Trump foisonnent.
Nous sommes là pour protester contre l’inégalité entre hommes et femmes mais aussi pour célébrer des victoires.
Katherine Siemionko, Pdte New York Alliance
“Cette année, c’est particulier. Nous sommes là pour protester contre l’inégalité entre hommes et femmes mais aussi pour célébrer des victoires”, commente Katherine Siemionko, fondatrice et présidente de New York Alliance, en référence à l’arrivée en force d’élues femmes au Congrès le 3 janvier dernier. (Lire notre article >Elections de Midterms aux Etats-Unis : les femmes font la différence)
Divisions sur fond d'accusations d'antisémitisme
Mais cette troisième journée de mobilisation en deux ans était surtout particulière pour une autre raison : l’organisation Women’s March a récemment connu une scission après que des dirigeantes ont été accusées d’antisémitisme - accusations qu’elles rejettent. L’une d’entre elles, Tamika Mallory, a attisé la polémique en participant à un meeting de Louis Farrakhan, leader de l’organisation Nation of Islam aux propos notoirement antisémites. En réaction, plusieurs femmes ont quitté le mouvement. Samedi, deux événements distincts ont eu lieu à New York : une manifestation était organisée par Women’s March Alliance à Colombus Circle, aux abords de Central Park, et un rassemblement de l’organisation nationale de Women’s March s’est tenu, lui, à Foley Square, dans le sud de Manhattan.
La Marche des femmes est divisée, c’est très dommage. J’ai l’impression qu’on est à peine un quart de ce qu’on était l’année dernière.
Maury Silver, manifestant
Dans les rangs des manifestant.e.s, des deux côtés, nombreux.ses déplorent cette polémique qui vient perturber l’unité du mouvement.
“J’ai longuement hésité pour savoir à quelle manifestation aller, confie Carol Bohan, 60 ans.
J’ai finalement décidé de suivre Planned Parenthood (le planning familial américain, NDLR)
qui soutient la marche à Columbus Circle.” “La Marche des femmes est divisée, c’est très dommage. J’ai l’impression qu’on est à peine un quart de ce qu’on était l’année dernière ”, remarque Maury Silver, 74 ans, manifestant de la première heure et professeur en psychologie sociale à la retraite coiffé du fameux bonnet rose emblématique de la mobilisation.
Selon la police, quelque 40.000 personnes ont manifesté à Columbus Circle - les organisateur.trice.s en comptent eux au moins 50.000. En 2008, les cortèges avaient réuni plus de 200.000 personnes rien qu’à New York.
"Je marche pour mes amies et les femmes à travers le monde. Certaines choses qu'elles vivent sont terribles", confie Sam Raffalli, lycéen.
Cette division affecte le mouvement, comme le reconnait elle-même Katherine Siemionko. Une mauvaise nouvelle car les batailles à mener sont encore nombreuses :
“Les hommes et les femmes n’ont toujours pas les mêmes droits, les salaires ne sont pas équitables, nous manquons de droits en matière de reproduction et il est toujours très difficile pour une femme d’accéder à des postes de pouvoir. Nous sommes encore très, très loin du compte.”
Comme pour donner du grain à moudre aux activistes, la veille de la manifestation, la Maison Blanche a publié un communiqué à l’occasion de l’anniversaire de “Roe vs Wade”, la loi de 1973 ayant conduit à la légalisation de l’avortement. Elle y déplorait la perte de “toutes ces vies fauchées”.
Loin des stratégies politiques, Rachel, Lily et Grace, trois amies de 17 ans venues exprès du Connecticut, parlent, quant à elles, de leur besoin de sécurité.
“Au cours de l’année dernière, trois de mes amies ont été violées et aucune n’a porté plainte par peur d’être traitées de salope”, raconte Rachel. L’adolescente dresse un parallèle entre la réaction de ses amies et l’audition très médiatisée du juge Brett Kavanaugh, nommé à la Cour suprême début octobre en dépit d’accusations d’agression sexuelle étayées durant l’audition par une femme.
“Je ne veux pas vivre dans un monde comme ça.”
Au-delà des revendications féministes, c’est un ras-le-bol contre la présidence Trump qui s’est déversé dans les rues. “Shutdown” du gouvernement interminable, tensions à la frontière avec le Mexique, inaction face au changement climatique : les griefs des manifestants contre le pouvoir sont nombreux. Certain.e.s ont d'ailleurs agité des pancartes en forme de bottes pour mettre Trump hors de la Maison blanche à coup de “coups de pied au cul”.
À Foley Square, une foule davantage hétérogène, et peu dense, s’est rassemblée autour d’une estrade sur laquelle ont défilé des intervenantes aux discours inspirés, dont l’activiste féministe Gloria Stein et Alexandria Ocasio Cortez, la nouvelle élue démocrate du Congrès qui fait figure de star de la politique. Ici, les “femmes de couleur”, les immigrées et celles issues de la communauté LGBTQ sont mises au centre.
“Ces femmes ont trop longtemps été mises à l’écart des cercles féministes et ne sont que très rarement entendues, estime Brittany Pavon, 31 ans, venue avec des amies.
C’est une bonne initiative de les mettre en avant.”
Rassemblées derrière des barrières, bravant le froid glacial qui règne dans la rue, des jeunes filles noires captivées écoutent et enregistrent sur leur téléphone portable les discours de femmes à la tribune les incitant à “occuper l’espace”.
Il est temps qu’on fasse confiance aux femmes noires, qu’on nous écoute et qu’on nous respecte.
Zakiyah Ansari, membre du comité Women's March NYC
“Il est temps qu’on fasse confiance aux femmes noires, qu’on nous écoute et qu’on nous respecte”, dit Zakiyah Ansari, membre de Alliance for Quality Education et membre du comité directeur de Women’s March NYC.
“Historiquement, ce sont les femmes qui ont apporté les vrais changements. Et ça se voit aujourd’hui. Où serions-nous sans les marches pour les femmes ?”