Fil d'Ariane
Masomah (droite) avec sa soeur cadette Zahra, à Paris, surnommées les petites reines de Kaboul.
Leur route est traversée de virages, mais les petites reines de Kaboul en ressortent à chaque fois plus fortes et déterminées. Depuis leur arrivée en France, les Terriennes ont suivi chacune de leurs étapes. En 2017, nous leur consacrions un reportage en Bretagne, où elles venaient tout juste de s’installer avec leur famille, accueillies dans une maison de vacances - qui fut pendant la Seconde Guerre mondiale un repère de la Résistance - appartenant aux Communal. Une famille française passionnée, comme elles, de cyclisme.
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obtiennent enfin l'asile en France
Dans La petite reine de Kaboul (éd. de l’Atelier, 2018), Patrick Communal, ancien avocat à Orléans, raconte comment il a aidé une jeune femme afghane à obtenir le droit d'asile en France - Masomah, menacée parce qu'elle participait à des courses cyclistes en Afghanistan
Après avoir découvert leur histoire en 2016 grâce à un reportage réalisé par Katia Clarens et diffusé sur Arte, Patrick Communal, ancien avocat à Orléans, et son fils Thierry, professeur à l’université de Lille, s’étaient démenés pour faire venir les jeunes Afghanes en France, avec leurs parents et leurs trois frères.
Les Alizada appartiennent à la minorité Hazara, de confession chiite, discriminée en Afghanistan et menacée par les talibans et Daech. Coachées par Thierry face au vent breton, les deux cyclistes s’étaient alors remises en selle. Avec un rêve en tête : participer aux Jeux olympiques pour l'Afghanistan et changer l'image des femmes de leur pays.
A la rentrée 2017, Masomah et sa soeur cadette Zahra quittaient le village breton de Guéhenno pour l’université de Lille, qui propose un dispositif d’accueil des étudiants en exil. "C’était un peu étrange au début," se souvient Masomah, âgée aujourd’hui de 23 ans et qui, après une bataille administrative menée par Patrick Communal, a obtenu avec sa famille le statut de réfugié politique. "Car dans notre résidence universitaire, filles et garçons sont mélangés. Alors qu’en Afghanistan, nous sommes séparés dans deux bâtiments distincts. Mais le temps a passé et je trouve à présent cette cohabitation normale et sans risques." Après un an d'étude intensive du français, les deux étudiantes afghanes ont pu intégrer le cursus universitaire. Masomah a choisi une filière en Génie civil et Zahra des études de SVT, sciences de la vie et de la Terre, avant de se tourner vers le médical. "Elle vient d'être acceptée dans une formation pour devenir aide soignante, raconte Thierry Communal. La crise sanitaire a montré qu’il y a une vraie demande. Et Zahra veut apporter son aide."
Aux côtés de celui qu’elles considèrent comme "un oncle", les petites reines de Kaboul ont repris l’entraînement sportif en parallèle de leurs études. "Dès que je le peux, je les emmène rouler dans des endroits vallonés, de monts en monts dans les Flandres, près de la frontière belge", détaille Thierry Communal. Le reste du temps, les filles sont prises en charge par le Résilience Club, présidé par le champion de cyclisme handisport, Jérôme Lambert. "Il y a surtout des hommes qui sont de très bons cyclistes. Et nous ne sommes pas encore au niveau. Le premier jour, Zahra a fait une mauvaise chute dans un virage, raconte Masomah dans un français impeccable. Après ça, elle a voulu arrêter, mais je l’ai remotivée. Le vélo c’est difficile, il faut s’accrocher pour y arriver."
Masomah Alizada devant le Musée Olympique, à Lausanne, Suisse. En novembre 2019, la cycliste afghane a obtenu l’accord du Comité International Olympique (CIO) pour intégrer le programme de Solidarité Olympique à destination des réfugiés. A ce jour, 50 athlètes dans le monde en bénéficient. C’est la première fois qu’un.e réfugié.e en France profite de ce programme.
Les petites reines de Kaboul sont aussi fermement restées cramponnées à leur rêve de Jeux olympiques. Le projet d’intégrer l’équipe d’athlètes réfugiés, représentée depuis les JO 2016 de Rio, se profile dès 2018. Pour obtenir plus d’informations sur la procédure de sélection et d’obtention de la bourse du programme de Solidarité Olympique du Comité international olympique (CIO), Thierry Communal écrit au ministère des Sports, au Comité national olympique et sportif français (CNOSF) ainsi qu’à l’Union cycliste internationale (UCI). "Il s’agit d’une aide à la performance qui permet à des sportifs qui ont le statut de réfugiés de s’entraîner et d’être retenus pour les Jeux. A ces athlètes qui ont été déracinés et qui, dans d’autres circonstances, avaient peut-être un rêve qui s’est écroulé, la Solidarité olympique donne les moyens de revivre leur ambition et d’espérer à nouveau", insiste Marc Chevrier, directeur des relations internationales du CNOSF, avant de rajouter : "La solidarité olympique garantit ainsi les valeurs et l’universalité du sport."
En février 2020, Masomah a participé à l'UCI Gran fondo de Casablanca sur 116 km. La jeune afghane a terminé 5ème de sa première course de la saison.
Avec le soutien de l’UCI et du CNOSF, la procédure est lancée. Zahra et Frozan Rasooli, une ex-coéquipière des soeurs en Afghanistan réfugiée aussi en France grâce à la famille Communal, "m’ont encouragée à postuler en tant que pilier du groupe", explique, reconnaissante, Masomah. Quelques mois plus tard, en novembre 2019, la cycliste afghane apprend son obtention de la bourse par le Comité olympique. C'est la première fois qu’une personne réfugiée en France dispose d’un tel soutien.
La liste des athlètes sélectionnés pour rejoindre l’équipe olympique des réfugiés devait être dévoilée en juin 2020. Mais avec la crise sanitaire, la date a finalement été repoussée en 2021. Un coup dur pour Masomah qui a bien sûr accepté d'attendre un an avant d'apprendre qu'elle était sélectionnée.
Seulement, l’entraînement cycliste ayant redoublé d’intensité début 2020, "j’ai consacré moins de temps à mes études", soupire-t-elle. L’étudiante n’a pas obtenu sa deuxième année de licence. "Si je ne l’ai pas l’année prochaine, je perdrai ma bourse universitaire." Son ambition pour la rentrée prochaine : "trouver l’équilibre entre les études et le vélo. Les deux demandent beaucoup de temps. Mais je compte me battre sur les deux fronts."
Au final, je veux montrer que les femmes sont libres de faire tout ce qu’elles veulent.
Masomah Alizada
Sur la ligne d’arrivée, la petite reine de Kaboul ne cherche pas la victoire coûte que coûte. "D’autant que si physiquement Masomah progresse et se donne toujours à fond, insiste Thierry Communal. Techniquement, il reste encore des choses à améliorer."
Pour avoir suivi l’évolution des deux cyclistes afghanes, notamment sur la cyclosportive de l’Ardéchoise, David Lappartient le soutient : "Il n’y a pas que des records mondiaux aux JO, il y a aussi de belles histoires. Cette participation serait avant tout un symbole fort pour toutes les femmes afghanes." Et Masomah de rajouter : "En participant aux Jeux Olympiques, je veux prouver deux choses : à ceux qui pensent qu’une femme sur un vélo c’est mal, et bien que c’est positif ; et à ceux qui trouvent bizarre qu’une musulmane qui porte un foulard soit cycliste, que c’est tout à fait normal. Au final, je veux montrer que les femmes sont libres de faire tout ce qu’elles veulent."
Les petites reines de Kaboul avec Thierry Communal au départ de l’Ardéchoise, en 2019.
La jeune Afghane espère ainsi poursuivre la voie ouverte par Tahmina Kohistani. Cette athlète afghane, spécialiste du 100 mètres, avait été en 2012 la seule femme sélectionnée pour représenter l'Afghanistan aux Jeux olympiques de Londres. A son retour au pays, Masomah et l'équipe de sport de son école étaient allées la féliciter au Comité olympique de Kaboul. "Parmi les athlètes de course à pieds, il y avait cinq garçons et Tahmina Kohistani. Elle n’avait pas gagné, mais elle était très fière d’avoir pu participer à la compétition", se souvient Masomah, animée de la volonté de faire une aussi belle échappée.
Retourner un jour en Afghanistan, "emprunter les pistes sablonneuses et rouler en direction de Bâmiyân pour saluer les trois statues monumentales de Bouddha", motive aussi Masomah. Sa grande soeur y vit toujours avec ses nièces et une partie de la famille. "La situation reste très compliquée là-bas, soupire la jeune exilée. Le pays a aussi été touché par le Covid-19 et la population n’a pas vraiment su réagir face à cette maladie. J’ai perdu des proches et parmi eux mon ancien entraîneur. Le seul à avoir cru en moi lorsque je n’avais personne pour m’encourager." Il s’appelait Abdul Sadiq Sadiqi. Ancien président de la Fédération afghane de cyclisme, il fut le premier à défier les talibans et à entraîner une équipe féminine de cyclisme. Interviewé dans le reportage de Katia Clarens, il confiait : "Un jour, des gens sont venus me chercher, ils voulaient me kidnapper et je me suis retrouvée à l’hôpital. Ces gens-là ne veulent pas qu’on entraîne les filles dans notre pays, j’ai peur à chaque minute que ça se reproduise."
Quand je reviendrai en Afghanistan, j’organiserai une grande course cycliste pour les femmes et pour les hommes.
Masomah Alizada
"Mais il a tenu bon alors que tout le monde lui tournait le dos", insiste Masomah. La cycliste afghane a des souvenirs plein la tête : "Une fois nous roulions avec l’équipe à la sortie de Kaboul. Il était midi et, avant de manger, le coach a tenu à nous laver les mains. Normalement, ce sont les petits qui le font pour les grands. Nous étions donc très gênées et avons refusé. Mais notre entraîneur a insisté : "Je le fais car le respect que je vous porte est immense. Un jour tout le monde saura ce que vous faites et vous deviendrez un exemple pour les autres". Si elle n’a pas pu se rendre aux funérailles de son entraîneur, Masomah s’en fait la promesse : "Quand je reviendrai en Afghanistan, j’organiserai une grande course cycliste pour les femmes et pour les hommes. Elle portera le nom de mon coach, Abdul Sadiq Sadiqi." Comme dit un proverbe afghan : "Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n'empêcheront pas la venue du printemps."
L'équipe d'Afghanistan féminine de cyclisme aux côtés de son entraîneur Abdul Sadiq Sadiqi, ancien président de la Fédération cycliste afghane décédé des suites du Covid-19. Quand elles s’entraînaient en Afghanistan, les petites reines de Kaboul étaient insultées et faisaient l'objet de jet de pierres et d’ordures. L'équipe a donc pris l'habitude de s'entraîner à la périphérie de la capitale Kaboul. En 2016, l'équipe a été nominée pour le Prix Nobel de la paix.
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