Fil d'Ariane
Vanessa Mendoza Cortes, lors de notre entretien en visio conférence quelques jours avant son procès le 4 décembre 2023 à Andorre.
Vanessa Mendoza Cortes, jugée pour diffamation pour avoir évoqué son combat en faveur de la dépénalisation de l'avortement à Andorre, a été acquittée . Dans la principauté d'Andorre, micro-Etat coincé entre l'Espagne et la France, l'IVG est considérée comme un crime, même en cas de viol. Entretien exclusif pour Terriennes.
La connexion établie, Vanessa Mendoza Cortes apparaît sur l’écran de l'ordinateur. Souriante et chaleureuse, d’une voix déterminée, elle nous raconte son quotidien, son combat. Derrière elle, sur le mur, une pancarte avec le dessin d’une femme pendue et le slogan « Ils nous jugent parce que nous voulons des droits », et « Rdv le 04 décembre » (date de son procès à Andorre, ndlr).
Ce décor est aussi, celui où depuis un peu plus d’un mois, elle raconte jour après jour, face caméra dans des vidéos qu’elle poste sur internet, l’état des ses émotions dans cette attente pour ce qui est nommé comme le jugement de la honte.
Se faire lyncher publiquement parce qu’on défend le droit des femmes à avorter, n’est pas le scénario d’un film dystopique, tel est le quotidien vécu par cette psychologue et hardie militante des droits des femmes de 43 ans. Présidente de l’Associacio Stop Violencies, qui milite contre les violences de genre et pour la dépénalisation de l'avortement en Andorre. Ce combat lui a valu être traquée par le gouvernement. En cas de condamnation, elle pourrait se voir infliger une amende de 6 000 euros pour diffamation, et porter une mention sur son casier judiciaire.
C’est en octobre 2019 qu'elle s’attire les foudres des autorités de son pays. Lors de la quatrième session de l’Examen périodique universel mené par le Comité de l’ONU pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEW), elle s’exprime sur diverses questions relatives aux droits des femmes, notamment sur l’impact funeste de l’interdiction totale de l’avortement dans la principauté andorrane, un micro-état coincé entre l’Espagne el la France.
Haut et fort, elle y déclare que les femmes d'Andorre vivent dans une « théocratie parlementaire » qui entrave le droit au accès à l’IVG, où il est totalement interdit sous peine de prison. Le gouvernement s’offusque et dépose une plainte contre elle. L'administration de Xavier Espot y Zamora, chef du gouvernement, dans un premier temps demande la prison, aujourd’hui deux des trois chefs d'inculpation initiaux sont abandonnés, mais elle reste toujours accusée d'un délit "contre le prestige des institutions" (art. 325 du Code pénal).
Pour rappel, l’IVG est rigoureusement interdite dans cette principauté, même en cas d’inceste, de viol ou lorsque la grossesse met en danger la vie de la mère. Enfreindre cette interdiction expose à une peine de six mois de prison pour la femme enceinte et de trois ans de prison pour le médecin pratiquant l’intervention.
Amnesty International a lancé une campagne et une pétition pour soutenir la militante. L'organisation rappelle aussi sur son site que dans une déclaration publique, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a appelé les autorités andorranes à garantir la liberté d’expression de la défenseure des droits des femmes Vanessa Mendoza Cortés et à assurer un environnement favorable au travail des défenseur·e·s des droits des femmes dans le pays.
Plus de 70 000 personnes, notamment en Belgique, en France, en Italie, en Irlande, en Finlande, en Espagne ou au Royaume-Uni, ont appelé le procureur général d’Andorre à abandonner les charges pesant sur la militante.
Terriennes : Comment vivez-vous cette persécution politique ?
Vanessa Mendoza Cortes : On s’habitue à tout. Mais la violence structurelle est brutale, et subir un procès public pendant autant d'années, c'est très violent.
Cependant, l'un des exploits que ces violences ont permis de réaliser en résistant à tout ce qu'ils nous ont fait subir, c'est de montrer aux habitants d'Andorre et aux étrangers, le pays oppressif dans lequel nous vivons, parce que nous ne le voyions pas, cela nous paraissait normal. Nous sommes enfermés entre deux frontières. Nous ne vivons pas dans une démocratie. Nous vivons dans un État totalitaire misogyne et théocratique. Et c'est pour cela que je suis poursuivie.
Maintenant, comment est-ce que je vis l'oppression ? J'ai traversé des phases, car au début, lorsque le gouvernement m'a dénoncée, tout le monde a dit que je le méritais. Et ceux qui pensaient différemment se taisaient par peur. Nous avons traversé une période de confinement, une pandémie et une période post-pandémique où le lynchage à notre encontre s'est encore aggravé. Il a donc été très difficile de voir comment ils nous ont utilisés comme un écran de fumée, et encore plus pénible, ça a été de voir comment les gens ont cru à ce discours.
Pendant ces deux dernières années, j'étais désignée comme la « puta loca » (une pute folle), c'était très dur. Vanessa Mendoza Cortes
Cet ostracisme dans votre pays avait favorisé l’acharnement médiatique à votre encontre ?
Lorsque nous avons rendu publique cette affaire, Amnesty International a fait une déclaration (en février 2021), expliquant ma situation et demandant au gouvernement de cesser ses accusations. Après cette intervention, certaines personnes ont commencé à s'exprimer et il est apparu clairement que tout le monde n'était pas d'accord avec ces accusations. Cela commence à susciter un débat en Andorre et à remettre en question le gouvernement lui-même, mais pendant ces deux dernières années, j'étais désignée comme la « puta loca » (une pute folle), c'était très dur.
Il y a eu et il y a un vraie déferlante de critiques à votre égard…
Quand une société entière vous dit que vous êtes le méchant, vous avez tendance à le croire. Bien sûr, je l'ai tellement cru que l'une des choses qui nous arrivent, à nous les défenseurs des droits de l'homme, c'est de tomber dans la dépendance, et je suis brièvement tombée dans une très forte dépendance à l'alcool. Je ne m'en suis pas rendu compte et je le raconte parce que je crois que nous n'avons pas à nous cacher ; parce que nous sommes humains des situations comme celle-ci nous mettent dans des états très difficiles et croyez-moi, je n'ai pas bu un verre depuis deux ans, mais le désir de boire chaque fois que je suis lynchée publiquement ou que, eh bien, la pression pour le procès, vous avez besoin d'une échappatoire.
Pourquoi accusez-vous Andorre d'être une "théocratie parlementaire", ce qui à la base de votre inculpation ?
Dans notre parlement, nous avons des élections mais elles sont factices, nous avons une certaine souveraineté mais pas beaucoup car les lois importantes comme l'avortement doivent passer soit par le Président français - aujourd’hui Emmanuel Macron - ou bien soit par l’évêque d’Urgell en Catalogne, Joan Enric Vives i Sicília ; qui avait déjà menacé dans le passé d’abdiquer si l’avortement était autorisé, en créant une sorte d’instabilité politique inédite.
Andorre a, la particularité d'avoir deux chefs d'État, appelés coprinces, qui exercent conjointement le pouvoir. Et l'une d'entre elles est un représentant de l'église, nous sommes donc dans une "théocratie". Nous avons un évêque qui est aux commandes, c'est lui qui décide quelles lois sont adoptées et quelles lois ne le sont pas.
Et le gouvernement andorran ne peut rien faire ?
Ici, domine un patriarcat tout puissant. Tous les partis politiques de droite, d'extrême droite, du centre et de l'extrême centre - car les partis de gauche n'existent pas vraiment ici - tous sont favorables au maintien de cette forme de gouvernement de coprincipauté. Les jeunes pensent que c'est un anachronisme, ils en ont un peu marre parce qu'il y a des gens qui pensent qu'ils sont des êtres "magiques" et qu'ils doivent nous gouverner.
D’autre part, Xavier Espot Zamora, le chef du gouvernement (parti de centre droite, ndrl) nous, a dans le collimateur depuis le début. C’est son administration qui a entamé la procédure pour diffamation. Déjà à Noël 2018, il avait dit que nous sommes "le poison qui tue l'arbre de l'institution".
Avez-vous eu l'impression d'être seule ?
Non, non ! Je ne me suis pas sentie seule parce que Associacio Stop Violencies est un groupe, nous avons toujours été ensemble, je suis la seule à être vue parce que je suis la présidente, mais je ne suis pas seule, je ne l'ai jamais été. Non seulement au niveau national, mais aussi au niveau international, j'ai reçu le soutien de mes collègues en Catalogne, du Parlement, des organismes internationaux, d’Amnesty International, du Planning Familial français, entre autres. La sororité des femmes d'autres pays s’est organisée.
Je me bats, parce que nous menons cette lutte pour les droits de toutes les femmes. Vanessa Mendoza Cortez
C'est ce qui m'a donné beaucoup de courage. Je me bats, parce que nous menons cette lutte pour les droits de toutes les femmes, et il arrive dans mon pays qu’il y a des femmes qui me disent des choses comme « vous ne me représentez pas » ou « je ne veux pas vous que vous me représentiez parce que vous êtes un agitatrice ». Mais, je sais que tout cela est dû à des groupes de femmes qui soutiennent le gouvernement et qui ont beaucoup nui à la lutte.
Comment l’expliquer ?
Lorsque j'ai fondé Stop Violencies en 2014, le féminisme est entré en Andorre. Auparavant, il n'y avait pas de lutte féministe, il y avait des groupes de femmes qui se réunissaient socialement pour un objectif spécifique et qui se sont ensuite dissous. Nous sommes les seules à mener ce combat. Nous savons qu’elles n’aiment pas l'entendre parce que le gouvernement a créée des groupes de femmes, qui sont le visage selon eux, du féminisme.
Il n’y a pas de sororité de leur part. Elles prennent donc notre discours et le vident de son contenu, elles nous ont rendu invisibles et font des choses qui semblent féministes, mais qui ne le sont pas. Ces dernières années, aucune lutte efficace n’a été menée. De plus, elles disent aux autres femmes qui viennent dans leurs associations qu'elles sont féministes et que moi, je suis une agitatrice, une radicale et une antipatriote.
Elle était victime de la violence de son partenaire, de la violence institutionnelle patriarcale, mais nous ne le voyons pas parce que c'est normal, cela arrive à neuf personnes sur dix. Vanessa Mendoza Cortes
Et cela, malgré la situation des droits des femmes dans le pays ?
Il n'y a pas longtemps, nous tenions un stand lors d'un rassemblement dans la rue très important, qui dure trois jours. Une dame est venue nous dire qu'il ne fallait pas toucher aux hommes politiques, que ce que nous faisions n'était pas bien et que je ne savais pas pourquoi j'étais punie mais que si j'avais dit du mal des hommes politiques, c'était bien fait. Puis quelqu'un est venu me dire que cette femme avait été maltraitée, qu'elle avait des enfants qui la maltraitaient aussi, et qu'elle était amère. Elle était victime de la violence de son partenaire, de la violence institutionnelle patriarcale. Nous ne le voyons pas parce que c'est normal, cela arrive à neuf personnes sur dix.
Je suis déjà coupable, ça s’appelle Probatio diabolica, un terme du Moyen-Âge qui était utilisé pour les sorcières, je ne peux pas prouver que je suis innocente alors que vous m'avez déjà condamnée. Vanessa Mendoza Cortez
Comment vivez-vous ce procès ?
Le jugement social a déjà été rendu. Je suis déjà coupable, ça s’appelle Probatio diabolica, un terme du Moyen-Âge qui était utilisé pour les sorcières, je ne peux pas prouver que je suis innocente alors que vous m'avez déjà condamnée. Je suis actuellement en liberté provisoire, ce qui signifie que lorsque je participe à des manifestations et que je dis quelque chose qui ne plaît pas, je pourrais aller directement en prison. Aujourd'hui, je risque six mois d'interdiction d'exercer une fonction publique, ce que je ne comprends pas. En plus des six mille euros d'amende pour diffamation et six mille euros de dommages et intérêts. (son acquittement a été prononcé le 17 janvier 2024, ndlr)
Selon vous, l'objectif de ce procès est de vous faire taire ?
Sauf que maintenant, cette affaire est devenue incontrôlable, parce que je ne suis pas la seule à être persécutée. Cela crée un précédent : je suis la première personne à être jugée pour diffamation de l'institution, c'est déjà dans les annales de l'histoire. On m'a donné plus de voix que je n'aurais pu l'imaginer dans ma vie.
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