Marisa Paredes, diva du cinéma espagnol, pour toujours, pour la vie

Impossible d'oublier sa crinière blonde, ses longs gants rouges et son allure de mère et femme fatale dans Talons aiguilles : Marisa Paredes. L'actrice espagnole est décédée à l'âge de 78 ans. Un visage incontournable de la movida de Pedro Almodovar avec qui elle a tourné six films. 

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Marisa Paredes

Marisa Paredes, inoubliable dans Talons aiguilles, de Pedro Almodovar, interprétant la chanson Piensa en mi

capture d'écran
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"Quand tu voudras m'enlever la vie. Je n'en veux pas, pour rien. Pour rien, elle ne me sert sans toi", lorsque résonnent ces paroles de la célèbre chanson de Luz Casal, c'est le visage de Marisa Paredes qui apparait, éternelle "Becky" dans cette scène de Talons aiguilles de Pedro Almodovar. Mais la vie, cette fois, l'a bel et bien quittée, à ses 78 ans. 

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Une carrière et une personnalité incontournable du cinéma espagnol, qui lui rend hommage aujourd'hui à l'annonce de sa disparition, comme l'écrit l'Académie du cinéma espagnol sur X : "Le cinéma espagnol perd une de ses actrices les plus emblématiques, Marisa Paredes, qui laisse derrière elle une longue carrière au cours de laquelle le public a pu la voir à plus de 75 reprises sur grand écran".

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Marisa, la "rebelle"

Née le 3 avril à Madrid en 1946 dans une famille ouvrière, Marisa Paredes restera marquée par une enfance vécue sous le régime franquiste. Elle grandit dans une loge de concierge, quatrième enfant d'une famille "pauvre", confiait-elle dans les colonnes d'un supplément du quotidien espagnol El Pais en février 2024. Elle quitte l'école à 11 ans, puis son père qu'elle décrit comme autoritaire l'inscrit dans une école de dactylographie. Ayant vécu "maltraitance, humiliation ... Comment ne pas devenir féministe ?", racontait l'actrice.

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"Ma mère m'appelait toujours la rebelle", confiait-elle lors d'un entretien à la télévision espagnole, il y a quelques mois, racontant comment elle avait entamé une grève de la faim pour affronter son père qui refusait qu'elle fasse du théâtre. Elle avait alors 15 ans, alors qu'à l'époque, la majorité "c'était 23 ans pour les femmes". "Pour mon père, me consacrer à une carrière de comédienne, c'était être perdue, se jeter au caniveau, raconte-t-elle, alors qu'aujourd'hui tout le monde veut être célèbre, faire du cinéma". C'est sa mère qui a pris sa défense, promettant de l'accompagner à ses représentations tard le soir, qui finissaient à 1 heure du matin, se remémore l'actrice sur le plateau de la RTVe

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Une des "femmes" d'Almodovar

"Ma vocation est née avec moi (...), mais le quartier où je vivais a aussi joué un rôle", racontait-elle récemment à l'Académie espagnole de cinéma, celle qui vivait enfant près du Théâtre national.

À 15 ans, Marisa Paredes fait ses premiers pas de "saltimbanque". La jeune fille aux yeux vert-gris décroche son premier rôle dans une pièce de José Lopez Rubio. Dès lors, elle ne cesse de jouer, de Garcia Lorca à Beckett en passant par Ibsen et Tchekhov qu'elle joue aussi pour la télévision. Son visage devient rapidement l'un des plus connus de l'Espagne des années 60 et 70 grâce à Estudio Uno, un programme qui transpose le théâtre sur le petit écran, comme le rappelle le site Vanityfair

Mais c'est bien plus tard, à 37 ans, que sa carrière va prendre un tournant international et connaitre le succès grâce, entre autres, à ses apparitions dans les longs métrages de Pedro Almódovar. Sa collaboration avec le maître de la movida, la nouvelle vague du cinéma espagnol, commence en 1983 pour le film Dans les ténèbres où elle joue "Soeur Excrément", une religieuse sous amphétamines qui dort sur des clous et marche sur des tessons de bouteilles. 

Elle deviendra ensuite l'inimitable "Becky del Páramo" dans Talons aiguilles (1991), César du meilleur film étranger, diva peroxydée et mère égocentrique de Victoria Abril qu'elle a abandonnée enfant. Puis ce sera "Leo Macías" dans La fleur de mon secret, elle irradie l'écran en autrice de roman à l'eau de rose dévastée par le départ de son mari en Bosnie. Enfin un autre rôle marque sa carrière, celui d'"Huma Rojo" dans Tout sur ma mère. Trois rôles de femmes fortes et en pleine lumière - chanteuse, écrivaine et comédienne - mais qui, dans leur vie intime, cumulent les échecs sentimentaux. Sa dernière collaboration avec Pedro Almodovar remonte à 2011 dans La piel que habito, La peau que j'habite, un film d'horreur, adaptation du roman Mygale de l'écrivain français Thierry Jonquet. 

"El tiempo que hace que no me como yo una polla !", que l'on peut traduire par "Cela fait longtemps que je n'ai pas sucé de b..." Cette réplique prononcée dans Tout sur ma mère, reste comme l'une des plus "crues" de sa filmographie ... 

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"Bon voyage" Marisa

"Marisa a déposé en moi une confiance absolue et m'a tout donné", confiait Almódovar au quotidien français Libération en 1995. Aujourd'hui, il fait part de son incrédulité à l'annonce de la disparition de sa muse fêtiche. "J'ai du mal à assimiler la mort de Marisa", a déclaré Pedro Almódovar dans un communiqué rapporté par RTVE. "C'est une nouvelle totalement inattendue, physiquement c'est comme si je me réveillais d'un cauchemar, mais que j'étais toujours dedans", ajoute le cinéaste.

"Tu nous quittes trop tôt (...) Bon voyage", a réagi sur Instagram sa compatriote Penelope Cruz, qui a joué à ses côtés dans Tout sur ma mère "Une grande dame de l'interprétation" salue Antonio Banderas sur X, à l'instar de nombreuses autres stars du cinéma espagnol, ainsi que des représentants politiques et culturels, qui saluent l'énorme héritage artistique et professionnel de celle qui fut l'une des premières actrices de la lignée des "chicas Almodovar". 

En 2018, la cérémonie des Goya, équivalent des César en Espagne, décerne un Goya d'honneur à celle présidera l'Académie espagnole du cinéma de 2000 à 2003. 

"Toucher le ciel"

Marisa Paredes n'a pas eu qu'Almodovar dans sa vie sur grand écran. Elle est également apparue dans des films de genre et des productions internationales comme La vie est belle, de l'Italien Roberto Benigni, ou L'échine du diable, du Mexicain Guillermo del Toro. Elle a aussi joué dans plus d'une vingtaine de séries pour la télévision. 

Femme "engagée et contestataire", elle a aussi été l'une des principales instigatrices de la manifestation du cinéma espagnol contre la guerre en Irak en organisée lors du gala des Goya en 2003. Il y a quelques mois, elle descendait dans la rue pour dénoncer "le génocide d'Israël à Gaza". "Désolé d'apprendre la nouvelle du décès de Marisa Paredes, l'une des actrices les plus importantes de notre pays", écrit le Premier ministre espagnol socialiste Pedro Sánchez sur X. "Sa présence dans le cinéma et le théâtre et son engagement pour la démocratie seront un exemple pour les générations futures", ajoute-t-il, en référence aux combats progressistes de l'actrice.

Marisa Paredes laisse une fille, également comédienne, Maria Carlota Isasi-Isasmendi Paredes, 49 ans, qu'elle a eue avec le réalisateur Antonio Isasi-Isasmendi. 

"Pour une actrice, jouer le rôle de Sarah Bernhardt, c'est comme toucher le ciel !", lançait-elle en septembre dernier lors d'une soirée consacrée à l'oeuvre du réalisateur suisse Daniel Schmid à la cinémathèque suisse, évoquant le film Hors saison (1992) dans lequel elle interprète la grande tragédienne. 

Ce 17 décembre 2024, la grande Marisa a définitivement touché le ciel.

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