Fil d'Ariane
Maria Toorpakai Wazir est née dans le Waziristan, région tribale dans les montages du Pakistan à la frontière avec l’Afghanistan, berceau des Talibans. Alors qu’elle a 4 ans et demi, elle se coupe les cheveux, brûle ses robes de petite fille et enfile les vêtements de son frère : elle décide, en accord avec ses parents, de se faire passer pour un garçon pour échapper aux restrictions et aux violences subies par les filles. Son père, un homme progressiste et humaniste, la rebaptise officiellement Ghengis Khan. "Personne ne savait que j’étais une fille, et pendant des années, j’ai pu apprécier la liberté dont jouissaient les garçons et les hommes dans ma région, je pouvais dire ce que je voulais, faire ce que je voulais", se souvient la jeune femme qui a maintenant 28 ans.
Maria est de nature compétitive, voire agressive. Dès qu'elle découvre le squash – le Pakistan en a longtemps été adepte et plusieurs champions de squash des dernières décennies sont pakistanais - c’est une révélation. Elle veut se lancer dans la compétition, mais pour cela, il lui faut d'abord abandonner sa couverture de garçon et révéler qu’elle est une fille. "Pour participer à des championnats, il fallait présenter un certificat de naissance, explique Maria. Je n’avais donc pas le choix que de dire que j’étais en fait une fille. Et là, tout a changé. Dès qu’on a su que j’étais une fille et que je jouais au squash à haut niveau, j’ai subi sans interruption le harcèlement, l’intimidation et même des attaques à plusieurs reprises. Je n’avais plus aucun ami."
Je savais quel goût avait la liberté et je ne pouvais pas imaginer m’en passer. Le squash était pour moi le moyen d’y arriver.
Maria Toorpakai Wazir
Cela ne l’empêche pas de continuer à s’entraîner pendant des heures pour, justement, échapper à cette situation : "Je n’avais plus qu’une idée en tête : devenir championne. Je savais quel goût avait la liberté, je l’avais testé quand j’étais un garçon, et je ne pouvais pas imaginer m’en passer. Aussi simple que ça. Le squash était pour moi le moyen d’y arriver. Pour moi, abandonner la liberté, c’était comme mourir vivante. Je préférais mourir que de vivre comme ça".
À force de s’entraîner avec une volonté de fer, Maria atteint le niveau national, puis international. Elle devient la meilleure joueuse de squash du Pakistan et devient professionnelle en 2006. Une situation intolérable pour les talibans qui contrôlent la région : en 2007, ils menacent la jeune fille de mort. "J’avais peur pour ma vie, oui, mais aussi pour ma famille. Mon père a tellement fait de sacrifices pour nous, ma sœur, ma mère. Il croit en l’égalité des sexes et ne comprend pas pourquoi les femmes seraient discriminées parce qu’elles sont des femmes. Si je suis ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à mon père, qui a joué un rôle de bouclier pour nous protéger et nous éduquer. Ma famille a été complètement ostracisée du reste de la société et c’était très difficile, les menaces étaient constantes, on a essayé de faire passer mon père pour un fou, etc."
Je suis contente d’être un modèle pour ces jeunes, c’est ma responsabilité.Maria Toorpakai Wazir
Pendant trois ans donc, Maria ne peut pas jouer au squash : elle évite de sortir de chez elle et s’entraîne à jouer sur le mur de sa chambre. En parallèle, elle écrit des milliers de lettres aux fédérations sportives du monde entier pour réclamer leur aide afin de fuir son pays et de pouvoir librement pratiquer son sport. Ses efforts finissent par payer : elle reçoit un jour une réponse positive du Canada, un entraîneur de Toronto, Jonathan Power. On lui offre un visa qui lui permet de s’établir à Toronto, où elle réside depuis 2011. "J’ai reçu un tel accueil de la part des Canadiens, je n’en revenais pas ! s’exclame Maria. Tout le monde a été si gentil, accueillant et respectueux avec moi. Tous les jours je me sens bénie de vivre ici et je ferai n’importe quoi pour soutenir ce pays."
La fondation Maria Toorpakai Wazir
"Je suis contente d’avoir réussi à inspirer beaucoup de jeunes filles au Pakistan. J’en ai vu arriver, couvertes des pieds à la tête, me dire qu’elles voulaient devenir comme moi, enlever leurs burqas et jouer au squash. Elles ressentaient alors un sentiment très fort de libération et de liberté et me disaient : je ne savais pas qu’on pouvait faire ça ! Je suis contente d’être un modèle pour ces jeunes, c’est ma responsabilité. Personne ne doit jamais vivre ce que j’ai dû à vivre, tout le monde a droit au respect et à vivre dans un environnement sécuritaire pour jouer, grandir, apprendre. C’est pour ça que j’ai lancé ma Fondation," déclare Maria.
Sa fondation a notamment permis de construire des écoles et des centres sportifs dans sa région natale. Une région où "les droits humains sont malmenés et les droits des filles inexistants", explique-t-elle à The Economist dans cette video en anglais, tournée à l'occasion de l'intronisation du nouveau président du Pakistan Imran Khan, en juillet 2017 :
Imran Khan, Pakistan's new president, inherits a country that has been torn apart by war and terrorism for the past 70 years. But one Pakistani woman has fought religious extremism—and won pic.twitter.com/vkunZmAxxp
— The Economist (@TheEconomist) July 27, 2018
Maria croit au pouvoir du sport : "Je pense que les problèmes que nous rencontrons actuellement dans le monde, la pauvreté, l’extrémisme, le terrorisme, la crise des réfugiés, tout est interconnecté. Je pense qu’à travers le sport, on peut canaliser l’énergie négative et la transformer en énergie positive. Je parle en connaissance de cause : j’étais une enfant agressive, mais le sport a changé mon énergie, je me battais sur le court au lieu de me battre dans la rue et je suis très pacifique maintenant. Pour les gens qui vivent dans ma région natale, je suis sûre que les choses seraient différentes s'ils avaient l’opportunité de faire du sport. Certains ne seraient pas devenus terroristes ou trafiquants de drogue. Malheureusement, le Pakistan s’est plus donné comme objectif de se doter de l’arme nucléaire que de s’occuper de ses jeunes. Trop d’États consacrent une part beaucoup trop importante du budget à la défense plutôt que de s’assurer du bien-être de leurs populations. Au lieu de dépenser pour des armes, il faut dépenser pour la santé, l’éducation, les droits humains, l’égalité des sexes. Alors les armes deviendront inutiles".
C’est le message que la joueuse de squash est venue porter à la conférence Women Deliver à Vancouver : "Arrêtons de donner des armes aux jeunes, offrons-leur plutôt un sport, une activité sportive dans laquelle ils pourront se réaliser, canaliser leur énergie voire leur agressivité. On apprend tellement par le sport".
Et de conclure "Je crois que je peux changer le monde : tout le monde devrait avoir la même conviction, car si on y croit, on peut unir tous nos efforts et effectivement, faire changer les choses".
A retrouver dans Terriennes : notre dossier sur l'émancipation par le sport :
► SPORT AU FÉMININ