Marilyn Monroe : 60 ans après sa mort, la vérité d’une survivante

Dans la nuit du 4 au 5 août 1962 s’éteignait à l’âge de 36 ans la star de l'âge d'or d’Hollywood. Soixante plus tard, Marilyn Monroe n’en finit pas de faire parler d’elle. Deux récents documentaires reviennent sur les mystères qui entourent sa mort. Marilyn, une éternelle victime… des hommes ? Reste que cette actrice engagée dénonçait déjà, bien avant Metoo, la violence de l'univers patriarcal d'Hollywood.
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Marylin Monroe, couvertures
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Le mythe et le mystère Marilyn Monroe ont donné lieu à de nombreuses publications après sa mort. 
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Cartes postales Marilyn
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""Comment écrit-on le récit d’une vie ? Après tout, la vérité se propage rarement. On lui préfère les mensonges. Si vous avez une question, je vous répondrai. Tout découle de la vérité, vous savez. Autrement, difficile de savoir par où commencer, si on ne commence pas par la vérité". La voix timide, et si franche, de Marilyn Monroe jaillit en introduction d’un récent documentaire sur les circonstances troubles de sa mort, diffusé sur Netflix. Réalisé par l’Américaine Emma Cooper, Le Mystère Marilyn Monroe : conversations inédites, reconstitue l’enquête menée dans les années 1980 par le journaliste Anthony Summers.

Après trois années d’investigation et des centaines d’entretiens avec des personnalités qui, de près ou de loin, ont côtoyé la star de Certains l’aiment chaud, Anthony Summers penche plutôt pour la thèse officielle : "une mort volontaire ou accidentelle" due à une overdose de médicaments. Une conclusion bien différente de celle défendue par Becky Altringer. Présentée dans le documentaire Mort d’une icône - le mystère Marilyn Monroe, sur Arte, cette détective privée de Los Angeles, qui enquête sur ce cold case est persuadée que l’actrice a été assassinée. Elle a lancé une pétition en ligne pour que l’enquête soit officiellement rouverte.

"Je vous hais tous"

Aussi contraires soient les conclusions de ces récents documentaires, tous deux font le même constat : les hommes ont leur part de responsabilité dans la mort de Marilyn. La détective Becky Altringer soupçonne, en particulier, le psychanalyste de la star, le docteur Ralph Greenson. A la bibliothèque universitaire de Los Angeles, ce dernier a laissé une boîte, la mystérieuse "Boîte 39", restreinte jusqu’en 2039. Comme la détective l’affirmait au Sun, en janvier 2020, "il ne fait aucun doute que les réponses à ce qui s'est passé peuvent être cachées dans ces fichiers ". Greenson aurait injecté une dose mortelle de pentobarbital à l’actrice "à la demande de JFK", pense Becky Altringer.

Kennedy. Le nom de l’ancien président des Etats-Unis, et celui de son frère Robert, est aussi indélébile qu’une empreinte de rouge-à-lèvres sur un col de chemise dans l’affaire Monroe. Le documentaire Netflix dresse le portrait de deux hommes "vulgaires et ringards. A l’image de leur père", témoigne l’actrice Jeanne Martin. Le père Kennedy est en effet connu pour avoir dit à ses garçons : "Couchez le plus possible avec autant de femmes que vous voulez." 

On me passe de l’un à l’autre (…) J’ai l’impression d’être un morceau de viande.
Marilyn Monroe, au sujet des frères Kennedy

Le soir de sa mort, Marilyn appelle John Kennedy à la Maison-Blanche : elle veut se plaindre de Bobby, avec qui elle entretenait une liaison. Après JFK, ce dernier l’aurait lui aussi snobée. "On me passe de l’un à l’autre (…) J’ai l’impression d’être un morceau de viande", peut-on l’entendre dire sur des enregistrements du FBI. Soupçonnée de flirter avec les communistes, la star était sur écoute. "Ce n’était pas un chagrin d’amour. Marilyn avait l’impression qu’on se servait d’elle et que tout n’était que mensonge. L’appel à la Maison-Blanche, c’était pour dire : Eloigne ton frère de moi. Je vous hais tous, raconte Reed Wilson, expert en surveillance ayant eu accès aux audios. Et c’est à peu près à ce moment-là que la fin s'est rapprochée."

Les maux d’une femme

Les hommes qui ont tué Marilyn

Pour son livre dans lequel elle expose les violences subies par l’actrice hollywoodienne tout en faisant le parallèle avec son propre vécu, l’autrice Aurore Van Opstal a choisi le titre Les hommes qui ont tué Marilyn (éd. Esprit du temps, 2021). Toutefois, la journaliste belge ne croit pas non plus à la thèse de l’assassinat. "J’ai utilisé ce titre pour interpeller les lecteurs sur des faits souvent peu mentionnés dans les récits dédiés à Marilyn Monroe. Mon but c’est qu’on s’intéresse à la souffrance psychique que cette femme a malheureusement connu toute sa vie, en grande partie, à cause des viols qu’elle a subi enfant et adulte…, explique-t-elle. Je pense qu’on a laissé Marilyn se suicider à petit feu. Le jour de sa mort, cette femme meurtrie dans sa chair et avant tout fragile, qui souffrait d’endométriose et d’un trouble de la personnalité borderline, a pris le barbiturique de trop."

Confessions inachevées Marilyn


Norma Jeane, de son vrai nom, n’a que 8 ans lorsqu’un Anglais que logeait sa tutrice la viole. "Quand il a refermé ses bras sur moi, je lui ai flanqué des coups de pieds et je me suis débattue de toutes mes forces, mais sans émettre un son (…) Il n’arrêtait pas de me chuchoter à l’oreille d’être gentille", raconte la star des années plus tard, en 1954, à un journaliste chargé d’écrire ses mémoires. Ce récit est publié dans Marilyn Monroe - Confessions inachevées (éd. Laffont, 2011).

ourageusement, la petite fille décide de confier son calvaire à sa tutrice qui, au lieu de lui apporter son aide, l'aurait giflée en l’accusant de mentir à propos de celui qu'elle appelait "son meilleur locataire". Dans le même chapitre, intitulé "Le pêché", Norma Jeane, alors empreinte d’un sentiment de culpabilité, tente d’en parler à un prêtre mais "d’autres pêcheurs se pressaient autour de moi (…) leurs voix ont noyé la mienne." En se retournant, elle aperçoit "parmi la foule des non-pêcheurs" son agresseur "qui priait bruyamment pour que Dieu pardonne aux autres leurs pêchés".

"Une pulsion de vie extraordinaire"

Marilyn Monroe et Henri Miller
Marilyn Monroe et Arthur Miller devant le Queensboro Bridge, à New York, 1957 (Sam Shaw Inc., courtesy Shaw Family Archives, Ltd). Photo exposée en juillet 2019 à la galerie Joseph.
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Malgré un psychisme très fragile, palpite en Marilyn Monroe "une pulsion de vie extraordinaire, rappelle Aurore Van Opstal. Parce que d’où Norma Jeane part, elle devient une star." Et une battante qui puise sa force "dans ses expériences personnelles", comme le déclarera au journaliste Anthony Summers, le réalisateur John Huston. "Elle a découvert en elle ce qu’être une femme pouvait impliquer. Elle n’avait aucune technique. Tout était vrai. C’était Marilyn, mais plus encore". Cette vérité éclate littéralement à l’écran dans Les Désaxés, sorti en 1961. Ecrit par son dernier mari, le dramaturge Henri Miller, Marilyn y incarne Roselyn. Une jeune femme divorcée qui se lie d’amitié avec trois cow-boys.

John Huston y saisit les derniers éclats de la star, alors en pleine dépression, à travers une réplique culte. Tandis que les trois cow-boys tentent de capturer des mustangs sauvages, dont une femelle et son poulain, Roselyn hurle sa colère, seule et minuscule dans le désert : "Meurtriers ! Assassins ! Sales menteurs ! Tous des menteurs ! Vous n'êtes heureux que face à la mort ! Vous n'avez qu'à vous tuer, vous serez heureux ! Vous et votre pays de Dieu ! La liberté ! Vous me faites pitié !" En contre-champ, plan serré : trois hommes, abasourdis.

"Balance ton porc" avant l’heure

Notons toutefois que dans cette scène magistrale des Désaxés, ce sont les hommes qui sont filmés en gros plan. "Marilyn y hurle une colère incroyable. Et on ne la voit pas", déplore le dessinateur Luz, interviewé dans le documentaire Marilyn, femme d’aujourd’hui (France 5, 2022). "Le seul moment de cinéma où elle semble enfin se rebeller, on ne la voit pas : vous imaginez ! (…) c’est pour ça que j’ai fait le livre", explique l’auteur de la bande-dessinée Hollywood menteur (éd. Futuropolis, 2021), pour "redonner à Marilyn le droit de crier".

Marilyn balance qu’Hollywood est peuplé de prédateur sexuels qu’elle appelle des loups.
Jessica Menendez, réalisatrice

A son époque, l’actrice fut l’une des premières à briser la loi du silence. Dès 1953, dans un article publié en Une du journal Motion Picture, "Marilyn balance qu’Hollywood est peuplé de prédateur sexuels qu’elle appelle des loups", raconte la réalisatrice Jessica Menendez.

Hollywood Studio Club

"Ne laisse pas les patrons des studios de cinéma te dicter ta conduite. Ils nous considèrent comme des morceaux de viande. Toutes." En janvier 2022 sur la BBC, la star de la saga Dynastie, Joan Collins, évoquait qu’au cours d’une soirée mondaine, Marilyn l’avait mise en garde, en particulier contre les patrons de la Fox, "les plus dangereux, selon elle". S’informer sur les réalisateurs et producteurs à éviter, et ceux dignes de confiance, était une pratique courante au sein du Hollywood Studio Club. "Une sorte de pensionnat pour filles - actrices mais aussi scénaristes, monteuses, scripts… - qui tentaient de percer dans le milieu du cinéma, précise Jessica Menendez. En arrivant de leur petite ville, sans leur famille, "ces jeunes femmes étaient des proies faciles. Ce lieu unique à Los Angeles, où Marilyn Monroe a elle-même séjourné, avait pour vocation de les protéger. Et en son sein régnait une très forte sororité."

Hollywood Studio Club
Hollywood Studio Club en 2008. 
©Wikipedia

"Blonde" en quête d'émancipation

Dans un documentaire consacré à une autre blonde iconique, l’actrice Kim Novak, bientôt sur Arte, Jessica Menendez revient sur le sort réservé aux actrices de l’âge d’or d’Hollywood dont le destin était entre les mains d’hommes puissants. "Evidemment, c’était bien pire qu’avant Metoo. Et le personnage de Kim Novak dans Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock – obligé de se métamorphoser pour être aimé – est une mise en abîme de ce que subissaient les actrices à cette époque. Hollywood était une usine à créer des déesses. Un idéal féminin." Seulement, cet idéal vu par les patrons des grands studios de cinéma est bien souvent celui de la dumb blond (la blonde idiote). Un rôle de "faire-valoir" qui corsète et étouffe les talents d’actrice de Marilyn Monroe.

Marilyn au miroir
Photo tirée du livre de Milton Greene, Marilyn inédite, ed. Flammarion.

Mon combat avec les studios n’est pas au sujet de l’argent, mais des droits humains.
Marilyn Monroe

Marilyn en maillot de bain
Exposition Marilyn à la galerie Joseph, à Paris, en juillet 2019. 
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Alors pour s’émanciper, la star claque la porte d’Hollywood, direction New York et les cours de l’Actors Studio. Elle organise une conférence de presse, et annonce : "Mon combat avec les studios n’est pas au sujet de l’argent, mais des droits humains. J’en ai marre d’être connue comme celle qui a des formes… Je vais leur montrer que je suis capable de jouer, de bien jouer" (dans Monroerama, éd. Stock). Surtout, avec la complicité de son ami le photographe Milton Greene, Marilyn Monroe crée sa propre société de production. Du jamais vu pour une actrice ! Après une campagne de dénigrement, la Fox finira par faire machine arrière en lui proposant un nouveau contrat, avec un bien meilleur salaire et un droit de regard sur le réalisateur.

Elle s’est noyée avec le rivage à portée de main", réagira la féministe américaine Gloria Steinem à l’annonce de son décès. Aussi les mystères feront toujours partie du mythe Marilyn Monroe, tels des fragments dont personne ne pourra jamais déposséder la femme. "Je ne fais confiance à personne. Je veux dire que si quelque chose m'arrivait, je le verrais comme un bienfait en ce moment. A chaque printemps, le vert est trop vif, même si la délicatesse de la forme des feuilles est douce et incertaine – elles engagent un combat dans le vent, sans cesser de trembler", confie-t-elle, en 1958, dans un poème recueilli dans Fragments (éd. Seuil, 2010). Ainsi, sa mort tragique et prématurée ne doit pas nous faire oublier la combattante qu’elle était.

Marilyn métro
Marilyn et sa célèbre subway dress, une scène culte du film 7 ans de reflexion. Exposition Marilyn à la galerie Joseph, à Paris, en juillet 2019. 
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