Marguerite Broquedis, première championne olympique française, en BD

Première championne olympique française aux J.O. de 1912, Marguerite Broquedis a ouvert la voie à des millions de femmes sportives à travers le monde. Elle est l'héroïne d'une bande dessinée signée Paul Carcenac et Fabien Ronteix.

 

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Couverture de Marguerite Broquedis – L'histoire de la première championne olympique française, aux Éditions Des Ronds dans l’O, par le journaliste Paul Carcenac et le dessinateur Fabien Ronteix. 

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Suzanne Lenglen, Simonne Mathieu, Nelly Adamson, Françoise Dürr, Mary Pierce… Chacune de ces joueuses françaises ont marqué l’histoire du tennis professionnel, mais leur destin aurait sans doute été différent sans l’audace et la détermination de Marguerite Broquedis, première championne olympique française aux JO de 1912 et militante pour l’inclusion des femmes dans les grandes compétitions sportives nationales et internationales. Sans son audace et sa détermination, Marguerite Broquedis elle-même n'aurait pas connu la même renommée dans ce siècle où les femmes, et à plus forte raison les sportives, avaient moins de droits.

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Pourtant, ni ce traitement différencié en raison de son genre, ni les railleries de l’époque, ni même les règles absurdes auxquelles les athlètes féminines étaient soumises au quotidien dans leur pratique sportive n'entameront la volonté de Marguerite Broquedis à devenir joueuse de tennis professionnelle et à plaider la cause de ses semblables dès qu’elle en a l’occasion. 

C'est la première femme française à devenir une star du sport, c’est-à-dire connue et reconnue pour sa pratique sportive dans le monde médiatique de l’époque. Paul Carcenac

Montrer cet aspect de la personnalité de Marguerite Broquedis était très important pour le journaliste Paul Carcenac, coauteur de Marguerite Broquedis, l'histoire de la première championne olympique française, une bande dessinée publiée en collaboration avec le dessinateur Fabien Ronteix aux Éditions Des Ronds dans l’O. Dans ce portrait inspirant, les deux auteurs retracent le parcours de Marguerite Broquedis avant et après sa participation aux Jeux olympiques de 1912, à Stockholm, où elle décrochera notamment une médaille d’or. 

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Entretien avec Paul Carcenac et Fabien Ronteix.

Terriennes : Comment est né ce projet de bande dessinée biographique consacré à Marguerite Broquedis ? 

Paul Carcenac : J’avais publié une première bande dessinée en 2022 qui s'appelait L'or d'El Ouafi et qui racontait l’histoire d’un marathonien olympique méconnu. Après cette parution, j’ai eu envie de continuer à explorer l’histoire de personnages injustement méconnus de l'olympisme. J’ai voulu publier cette histoire aussi parce que les Jeux olympiques de Paris 2024 approchaient. C’est en lisant des petites histoires sur les débuts des Jeux olympiques au début du XXe siècle que j'ai découvert un peu par hasard la figure de Marguerite Broquedis. Je l’ai trouvé assez intéressante pour tout ce qu'elle amenée et pour sa participation aux Jeux Olympiques de 1912 à Stockholm, alors que ça ne coulait pas de source à l'époque. C’était intéressant de lui consacrer une bande dessinée pour lui rendre hommage.

Paul Carcenac

Le journaliste paul Carcenac, auteur de la bande dessinée consacrée à Marguerite Broquedis.

DR

Ce récit porte essentiellement sur le parcours de Marguerite Broquedis avant et pendant les Jeux olympiques de 1912. Pourquoi ? 

Paul Carcenac : C’est parce que j’ai trouvé que c’était la période la plus intéressante de sa vie. On ne peut pas tout raconter en BD, il n'y pas la place. Il faut faire des choix puisque c'est très long de réaliser une bande dessinée. Ce n'est pas comme un livre classique. De plus, vu le temps qu’il nous restait avant les Jeux olympiques de Paris, il fallait restreindre le nombre de planches. On s’est donc concentré sur ces deux périodes qui sont les plus intéressantes de son parcours. Après la Première Guerre mondiale, elle a été moins sur le devant de la scène contrairement à Suzanne Lenglen qui avait pris toute la lumière. C’est ce qui explique ce choix. 

Ce qu’elle a accompli était incroyable, c’était une grande avancée, qui a potentiellement ouvert la voie à Suzanne Lenglen, qui elle, a été énormément sous les feux des projecteurs. Fabien Ronteix 

Votre livre illustre les combats de Marguerite Broquedis en faveur de l’inclusion des sportives dans les compétitions nationales et internationales...

Paul Carcenac : Elle a joué un grand rôle sur le terrain, mais aussi en dehors. C'est la première femme française à devenir une star du sport, c’est-à-dire connue et reconnue pour sa pratique sportive dans le monde médiatique de l’époque. C’est un aspect très important pour moi. 

Comment analysez-vous le discours discriminant du Baron de Coubertin par rapport à l’inclusion des femmes sportives aux compétitions olympiques ? 

Paul Carcenac : Il est toujours compliqué de regarder ce genre de choses avec notre regard actuel, parce que ce n'est pas du tout le même contexte, ni la même époque. Maintenant, c'est vrai que le Baron de Coubertin avait une optique différente : il voyait le sport plus pour la performance. C’est pour ça qu'il disait que les femmes n'étaient pas vraiment prioritaires dans le sport, puisqu’il pensait que sur un plan physiologique, leurs performances seraient moins fortes. Il ne voyait donc pas l’intérêt de faire participer les femmes aux Jeux olympiques, mais il était favorable à ce qu’elles pratiquent le sport d'un point de vue amateur ou pour des questions sanitaires. L'histoire lui a donné tort et tant mieux. C'était un homme de son époque et pas forcément en avance sur son temps. C'est aussi quelqu’un qui n’a pas su sentir les profondes évolutions qui ont eu lieu au cours du XXe siècle.

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Extrait de Marguerite Broquedis – Histoire de la première championne olympique française.

DR

La figure du baron de Coubertin est contrebalancée par celle d’Émile Broquedis, qui était à la fois le père et le coach de Marguerite Broquedis. Pourquoi ? 

Paul Carcenac : C'était important, mais il ne pique pas la vedette à Marguerite Broquedis, parce que c'est grâce à sa propre détermination qu’elle a monté les échelons. Mais il est vrai qu’il a eu un rôle important dans sa vie. On ne se construit jamais seul. Moi, j'ai aimé cette figure du père. En plus, quand j'ai écrit le scénario, je me suis inspiré de la Méthode Williams, le film de Reinaldo Marcus Green sur Richard Williams, le père de Serena et Venus Williams. C’est un film sur le rôle du père en tant que coach. Je tiens aussi à souligner que la mère de Marguerite Broquedis a eu un rôle important dans sa vie et dans sa carrière.

Terriennes : Que ce soit dans ce livre ou dans L'or d'El Ouafi, vous aimez mettre en lumière le parcours de figures extraordinaires méconnues ou oubliées. Quelle en est la raison ? 

Paul Carcenac : Je trouve que la bande dessinée est une bonne manière de faire connaître des personnalités méconnues au grand public. Que ce soit dans le cas de Marguerite Broquedis ou de Boughéra El Ouafi, le but est le même : faire connaître à davantage de gens des personnalités méconnues qui méritent d’être reconnues pour ce qu’elles ont accompli. La bande dessinée est quand même un art assez populaire. Je dis cela dans le bon sens du terme. C’est-à-dire que c’est un art adapté à tous les âges, à tout le monde. Elle se lit assez facilement. Qu'on soit un grand connaisseur ou non, tout le monde peut aimer la bande dessinée, c’est une bonne manière de faire passer des messages, de faire revivre des personnalités marquantes. Elle peut servir à beaucoup de choses tout en étant divertissante.

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Fabien Ronteix, vous avez illustré la bande dessinée sur Marguerite Broquedis. Comment s’est passée la collaboration avec Paul Carcenac ? 

Fabien Ronteix : C'est le deuxième scénariste avec lequel je collabore pour réaliser une bande dessinée. C’est lui qui m’a contacté l'hiver dernier pour me parler de Marguerite Broquedis que je ne connaissais pas. Quand j'ai découvert son histoire à travers le résumé qu’il m’avait fait, j’ai tout de suite apprécié cette figure et répondu très favorablement à sa proposition de réaliser une bande dessinée ensemble. Il fallait raconter son histoire parce qu’il y avait peu de choses publiées à son sujet. C’était un sujet assez original, qui s'inscrit aussi dans l'air du temps puisqu’il parle du droit des femmes dans le sport et en même temps de féminisme, même si Marguerite Broquedis n’a jamais employé ce terme. Mais avec notre regard d’aujourd’hui, on pourrait employer ce terme, car ce qu’elle a accompli était incroyable, c’était une grande avancée, qui a potentiellement ouvert la voie à Suzanne Lenglen, qui elle, a été énormément sous les feux des projecteurs.

Après avoir accepté la proposition de Paul, on a monté un dossier qu’on a soumis à plusieurs éditeurs, dont Marie Moinard des éditions Des Ronds dans l’O qui nous a répondu positivement. Le projet s’est vraiment fait très vite parce qu’on voulait sortir le livre avant Roland-Garros et les Jeux olympiques afin de faire connaître à beaucoup de gens la figure de Marguerite Broquedis. Le délai était donc assez serré.

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Fabien Ronteix, coauteur de Marguerite Broquedis – Histoire de la première championne olympique française.

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Comment avez-vous fait pour représenter visuellement le courage et la détermination de Marguerite Broquedis ? 

Fabien Ronteix : C'est grâce aux photos. Puisqu’il s’agit d’un personnage qui a réellement existé, j’avais besoin de m'imprégner d’images. J’ai reçu énormément de photos de la part de Paul qui avait créé une base de données photographiques. J’ai aussi pu avoir accès à d’autres photos d’elle grâce à Google. Toutes ces photos m’ont vraiment permis de comprendre sa personnalité. Car à chaque fois que je les regardais, j’essayais de comprendre, d’analyser sa posture, la dynamique de son corps, de ses mouvements lorsqu’elle jouait au tennis. Pour les scènes de vie quotidienne, qui ont lieu hors match, je l’ai représenté avec un côté un peu fier et en même temps agacé du fait des remarques sexistes. La BD est un travail de mise en scène. Tout au long du livre, j’ai essayé de placer ma caméra comme il faut pour faire en sorte qu'elle soit bien mise en valeur.

Terriennes : Après un triptyque consacré au cycliste Bernard Hinault, ce livre copublié avec Paul Carcenac est votre première bande dessinée sur une femme sportive. Qu’est-ce qui lie ces deux personnages d’après vous ? 

Fabien Ronteix : L’abnégation ! L’abnégation envers une passion, un métier. Bernard Hinault a vraiment beaucoup lutté pour la reconnaissance du métier de coureur cycliste. Que ce soit à travers sa victoire ou ses engagements, Marguerite Broquedis a elle aussi menée une grande lutte pour faire en sorte que les femmes puissent participer aux grandes compétions sportives et que leur talent soit reconnu dans un monde majoritairement masculin. C’est cette abnégation qui lie ces deux personnages.

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Extrait de Marguerite Broquedis – Histoire de la première championne olympique française.

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J’aimerais beaucoup que les jeunes filles ou les jeunes femmes passionnées de tennis puissent lire cette BD pour voir qu’il y a eu une femme comme Marguerite Broquedis, qui a accompli de grandes choses à une époque où c’était compliquée. Fabien Ronteix

Un dernier mot sur la bande dessinée ? Que peut-elle ? 

Fabien Ronteix : Je dirais qu’elle permet d’honorer la mémoire, celle de Marguerite Broquedis, qui est tombée dans l'oubli. C’est d’ailleurs frustrant de ne pas avoir de cours de tennis à son nom à Roland-Garros… Je dirais que la BD peut faire sortir de l’oubli. C’est pour cela qu’on espère que celle-ci fera parler de Marguerite Broquedis. J’aimerais beaucoup que les jeunes filles ou les jeunes femmes passionnées de tennis puissent lire cette BD pour voir qu’il y a eu une femme comme Marguerite Broquedis, qui a accompli de grandes choses à une époque où c’était compliquée. C’est aussi pour cela que j’ai opté pour ce style graphique, ce dessin de style jeunesse, afin que les plus jeunes puissent s’intéresser à la BD et découvrir le parcours de cette joueuse formidable dont nous souhaitons honorer la mémoire. 

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Extrait de Marguerite Broquedis – Histoire de la première championne olympique française.

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