Masomah Ali Zada : "Les sportifs sont là pour faire des performances et délivrer des messages"

A 25 ans, Masomah Ali Zada est la première cycliste afghane, réfugiée en France, à avoir participé à des Jeux olympiques - c'était à Tokyo, à l'été 2021. Un rêve réalisé, mais rattrapé par une triste réalité : le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan. La jeune femme, symbole de liberté et d’émancipation, s’est s’exprimée début octobre au Parlement européen
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Masomah Ali Zada Parlement
Masomah Ali Zada prend la parole devant le Parlement européen début octobre 2021, lors du European Youth Event (EYE).
©Louise Pluyaud
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Chaque année, le European Youth Event (EYE) rassemble, au Parlement européen de Strasbourg, des milliers de jeunes venus de tout le continent. C'est à eux que Masomah Ali Zada, début octobre 2021, s’est adressée pour rappeler que le sort des Afghanes, dont les droits sont aujourd’hui menacés, dépend aussi de la communauté internationale.

European Youth Event (EYE)
European Youth Event (EYE), octobre 2021, Strasbourg. 
©Louise Pluyaud

Masomah Ali Zada est cette jeune Afghane qui, après avoir fui l’insurrection en Afghanistan, où faire du vélo pour une femme relève du défi, a trouvé refuge en France avec sa famille. Surnommées les "petites reines de Kaboul", Masomah et sa soeur Zahra Alizada ont obtenu l’asile politique, intégré un cursus universitaire sans jamais perdre de vue l’ambition de participer aux Jeux olympiques. Un rêve devenu réalité à l'été 2021 pour Masomah, qui a participé aux JO de Tokyo. Aujourd'hui, elle appelle la communauté internationale à agir pour que les femmes afghanes aient à nouveau le droit de faire du sport.

Entretien avec Masomah Ali Zada

Terriennes : Depuis des années vous poursuiviez le rêve de participer aux Jeux olympiques. Cet été, à Tokyo, vous avez participé à l’épreuve du contre-la-montre. Pouvez-vous nous raconter cette expérience ?

Masomah Ali Zada : C’était la première fois que participais à l’épreuve du contre-la-montre. J’étais face à 24 femmes cyclistes, les meilleures du monde. J’ai démarré la première, sans stress, en me disant que dans tous les cas, je ferai de mon mieux. Mes coaches, Thierry Communal et Alejandro Gonzales, directeur sportif de l'équipe féminine BikeExchange, me suivaient en voiture. Sur mon passage, des gens criaient mon nom : "Ali Zada ! Ali Zada !". J’avais l’impression de participer au Tour de France ! Cela m’a beaucoup encouragée.

Les réfugiés de l’équipe olympique m’ont aussi soutenue, en particulier une femme, Luna Solomon. Une Erythréenne de 27 ans, arrivée en Suisse en 2015, retenue pour l’épreuve du tir à la carabine à air comprimé à 10 mètres. Son histoire m’a donné du courage : Luna a un enfant, elle n’a pas de travail, mais le sport lui a permis de sortir de chez elle et de prouver ses capacités.

Au final, j’ai parcouru 22km à 30km/h en 44 minutes. Je suis arrivée 25ème mais j’étais satisfaite, tout comme mes entraineurs. Le principal était d’avoir tenu la promesse que je m’étais faite : représenter les femmes afghanes aux Jeux olympiques. Les sportifs sont là pour faire des performances et pour délivrer des messages. 

Masomah Ali Zada aux JO de Tokyo
Masomah Ali Zada au contre-la-montre individuel de cyclisme féminin aux Jeux olympiques d'été de 2020, le 28 juillet 2021, à Oyama, au Japon. 
©Tim de Waele/Pool Photo via AP


En août 2021, l'Afghanistan est retombé aux mains des talibans après l'effondrement des forces gouvernementales. Vous attendiez-vous à leur retour ?

Lorsque j’étais encore à Tokyo, à chaque fois que je consultais mon fil d’actualité sur Facebook, cela me rendait tellement triste. Je n’arrivais plus à dormir. Puis j’ai cessé de regarder les informations, à force de me sentir inutile. Le retour des talibans n’est pas étonnant. Je n’ai jamais eu confiance ni dans le nouveau gouvernement ni dans les forces américaines. Le peuple afghan a été abandonné. Les talibans ont beau dire qu’ils ont changé mais je n’y crois pas.
 

Votre famille, ainsi que les membres de l’équipe féminine de cyclisme afghane, sont-elles en sécurité ?

Grâce à l’action de David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale (UCI), conjointe avec celle de l’ambassade de France, ma grande soeur, ainsi que son mari et ses deux enfants, ont réussi à fuir le pays. Ils sont arrivés en France où ils se sont installés dans une maison en Bretagne. Ils ont vraiment été accueillis chaleureusement par les habitants. Mes deux neveux ont fait leur rentrée scolaire en septembre. Les retrouvailles à l’aéroport ont été intenses ! Je ne pensais jamais les revoir un jour… Toutefois, si mon parcours sportif m’a bien appris une chose, c’est que rien n’est impossible.

Des membres de l’équipe féminine de cyclisme afghane ont également été exfiltrées. Certaines sont en Suisse ou en Italie. Beaucoup de mes proches, des oncles, des tantes, des cousins, sont encore là-bas. Avec ma famille, nous sommes tous les jours en contact avec eux via WhatsApp. Leurs craintes sont surtout pour les jeunes : les talibans veulent les réquisitionner. Les garçons pour devenir des combattants et les filles pour être mariées de force…

Lorsque je me mets à la place des femmes afghanes, cela me désole d’imaginer ma vie sans aucune perspective d’avenir.
Masomah Ali Zada

Que craignez-vous pour les femmes afghanes ?

Un retour en arrière… Avec les talibans au pouvoir, elles vont devoir vivre cloitrées chez elles. Avant leur arrivée, beaucoup de jeunes femmes suivaient des études, un parcours sportif, etc. Ce sont des années perdues ! J’ai échappé aux discriminations, aux violences physiques que je subissais sur les routes avec mon vélo de la part d’Afghans influencés encore par la mentalité talibane. La France m’a offert d’innombrables possibilités, dont celle de participer aux Jeux olympiques - même si la volonté dépend avant tout de moi - et un futur. Lorsque je me mets à la place des femmes afghanes, cela me désole d’imaginer ma vie sans aucune perspective d’avenir.

Si je suis venue au Parlement européen, sur l’invitation du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), c’est pour dire que les femmes afghanes devraient avoir le droit d’asile sans discussion dans les pays européens. Avec Thierry et Patrick Communal, nous espérons prendre contact avec des eurodéputé.e.s susceptibles de défendre une réelle politique d’accueil au sein de l’Union européenne. Il ne suffit pas de témoigner son soutien avec le peuple afghan, les gouvernements peuvent par exemple négocier avec plus d’insistance avec les talibans pour défendre les droits des femmes. Plus que de dire, il faut agir !

Quel message voulez-vous transmettre à la jeunesse européenne ?

Désormais en Afghanistan, beaucoup de femmes ne peuvent plus aller à l’école, à l’université, travailler ou faire du sport. Elles sont privées de leurs droits basiques. Ici, en Europe, les gens sont libres. Ils ne vivent pas dans un pays en guerre ni soumis à l’insécurité. Ce que je veux dire aux jeunes, c’est qu’ils ont toutes les possibilités pour leurs études, leur travail, faire du sport, etc. Ils doivent prendre conscience de leur chance même si, bien sûr, atteindre ses objectifs ne se fait pas sans détermination ni motivation.
 

Quels sont vos prochains objectifs ?

En priorité mes études. Je viens de rentrer en Licence 3 de Génie civil à l’université de Lille et je dois trouver un stage pour janvier. Je compte aussi passer mon permis. Même si mon père m’a conseillée de faire une chose après l’autre : d’abord obtenir la licence puis le permis. Bien sûr, je garde dans un coin de ma tête une potentielle participation aux Jeux Olympiques 2024. Pour l’heure, si je reprends le vélo ce sera plutôt pour le plaisir, pas encore pour la compétition.