Fil d'Ariane
MISE A JOUR 11 mai 2017 - C'est une très bonne nouvelle, un triple succès, pour "l'Etat de droit", la lutte pour la protection de l'environnement et la défense des peuples "indigènes". Le 3 mai 2017, la Cour suprême du Pérou a acquitté la militante Máxima Acuña de Chaupe, ainsi que sa famille, des charges "d'occupation illégale de terres" qui pesaient sur elle, un "crime" selon ses accusateurs. Une "décision historique" selon Amnesty International : « De nombreux défenseurs de l'environnement au Pérou sont criminalisés via des procédures pénales sans fondement, dans le but de les empêcher de mener leur travail légitime en faveur des droits humains, en épuisant leur force physique et mentale et leurs ressources limitées, tout en les faisant passer aux yeux de la population pour des criminels », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques de l'ONG de défense des droits humains.
Mais pour que cette victoire soit totale, il faudra encore que la justice suive dans le volet "civil" de l'affaire : les propriétaires de la mine d'or de Yanacocha exigent en effet de lourdes indemnités pour "non respect des droits de propriété", que Máxima Acuña de Chaupe et sa famille brandissent un titre de propriété en bonne et due forme... Les exploitants de Yanacocha annoncent qu'ils respecteront les décisions de justice. Dont acte.
En 2016, la lauréate latino-américaine du Prix Goldman pour l'environnement s'appelait Berta Caceres, militante écologiste et cheffe de file de la défense des droits des indigènes du Honduras. Berta Caceres avait été assassinée , chez elle, par des hommes lourdement armés, le 4 mars 2016. On ne peut qu'espérer que cette prestigieuse récompense du Goldman Environmental Prize ne conduise pas à la même fin criminelle Máxima Acuña de Chaupe, lauréate 2016, engagée dans un combat vital pour sa communauté et son pays.
Des histoires comme celle-ci s’écrivent tous les jours dans les riches montagnes de l’Amérique latine. La trame est invariablement la même : au dépens des droits et de la santé des locaux, une puissante compagnie fait tout pour exploiter des terres avec l’aval du gouvernement. Mais cette fois-ci le personnage principal n’est pas tout à fait le même. Avec son grand chapeau blanc et sa tenue typiquement péruvienne, Máxima Acuña de Chaupe est devenue, bien malgré elle, un symbole de la lutte paysanne de son pays.
Là où ce sont d’habitude les hommes qui prennent le chemin de la résistance, elle fait figure d’exception. Depuis plus de trois ans elle se bat contre un énorme projet minier, situé dans la région de Cajamarca dans les Andes du Pérou. Il s’agit du Conga exploité par l’entreprise Yanacocha, dont un des investisseurs est la Banque mondiale. Si celui-ci se concrétise, ce sera une des plus grandes mines à ciel ouvert de l’Amérique latine avec ses 3 000 hectares de terres.
Pour extraire d’importantes réserves en or et en cuivre, la compagnie, détenue à plus de 50% par l’américaine et très controversée Newmont, doit garantir un périmètre de sécurité autour du site. La propriété de la famille Chaupe se situe justement à l’intérieur de ce périmètre et refuse de la céder.
Tu es une puce face à un éléphant et il va t’écraser
La famille reste malgré les menaces et comprend que quitter son foyer, même détruit, c’est y renoncer définitivement. Le harcèlement se poursuit et s’intensifie. « Je reçois des appels anonymes sur mon portable », raconte-t-elle.
Cet état de siège les réduit à la pauvreté. Ne pouvant pas s’éloigner de chez eux, Máxima et son mari sont empêchés de vendre leur production artisanale dans les marchés. Ysidora Chaupe ne peut plus financer ses études à Cajamarca, la capitale de la région. Les traits tirés, sa mère relate son histoire les larmes aux yeux et la rage au ventre. A son impuissance s’ajoute la culpabilité d’être mauvaise mère, selon elle : « On m’empêche de subvenir aux besoins de mes enfants ! ».
Pour faire valoir ses droits, elle doit faire venir un procureur, qui lui exige de prendre en charge son voyage et ses frais. Cette visite sera couteuse et peu fructueuse. Cette mère courage a tout pour perdre : femme, peu instruite et indigène de surcroît. Paradoxalement, être indigène pourrait faire pencher la balance en sa faveur. Encore faudrait-il que son peuple soit reconnu par l’Etat, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. « On me dit que je suis folle et je ne connais rien », s’exclame-t-elle.
Consciente de la puissance de son ennemi, la famille porte plainte tout de même et le premier procès arrive enfin il y an un an. Deux armes redoutables lui permettent de tenir tête à l’avocat de Yanacocha. Les Chaupe possèdent les titres de propriété de leurs terres (La compagnie minière ne les a pas achetées et n’a aucun moyen de prouver que cette famille occupe ces terres illégalement) et Ysidora a filmé l’agression à l’aide de son téléphone portable. Mais la plainte est classée. La compagnie contre attaque en portant plainte pour usurpation de terres. Le Tribunal régional condamne toute la famille à quatre ans de prison et à une amende de 4000 soles, un peu plus de 1000 euros. Une fortune. Un Tribunal national annule la sentence en juillet 2013 et demande d’incorporer au dossier les preuves que détient la famille. Yanacocha fait appel.
C’est une bataille psychologique et judiciaire sans fin qui épuise Máxima et les siens. « Avec cette lutte, nous nous sentons parfois, malades, très faibles, confirme Ysidora. Mais où allons-nous vivre si nous sommes expulsés ? Où allons-nous travailler ? Nous ne pouvons pas abandonner ! »
« C’est la première fois que nous devons prendre en charge toute une famille pour stress et anxiété. Ysidora et Máxima ne veulent pas s’alimenter», s’indigne Glevys Rondón, directrice de projets chez Latin American Mining Monitoring Programme. Cette agence, basée à Londres, accompagne des paysans latino-américains comme Máxima dans leurs combats contre les compagnies minières. Elle fournit, entre autres, du soutien psychologique et contribue à donner une visibilité internationale à ces luttes absentes des colonnes des journaux locaux.