Fil d'Ariane
Après avoir décroché de nombreux titres mondiaux, à commencer par le suprême Ballon d'Or, Megan Rapinoe met fin à sa carrière professionnelle. Star du football, porte-voix féministe et LGBTQ, la championne américaine raccroche ses crampons, mais pas son costume de militante. Portrait.
La championne de football Megan Rapinoe annonce qu'elle mettra fin à sa carrière à la fin de la saison et après une ultime Coupe du monde, tout en poursuivant ses nombreux combats pour l'égalité femmes/hommes et pour les droits LGBTQ.
Un palmarès à faire pâlir d'envie plus d'un.e joueur.se : double championne du monde, championne olympique, en 2012 à Londres, Ballon d'or, l’attaquante aux 199 sélections et aux 63 buts est aussi une militante engagée qui a théorisé la responsabilité des sportifs et des sportives à prendre position dans les débats publics.
"C'est avec un sentiment profond de paix et de reconnaissance que j'ai décidé que cette saison serait ma dernière à pratiquer ce sport magnifique", voilà les mots de Megan Rapinoe pour annoncer son départ à la retraite, début juillet 2023.
Je ressens une incroyable gratitude d’avoir joué aussi longtemps, vécu tous nos succès et fait partie d’une génération de joueuses qui laisseront indubitablement le football dans un meilleur état que celui dans lequel elles l’ont trouvé. Megan Rapinoe
Les coéquipières de Megan Rapinoe n'ont gagné aucun de leurs trois matches contre des sélections européennes : Pays-Bas (1-1), Portugal (0-0) puis Suède (0-0). Habituées à tout écraser sur leur passage, les Américaines subissent-elle les progrès d'une concurrence qu'elles ont elles-mêmes inspirées, entre professionnalisation des clubs et lutte pour l'égalité salariale ?
Savoir qu'on a utilisé notre talent pour faire quelque chose qui a changé le monde pour toujours, c'est ce qui compte le plus pour moi.Megan Rapinoe
Son militantisme décomplexé et ses inspirations balle au pied ont fait de Megan Rapinoe le symbole mondial de ce football féminin, dont elle a accéléré le développement. "Savoir qu'on a utilisé notre talent pour faire quelque chose qui a changé le monde pour toujours, c'est ce qui compte le plus pour moi", déclare-t-elle à la chaîne Fox Sports.
"Vous avez fait en sorte que ce sport compte... Rappelez-vous toujours que vous encouragez les femmes et les filles du monde entier à se battre pour leurs rêves", confirme Jill Biden, première dame des Etats-Unis.
Pour son engagement en faveur de la justice sociale, l'équipe nationale féminine de football, à commencer par Megan Rapinoe, est régulièrement prise à partie par la droite américaine. Beaucoup d'élus conservateurs s'étaient dit choqués par le fait que plusieurs joueuses de la sélection aient posé un genou à terre pendant l'hymne national ces dernières années pour protester contre les inégalités raciales dans le pays.
Pour le candidat Donald Trump sur le réseau TruthSocial, leur défaite contre la Suède était "tout à fait emblématique de ce qui arrive à notre ancienne grande nation... Beaucoup de nos joueuses étaient ouvertement hostiles aux Etats-Unis. Aucune autre sélection ne s'est comporté de la sorte. C'est l'échec de la pensée woke... Bien joué, Megan !", ironise-t-il
Megan Rapinoe des États-Unis console Jessica Silva du Portugal à Auckland, Nouvelle-Zélande, le 1er août 2023.
Superstar de la coupe du monde féminine devenue icône de la lutte féministe, des droits LGBTQ et des minorités dans le monde du football, Megan Rapinoe fascine. Après sa victoire en Coupe du monde, elle décroche le Ballon d'Or 2019 décerné par le jury France-Football.
Here is the 2019 Women's Ballon d'Or Top 3 ⤵️
— #BallondOr (@francefootball) December 2, 2019
1. @mPinoe
2. @LucyBronze
3. @alexmorgan13
#ballondor" pic.twitter.com/LO32VYH3qj
Cheveux courts directement inspirés de l'actrice Tilda Swinton dont elle est la grande fan, teintés en rose ou en vert, il est difficile de rater Megan Rapinoe sur un terrain. Rapide et habile, son sourire fait ressortir des dents blanches parfaitement alignées. Sur les réseaux sociaux, elle multiplie les messages de persévérance, de lutte et d'amour de soi.
Mais il faut aussi se pencher plus précisemment sur son jeu et ses incroyables qualités d'attaquante. Capitaine de l'équipe de football des Etats-Unis, elle occupe le poste de milieu de terrain. Sacrée championne du monde en 2015, sa force sur le terrain est bluffante : rien ne semble l'arrêter. "Pinoe" surgit toujours à un moment où on s'y attend le moins. Tel un tonnerre, elle attrape la balle, accélère le pas, fonce... et marque. Comme pour donner corps à ce qu'elle avait déclaré au New York Times quelques jours avant le début de cette Coupe du monde féminine : "La chose la plus importante, c'est de continuer à gagner", faisant référence aux précédentes coupes que les Américaines ont remportées dans leur Histoire.
La footballeuse de 38 ans tape dans le ballon depuis son plus jeune âge. Elevée en Californie, elle a trois ans lorsqu'elle joue au foot pour la première fois, imitant son grand frère qu'elle idolâtre. Arrive l'adolescence, et l'apparition de la drogue dans la vie de son frère. Quand Megan Rapinoe souffle ses 10 bougies, son frère en a 15 et se retrouve derrière les barreaux en détention juvénile. Le football devient alors une échappatoire pour la jeune fille et lui permettra de se tenir à l'écart des problèmes d'addiction qui sévissent dans le milieu rural de la Californie.
En 2005, elle intègre l'équipe de foot de son université (Portland) et enchaine les victoires. Petit à petit, elle se fait connaitre et intègre l'équipe nationale des Etats-Unis. En 2011, après avoir disputé sa première Coupe mondiale, elle rentre avec la médaille d'argent. S'ensuit une carrière internationale marquée par de nombreuses victoires et une ascension fulgurante pour la milieu de terrain, qui s'est déjà fait connaître en Ligue des Champions.
L'emballement médiatique autour de Megan Rapinoe la fait connaitre du grand public. Farouchement anti-Trump, elle a déclaré qu'elle ne comptait pas se rendre à la Maison Blanche si son équipe gagnait la Coupe du monde. "Je ne veux pas que cette équipe de foot, qui s'est longtemps battue pour l'égalité et l'inclusion soit coopté par un gouvernement qui ne se bat pas pour les même choses", avait-elle expliqué par la suite, en incitant ses co-équipières à faire de même.
Dans son viseur : la misogynie de Donald Trump, mais aussi sa politique, qu'elle considère comme profondément raciste et sexiste. Megan Rapinoe se dit même être une "protestation ambulante de l'administration Trump". Et pour cause : à chaque début de match, elle reste silencieuse lorsqu'est entonné l'hymne national, et refuse de poser sa main sur le coeur.
Ces signes de protestation n'ont rien de nouveau. Déjà en 2016, la milieu de terrain se soulevait contre les violences policières, en posant le genou à terre durant l'hymne national, avant les matchs. Une claire référence et soutien à Colin Kaepernick, célèbre joueur de football américain, qui avait usé de ce même geste pour dénoncer les actes racistes de la police.
Audacieuse et "grande gueule", Megan Rapinoe ne plait pas à tout le monde. Si ses détracteurs estiment que le sport et la politique ne devraient pas s'entremêler, elle n'est pas du même avis et le dit haut et fort. "Il serait irresponsable de ne pas utiliser cette plateforme internationale [la Coupe du Monde, ndlr.] pour essayer de faire bouger les choses, de provoquer le changement", a-t-elle souvent dit dans les médias américains.
Si "Pinoe", comme l'appelle ses camarades, fait entendre sa voix aussi ouvertement, c'est en partie grâce à son équipe, toute aussi engagée. Le 8 mars 2019, pour la Journée Internationale des droits des Femmes, les joueuses de la sélection américaine décident de poursuivre en justice la fédération américaine de football pour "discrimination de genre institutionnalisée".
Il faudra attendre 2022 pour qu''un juge fédéral approuve un règlement de 24 M$ de la Fédération américaine de football à l'équipe nationale féminine, suite à la plainte de 2016 pour discrimination salariale. La loi sur l'égalité de rémunération pour l'équipe américaine est adoptée le 21 décembre 2022 par la Chambre. Ce projet de loi garantit une rémunération égale aux sportives américaines participant à des événements internationaux.
Megan Rapinoe n'hésite pas à envoyer des pics à la Fifa sur la question de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du football. Le 25 du même mois, elle profère : "Vu les ressources et la capacité de FIFA, je considère qu'ils n'en font pas assez pour générer le changement".
L'attaquante a 27 ans lorsqu'elle annonce son homosexualité en public, juste avant les Jeux Olympiques de Londres. "J'ai pris la décision de faire mon coming out et révéler mon homosexualité", a-t-elle déclaré le 12 novembre 2012 au Los Angeles LGBT Center, quelques mois après avoir fait son coming out dans le magazine Out. "Je n'arrive pas à l'expliquer mais je pense que c'est la meilleure décision que j'ai jamais prise. Je me suis sentie beaucoup plus libre en allant à Londres et je pense que c'est dans ces moments-là que je suis la plus forte et la meilleure version de moi-même". Elle rentrera aux Etats-Unis, médaille d'or en poche.
Décidée à casser le tabou de l'homosexualité dans le monde du sport, elle pose nue, avec sa petite amie basketteuse Sue Bird dans le magazine Body Issue, en juin 2018. Publié par ESPN - une grande chaîne américaine de sport - ce magazine est dédié aux corps des athlètes masculins et féminins. C'est la première fois que ESPN met en Une un couple de sportifs de même sexe. Regardée par 88 millions de foyers américains en 2007, la chaîne de sport pourrait faire bouger les mentalités...
#Body10 #BodyIssue pic.twitter.com/svYJxOtYhD
— Sue Bird (@S10Bird) June 25, 2018
Engagée sur tout les fronts, Rapinoe ? Au New York Times, elle dit se battre pour les mouvements féministes comme #MeToo, pour les droits des LGBTQ mais aussi pour Black Lives Matter.
Depuis juin 2022, date de la décision de Cour suprême américaine de suspendre l'arrêt Roe vs. Wade qui garantissait jusque là le droit à l'avortement, la footballeuse prend régulièrement part au débat en postant sur ses réseaux sociaux son soutien au droit à l'IVG.
Pour elle, tous ces combats forment "un tout" : "Il s'agit de la même lutte dans la mesure où je veux que les gens me respectent pour qui je suis : une femme, une lesbienne ou encore une athlète". Mais au-delà du sport, c'est une philosophie de vie qu'elle semble embrasser. Et pose, réthoriquement, la question : "Quelle personne veux-tu être personnellement ? Mais aussi quelle place veux-tu occuper dans ton pays, et plus largement, dans le monde ?" Megan Rapinoe détient la réponse.