Fil d'Ariane
Masih Alinejad a les yeux rougis d’avoir trop pleuré. Assise dans un café de Brooklyn, cette femme à la chevelure imposante explique avoir appris une mauvaise nouvelle. En Iran, une personne qui avait pris part à son mouvement de contestation, visant à dénoncer le port du hijab obligatoire, a été arrêtée par les autorités. Masih Alinejad garde le sourire. Elle n’en dira pas plus. Pour une fois, elle n’est pas là pour parler politique, mais d’elle.
À 41 ans, cette Iranienne exilée aux Etats-Unis depuis cinq ans ne pense pourtant qu’au pays qu’elle a laissé derrière elle. Ce pays où elle ne pouvait pas vivre comme elle l’entendait, engoncée dans les interdits et les règles strictes imposées aux femmes. En Iran, les femmes sont interdites d’assister à des événements sportifs, de voyager hors du pays sans le consentement de leur mari ou encore de chanter en public.
Je suis issue d’une famille très traditionnelle. En Iran, la place des femmes est en cuisine. Ma mère y a passé sa vie, elle y a vieilli. Je déteste cette pièce. Aujourd’hui, je ne cuisine jamais.
Masih Alinejad
“J’ai ressenti une injustice très tôt, explique Masih Alinejad. A 8 ans, je devais rester à l’intérieur de la maison alors que mon frère Ali, âgé de seulement deux ans de plus que moi, avait le droit de sortir s’amuser.” Ali pouvait courir, faire du vélo, plonger dans la rivière de leur village situé dans le Nord de l’Iran. Autant d’activités interdites à la petite Masih, cantonnée elle à jouer à la poupée et à aider sa mère en cuisine. “Je suis issue d’une famille très traditionnelle. En Iran, la place des femmes est en cuisine. Ma mère y a passé sa vie, elle y a vieilli. Je déteste cette pièce. Aujourd’hui, je ne cuisine jamais.”
Désormais journaliste et activiste, Masih Alinejad mène sans relâche des campagnes en faveur du droit des femmes en Iran et contre le port obligatoire du hijab. Avec les mouvements “My Stealthy Freedom” (ma liberté furtive) et #whitewednesdays (mercredis blancs) sur les réseaux sociaux, cette militante ultra-connectée incite les Iraniennes à choisir leur mode de vie et à protester contre le port imposé du voile, ce tissu dont elle a été affublée dès l’enfance jour et nuit. Son livre The Wind in My Hair: My Fight for Freedom in Modern Iran (Le vent dans mes cheveux : mon combat pour la liberté dans l’Iran moderne), qui retrace son parcours, sort en ce mois de mai 2018 en Angleterre et aux Etats-Unis, pays où elle est désormais installée avec son nouvel époux.
De son propre aveu, Masih Alinejad n’a pas eu une vie facile. À 19 ans, “adolescente rebelle”, elle s’engage dans des actions militantes. Avec des amis et son frère Ali, elle écrit des pamphlets anti-gouvernement qu'elle distribue dans la rue. Le petit groupe se fait arrêter, Masih est emprisonnée pendant un mois. “J’étais enceinte à l’époque, confie-t-elle, c’est pour cela que je ne suis pas restée plus longtemps en prison. Mon frère, lui, est resté deux ans et demi derrière les barreaux.”
À sa libération, elle découvre, écœurée, que le sort des petites gens emprisonnées pour opposition au gouvernement n'intéresse pas les médias. Elle décide alors de devenir journaliste et déménage à Téhéran. Elle y devient reporter parlementaire jusqu'en 2005, date à laquelle elle révèle l’affaire des bonus. Ces révélations, qui concernent des sommes d’argent considérables données aux membres du parlement pour la nouvelle année, provoquent son expulsion du parlement. En parallèle, elle est également "expulsée" de son mariage, dit-elle. A l'époque, son mari lui annonce son intention d’épouser une seconde femme, en l’occurrence la meilleure amie de Masih, comme le lui permet la loi iranienne, qui autorise un homme à prendre jusqu’à quatre femmes à condition que la première épouse soit d’accord. Masih Alinejad refuse. L'homme demande le divorce.
Mère seule avec enfant, elle devient ensuite éditorialiste pour un journal, dont elle manque de causer la fermeture après la publication d’un article à charge contre le président de l’époque, Mahmoud Ahmadinejad, qui compare le chef d'Etat à un dresseur de dauphins pour son attitude envers son peuple. Suite au tollé que provoque l’article, elle est forcée de présenter ses excuses.
“Toutes les portes se fermaient pour moi en Iran. Je n’avais même pas le droit d’étudier en raison de mes actions politiques”, se souvient Masih Alinejad. “Quand j’étais petite, ma mère me disait ‘si tu es mise à la porte d’un endroit, trouve un autre moyen d’y entrer, passe par la fenêtre’. J’ai alors décidé de quitter mon pays.”
Masih Alinejad n’est désormais plus la bienvenue en Iran. Mais elle a gardé un pied dans la porte. Elle a trouvé sa fenêtre. “Grâce aux réseaux sociaux, sur lesquels je suis suivie par plus de 2 millions de personnes, je suis aujourd'hui davantage en Iran que lorsque j’étais physiquement là-bas”, se réjouit-elle. “Avant, je regardais les dirigeants iraniens dans ma télévision en noir et blanc. Maintenant ce sont eux qui regardent ce que je fais et écoutent ce que je dis. Les rôles se sont inversés.”
La popularité de Masih Alinejad a décollé en 2014, lorsqu'elle a posté sur Facebook une photo d’elle en train de courir dans une rue en Angleterre, les cheveux au vent et un large sourire aux lèvres. “Chaque fois que je cours dans un pays libre et que je sens le vent dans mes cheveux, cela me rappelle la période durant laquelle mes cheveux étaient otages du gouvernement iranien”, écrit-elle en légende.
La photo devient virale. Des Iraniennes partagent à leur tour des images d’elles tête nue dans l’espace public.
Masih Alinejad lance alors le mouvement “My Stealthy Freedom”, désormais suivi par plus d’un million de personnes, à travers lequel elle collecte et diffuse les photos de ces citoyennes qui défient la loi islamique. En enfreignant le code vestimentaire en vigueur en Iran, ces femmes peuvent être condamnées à des amendes ou encore arrêtées.
The streets and shorelines of Iran are everywhere patrolled by ISIS-style morality police, but people's response to their bullying behavior and false morality is a constant #inspiration! #WhiteWednesdays #forcedhijab pic.twitter.com/GUpAnq9Av7
— Tavaana توانا (@Tavaana) 9 mai 2018
“Cela m’a pris plusieurs années pour retirer complètement mon voile. C’était devenu une partie de mon corps", commente en ce qui la concerne la journaliste qui rappelle d’ailleurs, pour la énième fois, qu’elle n’est pas opposée au port du hijab mais simplement au fait que cela soit imposé.
Récemment, Masih Alinejad a également créé la campagne #whitewednesdays (mercredis blancs), qui incite les Iraniennes - et les Iraniens - à partager des photos et vidéos les montrant vêtus d’un foulard ou d’un habit blanc en signe de protestation contre le hijab obligatoire. Une manière de donner la parole à celles qui ne l’ont jamais.
Désormais, Masih Alinejad veut s'adresser à toutes les femmes et pas seulement aux Iraniennes. “Quand je vois des femmes politiques occidentales qui se disent féministes venir en Iran et porter le hijab sans poser de question, je ne trouve pas ça normal, juge-t-elle. Elles le font par peur d’être taxées d’islamophobie. Ce que je demande, c’est que l’on questionne cette obligation. Certaines femmes en Iran prennent des risques importants pour lutter contre cette règle. Or, si des féministes acceptent de le porter sans poser de question, cela décrédibilise notre action.”
Via ses différentes plateformes, elle incite également les femmes à se rendre dans les stades de foot, qui leur sont interdits. Début mars 2018, 35 femmes ayant assisté à une rencontre sportive à Téhéran ont été arrêtées par les autorités. “Ce n’est pas le gouvernement qui va nous donner notre liberté, estime Masih Alinejad. Il nous faut la prendre nous-mêmes.”