Maternités françaises : les mauvais calculs de la Cour des comptes

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Maternités françaises : les mauvais calculs de la Cour des comptes
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Près de quatre mois après le drame survenu à la maternité d'Orthez (Pyrénées-Atlantiques), la Cour des comptes a relancé le débat sur le sort des petites structures, préconisant des contrôles renforcés et d'éventuelles fermetures. Et si pour améliorer le fonctionnement de services indispensables au maintien du lien social dans des lieux reculés, au lieu de sanctionner, on réfléchissait.

Permettez en préambule de cet article de l'Agence France presse, une expérience personnelle. En 1984, j'accouchais de ma première fille. En deux heures, j'avais perdu les eaux et Sarah était là. Un accouchement aux complications imprévisibles. J'habitais alors Paris, avec un taxi en pleine, il me fallut 10 minutes pour rejoindre la maternité où j'étais inscrite. Mais si la même chose se passait au fin fond de la Drôme, après la fermeture de petites maternités, préconisée par les conseillers référendaires, peut-être que ma fille ne serait pas là.

La Cour des comptes, garante de la bonne utilisations des deniers publics, prétend avoir élaboré ses recommandations pour la sécurité des patientes. Un comble. Et l'on se prend à s'interroger : serait-ce parce que la haute juridiction,
au sommet de son organigramme, compte une seule femmes pour sept messieurs, soit une présidente pour 7 présidents et 1 procureur général ?

Les "sages" de la rue Cambon (siège de la Cour) se sont penchés sur la situation des maternités en France à la demande de la commission des Affaires sociales du Sénat (chambre haute du Parlement français), après un drame survenu dans une petite maternité des Pyrénées atlantiques. Une patiente était morte après un accident survenu lors de son accouchement par césarienne, dans la nuit du 26 au 27 septembre 2014. L'anesthésiste (belge) avait reconnu avoir un problème avec l'alcool, et avait été mise en examen. Le bébé avait survécu. Un mois plus tard l'établissement avait été fermé pour manque de personnel.

Et donc, on aurait pu imaginer plusieurs mesures prises après cette mort : augmenter le numerus clausus des candidats médecins, soutenir les sages femmes pour revaloriser leur statut
comme elle l'ont demandé pendant une année de grève ; aider au recrutement ; ne plus confier la gestion des établissements publics médicaux à des comptables venus du secteur privé - comme le montre l'excellent film français Hippocrate   - mais à des professionnels de la santé.

Au lieu de cela,
le constat des messieurs de la Cour des comptes est sans appel : plus que "nécessaire", une "nouvelle phase de réorganisation" du réseau des maternités est "inévitable". Traduction : de nouvelles fermetures sont à prévoir, les difficultés financières ou de recrutements rencontrés par certains établissements menaçant la sécurité des patientes.

Depuis les années 1970, la tendance est à la fermeture des petites maternités en raison d'une politique de réduction des coûts et des risques. Politique matérialisée en 1998 par des décrets fixant à 300 accouchements par an le seuil minimal d'activité pour les maternités. Ainsi, les deux tiers des établissements ont fermé depuis 1972, rappelle la Cour des comptes, qui en recensait 544 en 2012. Mais "un nombre significatif de petites maternités a été maintenu". Dans sa ligne de mire, 13 petites structures réalisant moins de 300 accouchements par an, notamment à Die (Drôme) - 177 accouchements en 2013, la plus faible activité enregistrée en France - ou à Ussel (Corrèze), où il est signalé "des risques avérés en matière de sécurité".

Un renforcement des déserts médicaux

La France enregistre des "résultats médiocres" en matière de périnatalité, occupant le 17e rang européen pour la mortalité néonatale (dans les 27 jours suivant la naissance), avec un taux de 2,3 pour 1.000.

La Cour préconise de "contrôler la sécurité du fonctionnement des maternités" réalisant moins de 300 accouchements par an et de "les fermer sans délai en cas d’absence de mise en conformité immédiate".

Dans les maternités visées, on peine à comprendre les "experts" de la Cour des Comptes. Ainsi, Jean-Luc Davigo, directeur du Centre hospitalier d'Ussel, assure que sa maternité est "un établissement sérieux" qui n'est pas remis en cause. "Une collaboration se met d'ailleurs en place avec le centre hospitalier de Tulle en pédiatrie et gynécologie-obstétrique afin que notre organisation soit optimale", précise-t-il.

Le maire de Die, Gilbert Tremolet, juge la norme de 300 accouchements par an "subjective". "Nous sommes autour de 140 à 150 accouchements par an. Cela dure depuis des décennies et rien de grave ne se passe".

"Nous avons des patientes qui viennent de Valdrôme ou de Saint-Dizier-en-Diois qui sont l'hiver déjà à 2 heures de route de Die. Si elles devaient mettre une heure et demi de plus pour rejoindre Valence (hôpital le plus proche, ndlr), alors là oui, il y aurait danger", fait-il valoir.

Des drames causés par l'éloignement

De fait, les défenseurs des petites maternités redoutent l'extension des déserts médicaux, synonyme, selon eux, de danger pour les patientes et leur bébé.
L'association Osez le féminisme rappelle ainsi  qu'une femme a perdu son nouveau-né fin 2012 "en accouchant sur l'autoroute A20, faute de parvenir à temps à la maternité de Brive, en Corrèze". La "sécurité ne doit pas se payer au prix de déserts médicaux et d’usines à bébés promus par une vision ultra-libérale des dépenses de santé", ajoute l'association.

Pour le principal syndicat de gynécologues obstétriciens, le vrai problème réside dans la pénurie de personnel qualifié. Quelque "200 obstétriciens sont formés chaque année en France, et la moitié abandonne finalement l'obstétrique" parce que c'est "pénible, risqué" et cela représente "beaucoup de responsabilités", dénonce le Dr Jean Marty, président du syndicat national des gynécologues obstétriciens de France.

"Les sous-effectifs, c'est aussi valable dans les grosses maternités" renchérit Nicolas Dutriaux, du Collège national des sages-femmes, qui dénonce les risques de burn out dans des maternités surchargées et dont la suractivité n'est pas étrangère, selon lui, aux quelque 70 décès enregistrés en couches chaque année.

Malgré toutes ces protestations, malgré les arguments pour maintenir ces maternités de proximité, la Cour des Comptes, une semaine après avoir rendu son avis,
maintenait et persistait.

On attend que les progrès techniques permettent aux hommes d'accoucher et on en reparlera avec les juges de la Cour des Comptes.

“Les maternités ne doivent pas être soumises à une logique comptable“

Reportage de nos partenaires de France Télévision
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A Die, dans la Drôme (sud est de la France), la maternité est menacée de fermeture. Les habitants se mobilisent.