Ces fous rires qui nous prenaient. C'est qu'elle avait tant d'idées Maya Surduts pour faire avancer les droits des femmes. Et des drôles. Souvent.
Dans la coalition bariolée et brinquebalante qui s'était constituée autour de la candidature de Pierre Juquin à l'élection présidentielle de 1988, elle tenait le rôle de la "forte en gueule", celle à qui on ne résiste pas et qui avait accepté d'en être juste parce que les droits des femmes étaient l'une des priorités du programme. Le candidat rouge vert, ex porte parole du parti communiste français, était parfois un peu rétif.
Pourtant un beau matin, il se retrouva sur le parvis de Notre-Dame, devant une table à repasser, à tenter de donner bonne figure à une chemise armé d'un fer...froid. Il fallait en finir avec le noyau dur de la domination masculine, celui du ménage et autres tâches domestiques. Pas de compromis !
Si l'on mesure l'impact de cette image forte à l'aune des résultats du candidat, moins de 2%, il n'est pas certain que la militante était prête pour faire carrière dans la pub. Heureusement... Au reste, dans ma mémoire un peu confuse, je ne suis pas certaine qu'elle n'avait pas trouvé la réalisation de cette idée de potache un peu trop marketing. Elle avait le féminisme ancrée à gauche, et même à gauche de la gauche. Et parfois trop sérieux.
C'est à cette époque que je l'ai connue. J'aimais voir sa longue silhouette surmontée d'un casque d'abondants cheveux roux, puis bruns, avant de devenir gris, toujours aussi fournis. Elle marchait vite, parlait fort, la voix cassée par la cigarette et les slogans criés.
Dans un portrait savoureux
publié par le quotidien Libération en novembre 1995, on apprend que cette rousse explosive "
a été virée de Cuba, après y avoir vécu pendant huit ans comme interprète et militante. Et qu'elle rejoint en France un groupe trotskiste nommé Révolution (mélange de trotskysme et maoïsme, ndlr), dirigé par un ami connu à La Havane. Il l'envoie haranguer de sa voix rauque les assemblées du Mlac (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception)." La voix rauque déjà...
Juive lettonne, de son vrai nom Merija, elle était née en mars 1937 à Riga, cité des Pays Baltes, d'un père physicien et communiste. L’extermination des Juifs d’Europe la jette avec sa famille sur les routes de l’exil qui passeront par la France, l’Afrique du Sud, la Suisse, les Etats-Unis, Cuba.
Son itinéraire politique n’est pas beaucoup moins sinueux, il croise le sionisme, le castrisme, le trotsko-maoïsme, puis le trotskisme classique de la Ligue communiste révolutionnaire. A Cuba, elle veut être plus révolutionnaire que les révolutionnaires, elle plante ses légumes, rejoint la milice et obéit au parti. Mais, c’est une fausse obéissante : son compagnon est dissident et elle est rattrapée par ses propres ruades.
Elle pouvait être si sectaire que ça en devenait drôle. «
Elle piquait d'incroyables colères, se souvient, toujours citée par Libé, la gynécologue Joëlle Brunerie-Kauffman, autre militante historique de droit à l’avortement… Qui en fit les frais. A une manifestation pour la Bosnie, elle hurle contre un symbole de guerre, bricolé par des artistes, une espèce de gigantesque femelle. «
Mais ce n'est qu'un symbole ! » lui fait remarquer Joëlle Brunerie-Kauffmann. «
Tu as toujours été traîtresse à la cause des femmes ! » lui rétorque Maya.
C’était aux temps glorieux du Mlac (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception), avant qu’elle ne s’engage dans sa propre organisation la
CADAC qu’elle co-fonda en 1990 puis qu’elle s’investisse au sein du
Collectif national pour les droits des femmes. Elle avait pris la tête des marches pour le droit à l'avortement en 1995. Puis à nouveau lorsque l'IVG fut menacée partout en Europe, en Espagne, en France même, en Irlande, en Pologne, avec l'arrivée d'ultra conservateurs au sommet de l'Etat ou à la tête d'assemblées locales.
En février 2016, nous avions eu indirectement de ses nouvelles en publiant sur Terriennes une tribune féministe collective "
pour une société émancipatrice, ni prostitution, ni GPA". La plume, mais elle n’était pas seule auteure, était encore mordante pour refuser toute marchandisation du corps des femmes.
Ses colères, ses rires, ses anathèmes et autres injonctions, manqueront à beaucoup d'entre nous.