Maroc : "la loi sur les violences faites aux femmes est une mascarade"

Le Parlement marocain a adopté, mercredi 14 février, une loi pénalisant les violences faites aux femmes, jugée "insuffisante" par les mouvements féministes. Pour Ibtissame Betty Lachgar, porte-parole du M.A.L.I, ce texte est "une mascarade", "il ne criminalise pas le viol conjugal et ne protège aucunement les femmes".
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Viol Maroc

Des femmes brandissent des affiches en signe en soutien à Amina Filali, qui s'est suicidée le 17 mars 2012 devant le parlement marocain à Rabat, au Maroc. Amina Filali a été violée à l'âge de 15 ans. Au Maroc, comme dans de nombreuses sociétés du Moyen-Orient, un violeur peut échapper aux poursuites s'il épouse sa victime, restaurant ainsi l'honneur de sa victime et de sa famille. C’est le triste sort de cette adolescente qui a été victime par la suite de viol conjugal. (Photo AP / Abdeljalil Bounhar)
 
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Alors qu’elle suscite de vifs débats depuis cinq ans, qu’elle a fait l’objet d'une succession d'amendements, la loi 103.13 définitivement adoptée, mercredi 14 février 2018, par la première chambre en deuxième lecture ne fait toujours pas consensus au Maroc.

Ce texte incrimine pour la première fois "certains actes considérés comme des formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitement ", selon une note du ministère de la Famille. Elle durcit également les sanctions pour certains cas et  prévoit des "mécanismes pour prendre en charge les femmes victimes" de violences.

L’agence de presse officielle MAP a de son côté déclaré que le texte de loi "permettra au Maroc de disposer d’un texte juridique de référence et cohérent susceptible de garantir une meilleure protection des femmes contre toutes formes de violence." Sans convaincre les mouvements féministes qui formulent de vives critiques contre la portée de cette loi, censée combler les insuffisances de La Moudawana - le Code du statut personnel qui régit le droit de la famille -  révisé en 2004, par le Roi du Maroc Mohammed VI.

Aucune mention du viol conjugal

"Déjà lors de la première adoption, le 30 janvier, nous la trouvions insuffisante voire vide", explique Ibtissame Betty Lachgar, porte-parole du M.A.L.I (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles), qui s’est fendu le jour même d’un communiqué dans lequel on peut lire en introduction : " Le 14 février, c’est la Saint-valentin, l’amour fêté par de nombreux couples. Au Maroc, au nom de l’amour, existent des violences institutionnalisées au sein des couples. Au Maroc, au nom de l’amour, des milliers d’épouses – dès la nuit de noce pour certaines – sont violées au quotidien."
 
Nous sommes là, face à un archaïsme primaire qui voudrait que le viol conjugal soit plutôt un devoir conjugal, un devoir des épouses.
Ibtissame Lachgar, co-fondatrice du M.A.L.I Maroc
L’organisation féministe fustige le gouvernement qui ne fait aucune mention du viol conjugal dans ce texte de loi. "Alors que les relations sexuelles entre personnes adultes consentantes hors mariages sont interdites dans le code pénal, cette loi ne criminalise pas le viol conjugal, poursuit Ibtissame Betty Lachgar. C est scandaleux et criminel. L'Etat est complice. Nous sommes là, face à un archaïsme primaire qui voudrait que le viol conjugal soit plutôt un devoir conjugal, un devoir des épouses. Les femmes ne seraient que des objets sexuels. Un viol conjugal est un viol. "
 
Le M.A.L.I avait également organisé, le 14 février jour de la Saint-Valentin, une campagne visuelle pour fustiger le viol conjugal. Plusieurs visuels ont été diffusés sur les réseaux sociaux visant à dénoncer que tout acte sexuel non consentis au sein du couple constitue un viol et en aucun cas un devoir conjugal. 
 
 
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Capture d'écran compte Facebook M.A.L.I Maroc
 
Pour Nouzha Skalli, militante pour l’égalité des sexes et ex-ministre responsable des droits des femmes, cette loi n'est "pas à la hauteur". " Elle ne modifie que quelques articles du Code pénal, alors que celui-ci reste fondamentalement basé sur des concepts obsolètes, comme l’atteinte à la pudeur publique ou la pénalisation des relations sexuelles hors mariage".   

Interrogée par Jeune Afrique, elle a ajouté que cette "loi ne peut pas être considérée comme une avancée " et qu'en comparaison à la loi tunisienne qui constitue un texte spécifique contre les violences faites aux femmes et non une simple réforme du Code Pénal, "la loi marocaine est nettement inférieure".

"Notre combat se heurte à la perception conservatrice du parti au pouvoir – Parti justice et développement (PJD, isalmiste)- particulièrement en matière des droits de femmes, a-t-elle poursuivi. J’en prends comme exemple la question de l’avortement. Il y a deux ans et demi, le roi avait donné ses instructions pour l’autoriser dans les cas extrêmes (viol, inceste…). On attend toujours."
 

Une loi saluée par la ministre marocaine 

Pour sa part, Bassima Hakkaoui, la ministre marocaine de la famille, de la femme et de la solidarité, issue du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) s’est réjouit sur sa page Facebook. "Grâce à Dieu !", a-t-elle écrit sur le réseau social, en précisant que la loi a été adoptée par 168 voix pour, 55 contre et une abstention .
 


 
 
Ce texte est "un outil législatif, mais aussi un outil pédagogique qui va nous aider à diffuser cette culture du respect de la femme et montrer que l'exercice de la violence est rejeté à la fois par la société et par l'État", a déclaré Bassima Hakkaoui, au site d'information marocain Telquel.ma.
 
"Cette ministre fait partie du PJD, islamiste, rétorque de son côté la porte-parole du M.A.L.I. Nous avons un gouvernement et un Parlement aux mentalités rétrogrades et masculinistes. Nous sommes face à tout un système patriarcal, justice compris. Cette loi est alors une mascarade et ne protège nullement les femmes. Parce que les définitions des infractions sont très limitées, sur la question de la prévention, de la prise en charge, de la protection de la victime, et de l’application des peines."
 
Au Maroc, les médias, les ONG et associations ne cessent d’alerter sur le fléau des violences subies par les femmes, en particulier le harcèlement dont elles sont victimes dans l’espace public. En août dernier, la vidéo d'un viol en réunion d'une jeune femme par un groupe d’adolescents à bord d’un bus à Casablanca, avait relancé au Maroc le débat sur le harcèlement et les violences envers les femmes dans l’espace public.
 

Un Observatoire national de la violence à l’égard des femmes a été créé mais il est qualifié de « coquille vide » par les féministes. 

Suivre Lynda Zerouk sur Twitter : @lylyzerouk