Melissa Lucio : le Texas suspend son exécution

Depuis quinze ans, dans le couloir de la mort d'une prison du Texas, Melissa Lucio, condamnée à mort pour le meurtre de sa petite fille, clame son innocence. Son exécution, prévue le 27 avril, a été suspendue. A l'origine du vaste mouvement de soutien qui a conduit au réexamen du verdict, un documentaire réalisé par la journaliste franco-américaine Sabrina Van Tassel. Entretien. 
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Des membres du comité de soutien de Melissa Lucio manifestent fin février à Austin pour réclamer l'annulation de son exécution prévue le 27 avril 2022 au Texas (Etats-Unis). 
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Elle aura dû attendre le dernier moment, ou presque : "Je remercie Dieu pour ma vie", a déclaré Melissa Lucio en apprenant, le 25 avril, la suspension de son exécution, prévue deux jours plus tard. "Reconnaissante à la cour de m'avoir donné la chance de vivre et de prouver mon innocence et d'avoir plus de jours pour être une mère pour mes enfants et une grand-mère pour mes petits-enfants".

Un premier pas

La cour d'appel texane ayant suspendu l'exécusion de Melissa Lucio – qui reste pour l'instant dans le couloir de la mort – c'est un autre tribunal du Texas qui devra désormais examiner les requêtes de ses avocats, selon des documents judiciaires. "C'est un premier pas vers l'obtention d'un nouveau procès, mais cela ne signifie pas qu'un nouveau procès a été accordé", plusieurs étapes restant à franchir, a expliqué lors d'une conférence de presse Vanessa Potkin, avocate de l'Américaine.La défense de Melissa Lucio affirme notamment que de nouvelles preuves scientifiques l'innocentent, et qu'un faux témoignage a conduit à sa condamnation.

Une accusée vulnérable

​Depuis 15 ans, Melissa Lucio clame son innocence. En 2007, Mariah, âgée de 2 ans, est retrouvée morte chez elle, couverte de bleus. Sa mère est immédiatement soupçonnée de l'avoir frappée.

Melissa Lucio est interrogée le jour même du décès de sa fille. Elle explique à la police avoir trouvé son enfant sans vie après l’avoir mise au lit et rapporte que deux jours avant son décès, Mariah avait fait une chute dans les escaliers alors qu’elle déménageait avec sa famille dans un nouvel appartement. Elle n’a pas pensé que la blessure était grave et n’y a pas prêté attention. Pendant près de sept heures d'un interrogatoire particulièrement éprouvant, elle dit et répète cette version des faits : elle n'a pas frappé Mariah, elle n'y est pour rien. Puis à trois heures du matin, elle finit par lâcher ces quelques mots : "Je suppose que je l'ai fait".

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Melissa Lucio est déjà mère de 12 enfants et elle est enceinte de jumeaux au moment des faits. Victime d'agressions physiques et sexuelles depuis l'enfance, Melissa souffre d'une addiction à la drogue et vit dans des conditions plus que précaires. Ses avocats ont longtemps invoqué la clémence de la justice. Ils affirmaient qu’au moment où elle a été interrogée, elle était particulièrement vulnérable. Sur ABC News, ils estimaient qu’elle aurait pu être facilement manipulée pour obtenir des aveux.

Accident ou maltraitance ?

Lors du procès, un médecin urgentiste déclare qu'il s'agit du "pire" cas de maltraitance infantile qu'il a vu au cours de sa carrière. Mais les handicaps de la fillette, susceptibles d'expliquer sa chute, n'ont pas été pris en compte par les experts, selon la défense, qui assure que les ecchymoses ont pu être causées par un trouble de la circulation sanguine.

Aucun des enfants de Melissa ne l'a accusée d'être violente. Quant au procureur, Armando Villalobos, il purge actuellement une peine de treize ans de prison pour corruption et extorsion dans une autre affaire. Durant tout le procès, il fonde son accusation sur les quelques mots d'aveux arrachés à Melissa Lucio. Elle est condamnée à la peine capitale. Le père de la fillette écope de quatre ans de prison pour mise en danger de la vie d’un enfant.

Le film qui mène la contre-enquête

Après avoir dit "qu'elle ne l'avait pas fait près d'une centaine de fois", elle formule des aveux "complètement extorqués", selon Sabrina Van Tassel, réalisatrice du documentaire L'Etat du Texas contre Melissa (2020 aux Etats-Unis, 2021 en France) et soutien de l'Américaine (voir notre entretien plus bas, ndlr).

Il n'y a rien qui relie Melissa Lucio à la mort de cet enfant ; il n'y ni ADN, ni témoin. 
Sabrina Van Tassel, réalisatrice

Cette confession est "la seule chose qu'ils ont contre elle", assure Sabrina Van Tassel, convaincue qu'"il n'y a rien qui relie Melissa Lucio à la mort de cet enfant ; il n'y ni ADN, ni témoin".

Durant des années, le cas de Melissa, âgée de 53 ans aujourd'hui, n'intéresse pas grand monde malgré les actions et les mobilisations de son comité de soutien freemelissa.org

Mais le documentaire a changé les choses et début 2022 un mouvement s'est fédéré autour de la condamnée. La populaire militante des droits civiques Dolores Huerta et l'actrice Susan Sarandon ont exprimé leur soutien, tandis que la star de téléréalité Kim Kardashian tweetait à ses dizaines de millions d'abonnés qu'il y avait "tellement de questions non résolues autour de cette affaire".

[Tellement déchirant de lire cette lettre des enfants de Melissa Lucio suppliant l'État de ne pas tuer leur mère. Il y a tellement de questions non résolues dans cette affaire et concernant les preuves utilisées pour la condamner.]

Sa situation a ému jusqu'en Amérique latine, où nombre de médias relatent son histoire. Elle est la première femme d'origine hispanique à être condamnée à mort au Texas, l'Etat qui exécute le plus au XXIe siècle.

En France, Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux et ex-candidate à la présidentielle de 2022, s'est engagée pour Melissa Lucio, vraisemblablement "victime d'une erreur judiciaire".

Un procès controversé

Dans un éditorial publié début mars aux Etats-Unis, un des jurés du procès de Melissa Lucio a confié ses "profonds regrets" de l'avoir condamnée à mort.

Etant moi-même un républicain conservateur, soutien de longue date de la peine de mort pour les crimes les plus atroces, je n'ai jamais vu un cas plus troublant que celui de Melissa Lucio.
Jeff Leach, sénateur républicain

Melissa Lucio est même soutenue par des républicains, traditionnellement plus enclins à défendre la peine capitale. Environ 80 élus du Texas, des deux partis, ont demandé aux autorités d'annuler son exécution. Plusieurs sont allés lui rendre visite en prison.

"Etant moi-même un républicain conservateur, soutien de longue date de la peine de mort pour les crimes les plus atroces, je n'ai jamais vu un cas plus troublant que celui de Melissa Lucio", affirmait l'un d'eux, Jeff Leach.

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A gauche, le sénateur républicain Jeff Leach venu prier aux côtés de Melissa Lucio, dans la prison texane où elle est détenue depuis quinze ans. 
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Le Texas, l'Etat qui exécute le plus

Pour Melissa Lucio, cet afflux de soutien est "un choc" confiait à l'AFP son fils John. Quand il lui a montré des messages tels que celui de Kim Kardashian, "elle ne pouvait pas le croire".

Les quinze dernières années ont été "très difficiles", se remémore cet homme de 32 ans, adolescent au moment des faits, qui a dû "affronter le décès de (sa) soeur" tout en voyant sa mère "en être accusée... Mais cette année a été la plus dure parce que nous avons eu la date d'exécution en janvier", explique John Lucio, qui assure avoir toujours cru en son innocence. Il est persuadé qu'elle n'aurait jamais été condamnée "si elle avait eu de l'argent".

L'affaire remet en lumière la question des faux aveux. Leur nombre est difficile à estimer mais, d'après les données de l'organisation Innocence Project, qui lutte contre les erreurs judiciaires, sur quatre personnes condamnées à tort et innocentées grâce à une preuve ADN, une avait avoué les faits.
 

Une personne qui a vécu des traumatismes est moins résistante (...) et a plus de chance de s'accuser d'un crime qu'elle n'a pas commis. 
Saul Kassin, professeur de psychologie 

Dans les seules affaires d'homicide, la proportion atteint 60%, selon Saul Kassin, professeur de psychologie au John Jay College of Criminal Justice. Et quelqu'un qui, comme Melissa Lucio, a vécu des traumatismes et des violences est "moins résistant, plus enclin à se soumettre, a une plus faible tolérance au stress d'un interrogatoire", et a donc plus de chance de s'accuser d'un crime qu'il n'a pas commis, dit-il.

La peine de mort en question

Le film L'Etat du Texas contre Melissa a reçu de nombreux prix ; il a été diffusé début avril sur une chaîne française et est accessible en ligne sur diverses plates-formes vidéo sur internet.

Melissa Lucio est en 2022 le symbole de l’erreur judiciaire et de la lutte contre la peine de mort.
Lettre de Sabrina Van Tassel à Emmanuel Macron 

L'occasion pour sa réalisatrice de saisir le moment de campagne présidentielle pour écrire une lettre au président français : "Je crois qu’au lendemain des quarante ans de l’abolition de la peine de mort par Robert Badinter, nous nous devons de tout faire pour arrêter cette barbarie. Lors de la cérémonie anniversaire au Panthéon, vous avez lancé un appel en faveur de 'son abolition universelle', ajoutant que c’était pour vous – et nous tous –un 'combat de civilisation' à mener 'en Européens' en 2022, au moment où la France démarre la présidence de l’Union européenne. Un combat pour faire en sorte que tous ces gens qui n’ont pas voix au chapitre, les plus pauvres, ne finissent pas exécutés par injection létale. Melissa Lucio est en 2022 le symbole de l’erreur judiciaire et de la lutte contre la peine de mort."

Une pétition lancée par The Death Penalty Action pour annuler l'exécution de Melissa Lucio rassemble près de 90 000 signatures au moment de l'annonce de la suspension de l'exécution.

Dans un entretien publié dans le magazine Elle, Sabrina Van Tassel raconte avoir rencontré Melissa à la prison de Gatesville et s'être entretenue avec elle pendant quatre heures. "Je l’ai trouvée calme et positive. C’est quelqu’un qui voit toujours le bien partout, confie la réalisatrice. Elle a ce côté maternel, et en même temps combatif. On a parlé de sa vie, de sa foi. Elle est très croyante, ce qui l’aide beaucoup". Isolée 24 heures sur 24 dans le couloir de la mort, "pieds et poings liés pour se déplacer", elle dit n'en vouloir à personne. 
 

Rencontre avec Sabrina Van Tassel

Entretien réalisé le 12 avril 2022


Terriennes : Comment avez-vous découvert l'histoire de Melissa Lucio ? 

Sabrina Van Tassel : En 2017, à l’occasion d’un reportage sur les condamnées à mort, je décide d’interviewer plusieurs femmes au Texas. L’une d’elles est Melissa Lucio. Au départ, je n’ai pas particulièrement envie de couvrir son affaire qui, sur le papier, ne me paraît pas très intéressante, au-delà d'un "banal" cas de maltraitance infantile. Je n’ai pratiquement rien sur elle, à part quelques pauvres articles dans la presse locale. 
 
Quand je suis arrivée dans le sud du Texas pour rencontrer la famille de Melissa Lucio, avant même de la rencontrer elle, je me suis rendue compte que j’étais la première personne à venir les voir en treize ans. Personne ne leur avait posé la moindre question, pas même les avocats de Melissa Lucio, à l'époque du procès.
 
La famille m’a tout de suite expliqué que la mort de la petite était un accident, que le procès avait été une parodie de procès et que Melissa n’avait jamais été violente envers aucun de ses enfants. J’ai aussi appris que le procureur s’était servi de l’affaire de Melissa pour être réélu, que l’avocat de Melissa, commis d'office, était allé travailler pour le procureur juste après le procès et que le procureur en question, entre-temps, avait été condamné à treize ans de prison. Au-delà de l’erreur judiciaire, ce qu’ils me décrivaient tenait du complot politique.
 
Le lendemain, j’ai rencontré Melissa. Une rencontre déterminante parce que dès les premiers instants où je l'ai regardée, je me suis dit que c'était impossible, que cette femme ne pouvait pas avoir fait ce dont on l’accusait. Je n’arrivais pas à le croire. Mon instinct me disait que ce n'était pas possible. En sortant du couloir de la mort, le jour-même, j’ai décidé d’enquêter, de faire un film sur elle et son affaire. A l’époque, je ne savais pas si elle était coupable ou non. Je ne partais pas sur une certitude, juste sur cet instinct et une envie à très forte d'en savoir plus.
 
J’ai appelé l’avocate de Melissa Lucio pour lui expliquer mes doutes et que j’avais besoin d’en savoir plus. Elle m’a très vite interrompue : "Cela fait douze ans que je suis sur son affaire, cela fait douze ans que je sais qu’elle est innocente. Hélas vous arrivez trop tard et la date d’exécution va tomber d’un jour à l’autre. Si vous voulez vous intéresser à cette affaire, c’est maintenant." Dès lors, elle m’a envoyé des tonnes de documents : près de 10 000 pages de dossiers que j’ai passé les mois suivants à lire - 10 000 pages qui, pour moi, sont vides : pas le moindre témoignage, alors que Melissa Lucio était suivie par les services sociaux depuis des années. Deux de ses fils ont vu leur petite sœur tomber dans l’escalier, alors qu’aucun de ses enfants n’a été entendu lors du procès. Je suis tombée des nues en m’apercevant qu’aux Etats-Unis, on peut condamner quelqu’un à mort avec un dossier pareil.
 
Aux Etats-Unis, lorsque vous êtes dans le couloir de la mort, la possibilité d’en sortir est quasi nulle. Il y a une succession d’appels, avec un avocat commis d’office jusqu’à la fin pour s’en occuper, mais ce sont uniquement des appels de procédures, lors desquels il est impossible d’apporter de nouvelles preuves. On vérifie seulement que le procès s’est déroulé conformément aux règles, et cela peut durer des années. C’est un problème, car le public se dit que Melissa ayant eu plusieurs appels, il est étrange que justice ne lui ait pas été rendue. Or tout est fait pour que l’accusée ne puisse pas avoir justice, puisque même si elle avait eu de nouveaux éléments à apporter au dossier de Melissa, l’avocate n’aurait pas pu le faire.
 
Votre documentaire démonte les arguments de l'accusation, comment avez-vous procédé ? 

Je n’ai rien découvert. Il m’a suffi de lire son dossier. Alors j’ai voulu tout reprendre depuis le début. D’ailleurs, toute la première partie du film reprend les éléments à charge contre l’accusée : les photos d’autopsie et les dernières minutes sur les sept heures de son interrogatoire, les seules que verront les jurés, alors que Melissa finit par craquer, à 3 heures et demie du matin. "Je suppose que je l’ai fait", dit-elle, sans jamais dire qu'elle a tué sa fille. Pourquoi ? "Je pense que c’est par frustration", répond-elle. Au bout de plusieurs heures d’interrogatoire par cinq policiers armés qui l’intimident, elle voulait que cela cesse et espérait que le cauchemar s’arrêterait si elle leur disait ce qu’ils voulaient entendre. Ce sont même eux qui lui montrent comment frapper une poupée violemment afin qu’elle imite leurs gestes et montre comment elle aurait battu sa fille.

Ses aveux, selon les meilleurs experts au monde aujourd’hui, ne reposent pas sur la vérité. Ils ont été extorqués, alors qu’elle vient juste de perdre sa fille. J’ai ensuite démonté chaque élément de l’accusation avec un montagne de preuves auxquelles les jurés n’ont pas eu accès. Le système américain est fondé sur le bénéfice du doute. Dans cette affaire, les doutes sont énormes, et c’est ce que j’ai voulu montrer.
 
Le fait que Melissa soit une femme, déjà victime de violences, hispanique, mère de 12 enfants, est-il lié à la façon dont a été menée cette affaire il y a quinze ans ? 

Melissa Lucio est là où elle est parce qu’elle est femme. Femme, pauvre, hispanique. Elle coche toutes les cases de ce que l’Amérique honnit. Elle a clairement été condamnée pour ce qu’elle représente : une femme latino qui a trop d’enfants, un problème de drogue, et qui vit dans un taudis. A travers l’histoire de Melissa Lucio, c’est l’histoire de toutes les minorités accusées à tort aux Etats-Unis, c’est l’histoire de tout un système.
 
Dès qu’ils la voient, les policiers se disent qu’elle est coupable et qu’elle va payer. Elle ne sait pas se défendre. Elle est une victime, victime d’abus sexuels depuis l’âge de six ans, et victime des hommes toute sa vie. Elle se retrouve entourée d’hommes qui la poussent à bout et à avouer quelque chose qu’elle n’a pas fait.


De plus en plus de soutiens se mobilisent et ils sont parfois inattendus, cela va de Kim Kardashian à Robert Badinter en passant par les sénateurs républicains, comment expliquer ce vaste mouvement et pourquoi aujourd'hui ? 

Le film a été diffusé il y a un an, au festival de Tribeca, à New York. Tout de suite, Melissa reçoit des milliers de lettres de tous les Etats-Unis. Tout de suite, la presse s’en empare. Le film sort ensuite dans le monde entier et est diffusé sur une grande plate-forme de streaming – il est vu par des millions de personnes. A mesure que le mouvement prend de l’ampleur, je me dis qu’il n’y aura pas de date d’exécution.
 
Or il y a une date et c’est là que nous décidons, avec une grande organisation contre la peine de mort aux Etats-Unis, de prendre la route, d’aller à la rencontre des Texans et de la presse texane pour porter le mouvement #freemelissalucio pour stopper l’exécution. C’était en janvier 2022. Les gens nous interpellaient dans la rue pour avoir eux aussi une pancarte, un t-shirt, pour manifester avec nous.


Cette affaire va bien au-delà du cas Melissa, il est question d'erreurs judiciaires, et du système judiciaire américain, mais aussi de la peine de mort... 

Melissa Lucio représente l’erreur judiciaire aux Etats-Unis qui s’abat sur les plus pauvres, les noirs, les hispanos et toutes les minorités. Elle est en passe de devenir une icône. A travers son histoire, le gens se révoltent. Se rendre compte que l’on peut exécuter quelqu’un sur un tel manque de preuve, avec un procureur en prison et tout un système qui dysfonctionne a mis les Américains très en colère. Le mouvement a pris un tel essor que le Congrès texan, pourtant en grosse majorité républicain, a exprimé publiquement son opposition à l’exécution. 87 sur les 150 membres du Congrès texan ont écrit au bureau du pardon et manifestent aujourd’hui avec la famille de Melissa Lucio. C’est du jamais vu !
 
Le mouvement anti peine de mort est en marche aux Etats-Unis. L’année dernière, déjà, la Virginie, un Etat ancestralement pour la peine de mort, l’a abolie. C’était déjà un signal très fort. Aujourd’hui, les Américains n’en peuvent plus des erreurs judiciaires. Il ne se passe pas un mois sans que quelqu’un qui a pris vingt ans, trente ans, quarante ans de prison, en sorte, à la faveur des analyses ADN et autres progrès de la science. Hélas, tous les condamnés à mort n’ont pas la chance d’avoir un film.
 


Les Américains se rendent compte que ce sont les plus pauvres et les minorités qui font les frais des dysfonctionnements du système judiciaire. Et ce particulièrement pour la peine de mort, car on ne peut se retrouver dans le couloir de la mort que si on est pauvre, que l’on appartient à une minorité ou que l’on est malade mental. Jamais quelqu’un qui a les moyens de payer une défense ne se retrouve dans le couloir de la mort. Les Américains ne voient plus l’utilité de la peine de mort, dont on sait qu’elle n’empêche pas les crimes.
 
Que peut-on attendre aujourd'hui ?

Je ne me battrais pas si je n’étais pas persuadée qu’elle ne sera pas exécutée. Je suis sûre que tout ce qui se passe en ce moment, tous les jours, va l’empêcher. Si le Texas exécutait Melissa le 27 avril, ce serait une tâche indélébile sur l’Etat, une affaire dont on parlerait encore dans trente ou cinquante ans, une histoire dont le gouverneur ne parviendrait jamais à se détacher et je ne pense pas qu’il le veuille.

 
Melissa vous a choisi pour être l’un des cinq témoins qui devraient assister à son exécution…

Il faut toujours des témoins lors d’une exécution, aux Etats-Unis, c’est ainsi. Melissa Lucio a demandé à ce que je sois présente. J’étais la première à m’intéresser à son affaire et à faire un film sur elle. Avant que je la rencontre, elle ne recevait de courrier de personne et personne ne l’avait interviewée. Aujourd’hui, elle reçoit des lettres du monde entier et toutes deux, nous avons dû échanger 500 lettres. Mon film a changé sa vie et nous sommes devenues très proches. Elle dit toujours : "Il y a ce que mes enfants font pour moi, ce que les avocats font pour moi, ce que les organisations font pour moi, et puis il y a ce que toi tu as fait pour moi : tu m’a crue alors que personne d’autre ne me croyais."
 
Je lui ai promis que je serai à ses côtés jusqu’au bout. J’espère que la décision sera prise rapidement d’arrêter l’exécution, mais le gouverneur peut aussi se prononcer à la dernière minute, et je serai avec elle et avec sa famille. Ce moment reste quelque chose d’inimaginable. Je ne le réalise pas et je n’y crois pas. J’ai dit oui en pensant que cela n’arriverait pas. Ce déni me permet de tenir et de rester dans l’action, comme ses enfants, qui se battent pour elle jour et nuit.