Melinda Gates : "Ce sont les femmes qui maintiennent la société"

Sa parole est rare, mais cette semaine, l’épouse du milliardaire et codirigeante de la Fondation Bill-et-Melinda Gates s’est fait entendre dans les médias. Melinda Gates vient rappeler qu'aux Etats-Unis aussi, où l’épidémie de Covid-19 est à son comble, les effets de la crise sanitaire – violences, défaut de soins, perte d'emploi, surcharge de travail – frappent en premier lieu les femmes et les filles.
 
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Melinda Gates
Melinda Gates le 18 avril 2019 à Kirkland, dans l'Etat de Washington, aux Etats-Unis.
AP Photo
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Dès le mois d’avril, les Nations unies donnaient l’alerte : si les hommes sont plus nombreux à succomber à la COVID-19, les effets "cachés" de la pandémie affectent davantage la vie des femmes. Aujourd'hui encore, elles sont, partout dans le monde, les laissées-pour-compte de la réponse des Etats à la pandémie, vient rappeler Melinda Gates dans la publication anglophone Foreign Affairs et au micro de nos confrères de France Info, entre autres.
 
 
Comme toutes les grandes pandémies, rappelle Melinda Gates, celle de la Covid-19 ne s'attaque pas seulement aux systèmes immunitaires, mais aussi aux sociétés en creusant les inégalités existantes — classe, race et genre. Une pandémie "fantôme" qui déstabilise la vie des personnes les plus fragiles, victimes souvent silencieuses et invisibles, à commencer par les femmes et les filles.

Santé maternelle et contraception : des services "essentiels"

Il y a urgence à garantir les soins de santé spécifiquement dédiés aux femmes, insiste Melinda Gates. Car si elles sont en première ligne pour assurer les services vitaux, à l'hôpital ou dans les supermarchés, les femmes sont paradoxalement les plus touchées par l’implosion des systèmes de santé face à l'afflux des malades. Un constat tout aussi alarmant dans un pays riche comme les Etats-Unis, où la crise sanitaire révèle les lacunes d’un système majoritairement privé, décentralisé et très inégalitaire. Plus fragiles et moins dotés, les services dédiés aux soins des femmes tombent plus vite et plus bas. "Elles ne peuvent pas avoir les services dont elles ont besoin, les services de santé, en raison de la mortalité. Elles n'ont pas les moyens de pouvoir mettre au monde leurs enfants correctement," alerte Melinda Gates au micro de France Info.

Voir notre dossier ► COVID-19 : FEMMES EN PREMIÈRE LIGNE

La cofondatrice de la fondation à but humaniste et philantropique Melinda-et-Bill Gates rappelle qu’en Sierra Leone, en 2014, l’épidémie d’Ebola a fait davantage de victimes par défaut de soins en maternité et en néonatal que le virus lui-même.
En 2020, les premiers chiffres reflétant l'impact de la crise sanitaire dans les pays les moins riches de la planète révèlent que la pandémie pourrait coûter la vie à 113 000 femmes.

père et fils ebola 2015

Donnell Tholley et son fils adoptif à  Freetown, en Sierra Leone, en 2015. Le bébé a perdu sa mère pendant l'épidémie d'Ebola. 

©AP Photo/Sunday Alamba

Partout, il y a urgence est à pallier les problèmes spécifiques des femmes, insiste Melinda Gates, qui appelle les Etats à trouver les moyens de pourvoir aux soins de maternité, même en temps de pandémie, soit en prévoyant des structures spécifiques, soit en apportant l’expertise médicale aux mères chez elles. "Il faut qu'elles puissent avoir des ambulances pour enfanter, pour aller à l'hôpital, qu'elles puissent faire vacciner leur enfants. [C'est à ce prix qu']on reconstruira une meilleure société," dit-elle au micro de France Info.

L'accès à la contraception est aussi mis à mal depuis le début de la pandémie de Covid-19 : selon les premiers chiffres sur l’impact de la crise sanitaire, 49 millions de femmes ont été privées de contraception, soit 15 millions de grossesses non désirées supplémentaires. C'est la communauté internationale, pointe Melinda Gates, qui a permis qu’un petit groupe de pays monopolise les éléments essentiels à la fabrication des contraceptifs génériques et, depuis le début de la pandémie, les gardent en stock. Tous les dirigeants doivent saisir l'occasion de la crise sanitaire actuelle pour mettre fin à cette politique cruelle et absurde, insiste la cofondatrice de la fondation Bill-et-Melinda-Gates. Avis à certains hauts responsables aux Etats-Unis... 

Victimes économiques

"Elles perdent leur vie, elles perdent leur moyen de vivre. Elles absorbent le choc économique. Ce sont elles qui s'occupent des plus vieux, des plus jeunes," répète Melinda Gates sur France Info. De fait, les emplois occupés par des femmes seraient 1,8 fois plus menacés par la crise sanitaire que les emplois masculins, selon les premières estimations sur l’impact économique de la Covid-19 dans le monde, citées par Melinda Gates. D'autant que, à mesure que se réduit la part de leur travail rémunéré, celle du travail non rémunéré s’accroît – soins aux enfants et aux proches. Ce fardeau qui, depuis toujours, représente l’un des principaux obstacles à l’égalité économique entre les femmes et les hommes. 

Ce sont les femmes qui maintiennent la société.
Melinda Gates à France Info

​​"C'est pour cela qu'il faut prendre en compte les problèmes de ces femmes, insiste Melinda Gates. Ce ne sont pas des problèmes secondaires. Non. Ce sont des choses fondamentales qu'il faut faire. Il faut responsabiliser les femmes sur le plan économique... Ce sont les femmes qui maintiennent la société. Elles vont travailler dans les supermarchés. Elles représentent 70% des personnels de santé. Ce sont elles qui s'occupent de tout le monde."  

Pourtant, ce sont les femmes les premières touchées par les pénuries alimentaires. Parce que beaucoup en dépendent pour gagner leur vie, mais aussi parce que, culturellement, elles sont souvent les dernières à se servir dans la famille. Des mesures gouvernementales s'imposent pour leur garantir les outils financiers nécessaires - assurances, épargne, aides financières d'urgence - qui leur permettront de se nourrir et de nourrir leur famille. Avant cela, il faut rendre les femmes les plus démunies visibles aux yeux des autorités : sans revenus, non imposables, souvent sans même un numéro de téléphone, elles ne sont pas identifiables. 

Si les femmes décidaient...

La situation des femmes dans le monde pâtit durement de la crise sanitaire, et pour inverser cette tendance, il faut des budgets étatiques, mais il faut aussi que "les citoyens votent pour des dirigeants qui ont des politiques actives qui promeuvent d'abord les femmes et les plus pauvres",  dit Melinda Gates au micro de France Info. La plupart des dirigeants et les trois quarts des députés dans le monde sont des hommes. Si les femmes étaient davantage représentées dans les hautes sphères de décisions, certaines questions seraient plus souvent à l’ordre du jour en cas de pandémie : "Les foyers pour femmes victimes de violences sont-ils considérés comme un 'service essentiel' ? Les réalités économiques qui déterminent la réaction à la crise prennent-elles en compte la situation de toutes les femmes ?.."

A quelques mois de l'élection présidentielle aux Etats-Unis, Melinda Gates salue la gestion de la crise sanitaire par les dirigeantes qui ont su prendre rapidement des actions fortes : "Je crois que l'attention a été portée sur le fait que l'Allemagne a eu une réaction très forte au Covid-19. Ce n'est pas par hasard si ce pays est dirigé par la chancelière, Angela Merkel. Ce n'est pas par hasard si les décisions les plus fortes ont été prises en Nouvelle-Zélande par une dirigeante."