Fil d'Ariane
Marinette Pichon est considérée comme l'une des premières stars du football féminin français, et pourtant, en dehors du milieu, peu connaissent son nom et encore moins sa vie et son parcours de combattante. Alors bien-sûr, on se précipite pour aller voir son biopic Marinette. Rencontre.
"Ooohhh ! Un film sur l'histoire de l"ex-grande footballeuse Marinette Pichon !" "J’espère qu’un jour ce genre de film fera plus d’entrée qu’Astérix…" "Ça fait du bien de voir des films où l'on montre le combat difficile en tant que femme pour être légitime d'avoir une place dans cette société . On avance doucement."
Voilà quelques commentaires (choisis!) relevés sur la page youtube de la bande annonce du film Marinette, et ce qui est dit résume bien ce qu'on attend d'un tel biopic. Car Marinette Pichon a été et est une héroïne telle que le cinéma les aime. Retour dans la France des années 80, alors que le foot féminin n'en était qu'à ses tous premiers dribbles sur la pelouse de la popularité. Il y a la carrière, les obstacles, les victoires, les défaites sur le terrain mais aussi sous le maillot, une vie marquée par la violence d'un père, l'amour et le soutien d'une mère et d'une soeur.
Footballeuse internationale française évoluant au poste d'attaquante, Marinette Pichon fait sa carrière principalement au sein des clubs St-Memmie Olympique et Juvisy FCF. Devenue la première joueuse professionnelle française, elle sera recrutée aux Etats-Unis pendant plusieurs années. Elle y sera même sacrée meilleure joueuse de la Women's United Soccer Association (WUSA) en 2003 avec le Philadelphia Charge.
De retour en France, elle intègre l'équipe nationale des Bleues et participe à sa première Coupe du monde en 2003. Elle compte 112 sélections pour 81 buts en équipe de France. Elle a décroché le titre de meilleure buteuse durant plusieurs saisons.
En 2018, elle reçoit le « Out d’or de la personnalité sportive » pour avoir été l'une des premières sportives françaises de haut niveau à avoir révélé son homosexualité, qu'elle évoque dans Ne jamais rien lâcher, son autobiographie publiée la même année. Aujourd'hui, elle poursuit son chemin comme entraineure et sous le maillot de consultante pour la télévision.
Quelques jours avant la sortie du film, la championne a très gentiment accepté de répondre à nos questions.
Terriennes : Avant le film, vous aviez écrit un livre pour raconter votre histoire. En quoi était-ce important pour vous d’en parler, de remettre en exergue les difficultés du contexte familial de votre enfance et de le rendre public ?
Marinette Pichon : la décision n’a pas été facile à prendre parce que, même si cela avait déjà été fait dans le livre, passer des mots aux images est tout de suite plus dur. Nous nous sommes concertées, avec ma mère et ma sœur, pour savoir si nous avions envie de repasser à travers tout cela, parce que, mine de rien, le livre avait été une étape difficile. Et puis on s'est dit oui, il faut le faire. On a cette chance, on nous donne la parole aujourd’hui. On me donne la parole, alors allons-y. Aujourd'hui, pour moi, c'est une réussite. Quand je vois tous les messages que je reçois sur les réseaux sociaux ou même lors des échanges dans les salles, nous sommes à la hauteur de ce que nous voulions faire. Virginie Verrier, toute son équipe, toutes les actrices et tous les acteurs ont été sublimes.
Qu’est-ce qui fait que vous sentez libre d’en parler aujourd’hui ?
J'ai l'impression qu’une forme de confiance s'est développée, un peu plus prononcée, un peu plus poussée, suite à la sortie du livre. Et puis avec la maturité, l’âge et l'expérience, on a peut-être envie de servir un peu plus dans la société. La décision ne nous a pris que quelques heures au final, entre ma mère, ma sœur et moi, pour dire « allez, on y va, et puis de toute façon, on a pas à être jugé parce que c'est notre vie ». Et puis sur certains aspects de cette vie, il faut pas oublier que nous sommes des victimes.
Votre sœur, votre mère et vous… Vous parlez de ce trio comme d’une entité soudée.
C'est notre noyau. Il a résisté à toutes les tempêtes, à toutes les difficultés. Et puis il s’est extrêmement solidifié à chaque fois que nous passions une étape. Aujourd'hui encore, nous sommes toutes les trois très, très, très liées. Hier soir, ma sœur a assisté pour la première fois à la diffusion de mon biopic, et à ses réactions, j’ai compris qu’il est à la hauteur de ce que j'attendais, avec beaucoup d'émotions et surtout beaucoup de points de comparaison avec ce qui s'est réellement passé. Elle m'a dit : « ça colle vraiment bien à notre vie ». J'ai trouvé ça touchant. Je suis contente aussi qu'elle ait réagi comme ça, alors que j'appréhendais un peu sa réaction. Et c'est normal, je pense.
Le foot féminin fait de plus en plus parler de lui. De plus en plus de filles jouent au foot aujourd’hui ?
Oui, clairement. Le nombre de licenciées a vraiment explosé, surtout depuis la Coupe du monde de 2019. Cela dit, il reste des difficultés, notamment sur le manque d'infrastructures face au nombre exponentiel de licenciées : on a aussi un peu moins d'infrastructures pour accueillir ces nouvelles licenciées. Il va falloir réfléchir aux moyens de les combler et de s'assurer que ces jeunes qui ont envie d’aller au bout de cette passion du football soient accueillies dans de bonnes conditions.
Pourquoi la France est-elle en retard, alors qu'aux Etats-Unis, où vous avez fait aussi un bout de chemin, le foot féminin est une vraie institution ?
L'attractivité n'est pas la même. Déjà, il y a un championnat professionnel aux Etats-Unis qui a fait ses preuves. Ensuite, il y a aussi de grands noms. Elles ont gagné des compétitions majeures, qui ont créé une économie, un engouement. Et puis là-bas, dès le plus jeune âge, la pratique du soccer, c'est comme si c'était incontournable. C’est comme faire du vélo : tu sais que tu vas faire du vélo dans ta vie, mais en Amérique du Nord, tu sais que tu feras du soccer. Je pense que nous sommes en train de développer ça, en France, peut-être pas de façon encore assez prononcé, mais on y vient.
Il y a aussi une question de salaire. C'est cela qui fait la différence ?
Oui. Aujourd'hui, on parle du haut niveau et de la professionnalisation du football féminin, mais comme notre football est plus récent que celui des garçons, il y a toute une économie à créer, une attractivité à générer, une incertitude sportive à surmonter avec des stades qui soient de qualité, qui ne soient pas décrépis, avec de la belle pelouse, et des conditions de diffusion idéales pour faire de l'audience et gagner cette part de marché dédiée au football féminin. C'est sûr qu’aujourd'hui, on ne peut pas demander à avoir une égalité de salaires, puisqu'on n'a pas encore eu ces résultats. Tout est lié. Il faut des résultats, il faut être performantes, il faut être titrées pour être légitimes. Aujourd'hui, nous n’avons pas ces éléments-là. Alors c'est compliqué de dire « Regardez et donnez-nous les mêmes moyens que les garçons ». Pour le haut niveau, si je prends l'équipe de France masculine, on est champion d'Europe, champion du monde, vice-champion du monde… Il y a quand même une différence au niveau du palmarès.
Qu'est ce que vous dites aux jeunes joueuses que vous rencontrez dans les clubs ? Et elles, que vous disent -elles ?
Ces jeunes sont très admiratives. Je suis allée dans mon ancien club, à Saint-Memmie, où j'ai eu la chance de faire dix ans de ma carrière, et j'ai demandé au président à rencontrer tout le monde, pour discuter. Je leur dit simplement « si vous êtes passionnées, moquez-vous des qu’en-dira-t' on et des jugements ». Parce qu’il y a beaucoup de jugement par rapport à la pratique du football féminin : « c'est pas pour les filles blablabla... » Moi je leur dis « on s'en fout, si vous avez envie, allez-y, si vous êtes accueillies, si vous êtes soutenues par votre famille, allez-y, si vous avez des copains ou des copines qui vous soutiennent, allez-y, c'est tout. Ce qui compte, au final, c'est le choix qu'elles vont faire. Parce que dans la vie, tout est une question de choix. Et si elles font ce choix, elles doivent le tenir jusqu'au bout.
Qu'est-ce que vous représentez pour elles ?
Elles ont envie de rêver. Elles s’appuient forcément sur cette vitrine de l'équipe de France féminine avec des joueuses talentueuses. Et je trouve ça merveilleux qu’elles puissent s'identifier à nous, à nos jeunes égéries de l'équipe de France. En ce qui me concerne, je perçois beaucoup de respect sur mon parcours de vie de footballeuse. J'ai l'impression qu'elles me regardent avec des étoiles dans les yeux, parce que je suis une icône pour elles et c'est tellement, tellement touchant de voir ces regards bienveillants qui se posent sur vous. C'est une source de bonheur.
Avec les shorts blancs qui changent de couleur dans certains clubs à cause de l’inconfort pendant leurs règles, un tabou est-il en train de tomber ?
Oui, c'est une requête légitime de la part de ces filles. Ce n'est jamais confortable pour les femmes de continuer à pratiquer pendant leurs menstruations sans se dire que, pendant un effort physique, il peut se passer quelque chose. C’est un souci technique en moins. Je trouve cela bien que l'on puisse prendre en considération que la morphologie d'une femme et les besoins d'une femme sont différents de ceux d'un homme. Oui, c'est important, ce changement.
Parlons de la retransmission de la prochaine Coupe du monde féminine, cet été : difficile de trouver un diffuseur ?
Il y a eu des diffuseurs, il y a eu des envies, mais la FIFA ne souhaite pas brader ses droits. Un versus l'attribution des droits télé des hommes. Le problème est là. C'est que bien l'économie, une fois encore, n'est pas la même et qu'on ne peut pas attendre les mêmes choses. Alors il va falloir que la FIFA et les institutions concèdent des efforts pour arriver à enfin avoir un diffuseur pour cet événement majeur. Il serait inconcevable de ne pas avoir de diffuseur pour cette Coupe du monde. Imaginez, on finit en finale, on gagne le trophée et on n'est pas diffusées ? Ce serait un scandale ! J'espère que, comme l'avait mentionné la ministre dans une de ses tribunes dans la presse, elle va intervenir pour accélérer les choses et qu'on puisse enfin avoir un diffuseur.
Quelque chose que vous tenez à ajouter à l'occasion de la sortie du film ?
Je veux remercier ma maman et ma sœur d’être à mes côtés chaque jour pour les bons et les mauvais moments. Parce qu'il y a encore des mauvais moments, parfois. Je veux aussi remercier ma femme et mes deux fils, et puis Virginie Verrier, la réalisatrice, et Jokers Film qui m'ont donné la possibilité de libérer cette parole. Je suis très heureuse de rencontrer le public dans les salles, car je me rends compte qu'au final, même si mon histoire est singulière, il y a beaucoup d'histoires singulières aussi dans le public... C'est là qu'on se dit qu'on a bien réussi les choses.
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