McDonald's : des syndicats dénoncent une culture du harcèlement sexuel

Commentaires vulgaires, attouchements, agressions : McDonald's entretiendrait une culture du harcèlement sexuel. C'est ce que dénonce un groupe de syndicats internationaux qui a décidé de saisir l'OCDE pour "harcèlement sexuel généralisé dans une société multinationale". Au cours de ces dernières années, de nombreuses plaintes ont été déposées aux Etats-Unis. 
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Une coalition internationale de syndicats saisit l'OCDE, accusant la chaîne de restauration rapide McDonald's de "harcèlement sexuel" systématique, au sein du personnel, mais aussi vis-à-vis des client-e-s. 
©AP Photo/Martin Meissner
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"Venez comme vous êtes", ce slogan bien connu du géant mondial de la restauration rapide se veut accueillant, mais il pourrait dissimuler une réalité moins bienveillante, du moins en interne. Depuis plusieurs années, des faits de harcèlement sexuel sont pointés du doigt par des salariées, notamment aux Etats-Unis. A l'heure du déconfinement, et alors que la chaîne reprend plus ou moins partiellement son activité dans ses restaurants à travers le monde, ce sont cette fois des syndicats qui décident mettre en lumière cette part plus sombre de l'entreprise. Rassemblés au sein d'une coalition internationale, ils ont officiellement saisi l'Organisation de coopération et de développement économiques. "La violence et le harcèlement basés sur le genre font partie de la culture de McDonald's", estime ce groupe qui s'est adressé au Point de contact national néerlandais de l'OCDE.

Leur plainte vise également deux banques d'investissements, la Néerlandaise APG Asset Management et la Norvégienne Norges Bank, présentes au capital de McDonald's à hauteur d'1,7 milliard de dollars.

Unique réaction officielle du roi du Big Mac à cette heure : il se dit prêt à étudier la saisine dès sa réception, tout en rappellant avoir déjà instauré "une discussion très importante concernant un environnement de travail sûr et respecteux (dans ses établissements) aux Etats-Unis et dans le monde".

Culture du harcèlement chez MacDo ?

Le dossier déposé par les syndicats s'appuie sur de nombreux témoignages de salarié-e-s originaires d'Australie, Brésil, Chili, Colombie, France, Royaume-Uni et Etats-Unis. Cela va des "commentaires vulgaires aux agressions physiques".

Exemple, celui de Jamelia Fairley. La jeune femme travaille depuis quatre ans dans un restaurant franchisé de Sanford, en Floride. Elle raconte avoir été victime de commentaires à caractère sexuel et d'attouchements de la part de collègues masculins. L'entreprise "n'a pas pris au sérieux" ses signalements répétés mais a réduit ses heures de travail, assure-t-elle.

La coalition syndicale cite aussi une affaire dans un restaurant en France. Un responsable aurait installé un téléphone portable dans les vestiaires afin de filmer les employées féminines en train de se changer.

Autre signalement au Brésil où Ricardo Patah, le président du Syndicat général des travailleurs brésiliens, évoque vingt-trois plaintes pour harcèlement moral et sexuel ainsi que pour discrimination.

Grève et polémique aux Etats-Unis

En septembre 2018, des employé-e-s de McDonald's dans dix villes américaines s'étaient mis en grève pour protester contre le manque d'efforts faits par l'entreprise pour protéger son personnel face au harcèlement sexuel. S’inspirant du mouvement #MeToo, les grévistes, majoritairement des femmes, réclamaient des mesures pour stopper ce qu'elles qualifiaient alors d'"épidémie". Elles entendaient aussi dénoncer la précarité qui touche surtout les salariées femmes, mais aussi exiger de meilleures conditions de travail et une augmentation de salaire. Ce mouvement de grève avait reçu l’appui de la plateforme "fight for 15$", un regroupement œuvrant pour l’augmentation du salaire minimum à 15$ de l’heure dans la restauration rapide aux Etats-Unis.

Au printemps 2019, plus d'une vingtaine de plaintes sont déposées pour harcèlement sexuel ; le groupe est accusé d'inaction depuis les premières plaintes. Attouchements, comportements exhibitionnistes, propositions de rapports sexuels ou représailles à l'encontre d'employé-e-s ayant fait un signalement.. Les salarié-e-s de restaurants d'une vingtaine de villes saisissent une commission fédérale spécialisée dans le droit du travail. Un rassemblement de protestation sera même organisé devant le siège de l'entreprise à Chicago, deux jours avant la réunion annuelle des actionnaires du groupe.

Quelques mois plus tard, en novembre, cette fois c'est la direction du géant américain du fast food qui se retrouve au coeur d'une autre polémique. Son directeur général Steve Easterbrook se fait licencier pour avoir eu une liaison, certes "consentie" avec une membre du personnel, mais interdite par le règlement de l'entreprise.

Aucun effet #MeToo dans cette affaire. C'est la règle dans la plupart des entreprises américaines : il est déconseillé voire interdit de sortir avec un-e  salarié-e qui se trouve, par définition pour un PDG, être son ou sa subordonné-e, une mesure de "précaution" destinée à écarter d'éventuelles accusations de traitement préférentiel ou de harcèlement sexuel.

Le directeur écarté a reconnu avoir commis "une erreur". Quelques mois plus tôt, en réaction aux nombreuses plaintes pour harcèlement sexuel déposées au sein de l'entreprise, il déclarait : "Nous avons amélioré notre politique de façon à ce que celle-ci informe plus clairement nos employés sur leurs droits, définisse plus clairement le harcèlement sexuel, la discrimination et les représailles, et donne des exemples de comportement inacceptable."

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Steve Easterbrook, en septembre 2019, lors d'une opération com dans un des restaurants MacDo de Chicago. Le chef exécutif de la chaîne aux Etats-Unis a été licencié à la fin de l'année pour relation "consentie" avec une salariée, ce qui est interdit par le règlement. 
©Alyssa Schukar/AP Images for McDonald's

Une première pour l'OCDE

Si le siège de McDonald's se trouve aux Etats-Unis, l'entreprise est aussi responsable des conditions de travail dans ses établissements franchisés, soit 90% des restaurants, selon les syndicats, qui précisent avoir choisi les Pays-Bas car le pays est le "centre nerveux" des opérations de McDonald's en Europe et le siège de la banque APG.

En Europe, McDonald's est la première chaîne de restaurants avec près de 500 000 salariés, dont 90% sont franchisés. Mais les conventions collectives sont différentes selon les pays et ne s'appliquent pas forcément aux salariés des restaurants franchisés, précise de son côté Kristjan Bragason, secrétaire général de la Fédération européenne des syndicats de l'Alimentation, de l'Agriculture et du Tourisme.
 

Ces principes ne sont pas des lois, mais ils créent des obligations pour les sociétés multinationales.
Lance Compa, expert en droit international du travail

Selon la coalition de syndicats, cette saisine pour "harcèlement sexuel généralisé dans une société multinationale" est inédite. Elle entre dans le cadre des principes directeurs de l'OCDE qui prévoient notamment que les multinationales et leurs actionnaires respectent les droits du travail tels que la protection des salariés contre les violences sexuelles. 

"Ces principes ne sont pas des lois, mais ils créent des obligations pour les sociétés multinationales", explique Lance Compa, expert en droit international du travail. "C'est un système non contraignant ; le PCN (Point de contact national néerlandais de l'OCDE) ne peut ni forcer McDonald's à faire quelque chose, ni punir ou faire payer" l'entreprise, souligne encore Lance Compa. Selon lui, le processus "a déjà prouvé qu'il était efficace" et que "beaucoup de médiations avaient réussi" à réformer certaines entreprises qui craignaient de voir leur image de marque écornée.

La balle est désormais dans le camp du bureau néerlandais de l'OCDE qui décidera d'ici trois mois s'il entame une procédure de médiation entre les syndicats et la multinationale du "fast food".