Marine et Marion Le Pen ou le partage des tâches... contre les femmes

Les deux figures de proue du Front national, parti français d’extrême droite, anti européen, ultra nationaliste et xénophobe, creusent aussi, et on le sait moins, un sillon très hostile aux droits des femmes dans la droite ligne de la devise pétainiste « travail, famille patrie ». Martine Storti, écrivaine, féministe, rappelle quelques vérités bonnes à entendre.
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Marine et Marion Le Pen
Marine Le Pen à gauche et Marion Maréchal Le Pen à droite, en route pour remporter les élections régionales dans le Nord Pas de Calais et Provence-Alpes-Côte d'Azur, des mots différents mais une même réaction contre les droits des femmes
AP Photo/Claude Paris et Michel Spingler
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Il paraît qu’entre Marine Le Pen et Marion Maréchal Le Pen, il y a des désaccords. C’est possible. La plus jeune joue franc jeu, par exemple en annonçant son intention de supprimer les subventions régionales au Planning familial ou aux associations LGBT si elle devient présidente de PACA (Provence-Alpes-Côte d’Azur). L’aînée, candidate en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, rétorque qu’une telle mesure n’est pas au programme du parti qu’elle dirige et qu’au niveau régional, d’autres urgences s’imposent. Mais comme on a pu le constater, au moins quatre autres têtes de liste pour les élections régionales ont exprimé les mêmes positions que la députée du Vaucluse, notamment Louis Aliot, par ailleurs compagnon de Marine Le Pen.

Marine Le Pen n’a pas en 2014, participé aux manifestations contre le « mariage pour tous », mais sa nièce, oui, et avec enthousiasme, comme bien d’autres militants du FN d’ailleurs.

Laïcité à géométrie variable

La présidente du FN prétend que son parti n’est plus que le seul à défendre la laïcité, mais la petite-fille de Jean-Marie Le Pen se demande, sur les ondes de Radio Courtoisie, (bien marquée à l’extrême droite depuis sa création) pourquoi « il faut se marier à la mairie avant de se marier à l’église, alors que le mariage religieux devrait être possible sans avoir l’autorisation de la République française », ce qui est une prise de position inquiétante quant au pacte républicain et quant à la laïcité.

Alors deux lignes au sein du Front national ? Ou apparence de divergences, dans un réel partage des tâches non ménagères mais politiques, pour deux entrepreneuses de brouillard et brouillages, ce qui permet de ratisser large : à l’une, une image de femme moderne, divorcée,  à l’autre, l’affichage catho-intégriste qui séduit les électeurs de ce camp-là.

Un dégoût commun pour les femmes qui avortent

S’agissant des droits des femmes, les apparents désaccords masquent une réelle cohérence. Cohérence d’un singulier mépris pour les femmes de la part de l’ainée comme de la cadette, l’une osant parler « d’avortement de confort » et l’autre de déclarer : « « l’Etat ne doit pas payer pour l’inattention des femmes », comme si la responsabilité d’une grossesse non désirée n’incombait qu’à la femme ! C’est dans un mélange de colère et de tristesse qu’on entend, au XXIe siècle, une jeune femme reprendre à son compte l’ancestrale culpabilité dont on se croyait débarrassé.

Cohérence des propositions, comme le montrait le programme du FN pour l’élection présidentielle de 2012, avec en particulier la mise en avant d’une politique familiale nataliste, comme si les femmes n’avaient pas d’autre horizon. Car le travail des femmes, en apparence défendu, est en réalité peu promu  avec la valorisation du temps partiel, ou encore la faible dénonciation des inégalités de salaire. La vice-présidente du FN ne déclarait-elle pas, alors en pleine élaboration du dit programme : « Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on égalise les salaires alors que tant de gens sont au chômage ? »

On l’aura compris : pour le Front national, en période de crise, les femmes n’ont qu’à se taire, accepter les inégalités, mettre dans un tiroir leurs revendications ou … rentrer à la maison. C’est ce que l’eurodéputé FN Dominique Martin proposait explicitement en pleine commission des affaires sociales du parlement européen,  pour lutter à la fois contre le chômage et « pour donner une meilleure éducation aux enfants, sécuriser les rues » !

Significative déclaration comme sont significatives les positions du FN au parlement européen et que l’on peut les résumer d’une phrase : s’opposer systématiquement à tous les textes proposant d’améliorer la situation des femmes, ainsi, pour ne citer que le vote le plus récent, celui contre le rapport relatif à l’inégalité femmes-hommes de l’eurodéputé Marc Tarabella, en mars 2015.  Il est vrai que pour le Front national, tout ce qui vient de l’Union européenne est par nature nuisible, sauf bien sûr les indemnités des élus, même si leur assiduité n’est guère développée, comme c’est le cas des lepénistes.

N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.
Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1949

Le Front national est à l’évidence un danger pour les droits des femmes. Mais ce parti n’est pas complètement hétérogène à un « air du temps » qui réclame attention et vigilance.  Attention aux propos tenus, ici ou là. Dominique Reynié, candidat Les Républicains pour la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ne regrettait-il pas, il y a quelques jours, que la notion de détresse ait été retirée, en 2014, de la loi relative à l’IVG, y voyant une preuve que « notre société est en train d’aimer davantage la mort que la vie », propos qui de surcroît sonnent étrangement puisque tenus après les assassinats commis par les terroristes du 13 novembre ! Attention à la montée d’un antiféminisme misogyne qu’il ne faut pas prendre à la légère et dont Éric Zemmour est l’exemple caricatural. Attention enfin à l’antiféminisme qu’expriment aussi de façon très claire les tenants de l’intégrisme islamiste.

Martine Storti
DR

Martine Storti est une journaliste et écrivaine française. Elle fut très engagée dans le mouvement féministe des années 1970/1980, avant d'être chargée de mission auprès de Laurent Fabius alors Premier ministre en 1984, et Inspectrice générale de l'Education nationale. Elle a mené aussi de nombreuses missions pour promouvoir l'éducation des filles en Afghanistan, en Arabie saoudite ou en Indonésie.

Elle tient un blog martine-storti.fr et s'apprête à sortir son prochain livre, en mars 2016 : « Sortir du manichéisme » (Ed. Michel de Maule)