Mélusine Mallender est costumière de théâtre. Elle est aussi éprise de liberté et de nouveaux horizons. En parcourant à moto les routes du monde entier pendant plusieurs mois par an - et pas les plus balisées - avant de rentrer au bercail, elle allie ses deux passions.
En 2003, elle n'a alors que 21 ans, elle fait ses premières armes de routarde-motarde avec un tour de France en 125cm3. Puis en 2010, un premier grand départ pour quatre mois de route la conduit jusqu'au Japon. En 2011, Mélusine Mallender parcourt 28 000 kilomètres sur les routes d'Iran.
Puis en 2014, elle explore, toujours seule et à moto, la région des Grands Lacs d’Afrique de l’Est. L'année suivante, elle part pour neuf mois, cette fois, et parcourt 13 pays en Asie du Sud. Au fil des jours,
Tout juste de retour de ce périple, elle nous parle avec respect et affection des rencontres qui l'ont marquées en Iran, au Népal et au Rwanda dans l'entretien retranscrit ci-dessous.
♦ L'Iran : l’émancipation par l’éducation
Mélusine Mallender : Entre mon premier voyage en Iran, en 2011, et le dernier, en 2016, j’ai senti que l’espoir d’ouverture était revenu. Pour des gens aussi curieux, hospitaliers et cultivés, la frustration avait été très forte de se trouver enfermés dans leur propre pays.
D’une certaine manière, j’étais, moi aussi enfermée, dans mes préjugés sur ce pays. En Iran, le voile est obligatoire, mais il n’est pas forcément un frein à l’émancipation féminine. Il y a deux Iran : l’Iran de la maison et celui de l’extérieur, qui avancent en même temps.
A la maison, les femmes enlèvent le voile, s’habillent en jean et t-shirt. Mais dès qu’elles franchissent le seuil, elles portent le hidjab, le voile, sensé « cacher ce qui est précieux » - c’est ainsi que les Iraniens le voient, dans un mélange de conservatisme et de pudeur.
Et même à l’extérieur, il y a différentes sortes de voiles et de manière de le porter. Le visage étant le seul espace qu’elles puissent montrer, dans certaines villes, on assiste à un vrai festival de chirurgie esthétique. Le visage est maquillé, les cheveux sont teints et relevés en chignon de façon à pouvoir y percher un voile fleuri le plus loin possible du visage. Un jour, je me suis faite refouler d’un centre commercial parce que je portais un pantalon à la taille trop basse, même s’il était recouvert d’une tunique. Et à côté je voyais passer des filles maquillées comme des voitures volées, brushées et en tenue moulante… mais elles portaient le voile.
Elles n’ont pas le droit de rouler à moto sur la route. Mais le moto-cross, sur la terre battue, est permis.
La liberté des femmes passe ici par l’éducation. A l’université, les deux tiers des étudiants sont des femmes, même si le monde du travail est loin de refléter cette « disparité positive ». Il y a énormément d’informaticiennes, qui savent cracker des systèmes, par exemple, ou trouver d’autres espaces de liberté via l’éducation. Elles ont aussi une sorte de liberté de mouvement : elles peuvent conduire une voiture, et les transports en commun sont aménagés pour qu’elles puissent les utiliser.
Il s’opère ainsi une sorte d’émancipation naturelle, sans passer par le féminisme militant. Grâce à l’éducation, et parce que les gens ont moins d’enfants, aujourd’hui, et qu’ils en prennent mieux soin. C’est une conjonction de développements qui crée une société de femmes plutôt libérées, même si le cadre reste très traditionnel.
♦ Népal : 12 000 filles réduites en esclavage
Mélusine Mallender : Loin des clichés du royaume merveilleux des sherpas, des hauts sommets, de l’air pur et du bouddhisme, j’ai découvert un pays très pauvre, avec énormément de violences envers les femmes. J’ai rencontré une jeune femme qui refusait de se marier parce que toutes ses copines qui l’avaient fait, avaient reçus des coups.
Beaucoup de filles pauvres - les kalamaris - sont « données » à des familles plus riches et réduites en esclavage.
Mélusine Mallender
Cela ne veut pas dire que les gens ne sont pas très aidants et sympathiques par ailleurs, mais la violence conjugale est partout, attisée par la pauvreté et le mariage précoce. Les conjoints ne se choisissent pas, ne s’aiment pas ; la vie est difficile et sans espoir du fait du système de castes. Si certaines vallées sont bien desservies, près de la moitié la population vit à plus de 2 heures à pied d’une route.
J’ai rencontré une ancienne esclave. Beaucoup de filles pauvres - les kalamaris - sont « données » à des familles plus riches, sensées en prendre soin, mais qui, en réalité, les réduisent à l’esclavage. Si elles en reviennent, c’est pour se marier, et donc passer d’une main à l’autre. Samu, elle, a été sortie de l’esclavage par une association qui lui a fait suivre une formation de mécanicienne moto. C’est comme cela que je l’ai rencontrée. « Je ne savais pas choisir, décider d’aller jusqu’au bout de la rue… ou pas. Tout me paraissait beau », raconte-t-elle peu après sa libération. A 28 ans, maintenant, elle a un petit ami et elle est toujours aussi heureuse de découvrir sa liberté.
♦ Rwanda : l'émancipation par les lois Mélusine Mallender : Dans un pays qui sortait d’un génocide depuis à peine vingt ans, je pouvais m’attendre à une population dévastée, meurtrie, déchirée – comme au Burundi, qui a connu la même crise ethnique. Mais le travail de réconciliation entrepris par Kagamé vise à ce que tout le monde se sente, non pas Hutu ni Tutsi ou Twa, mais Rwandais. Cela a été une surprise pour moi, mais ce travail de parole a porté ses fruits. La réconciliation est aussi passée par la justice, avec des tribunaux mis en place pour juger nommément tous les génocidaires devant tout le village en énumérant le nom des victimes. Cela a aidé la population à passer à autre chose.
J’ai rencontré des femmes qui avait été violées intentionnellement par des porteurs du SIDA et qui restent marquées à vie. C'est terrible. J’ai vu des femmes qui s’étaient retrouvées seules, leurs familles massacrées, et qui s’étaient rapprochées d’orphelins de guerre.
Il s’est passé au Rwanda lors du génocide la même chose qu’en Europe pendant la première guerre mondiale. Les hommes sont partis à la guerre et les femmes se sont trouvées veuves – c’était le pays où il y avait le plus de veuves au monde – tout en devant faire bouillir la marmite au niveau national. Le président leur en a donné la capacité en changeant les lois.
Aujourd’hui, les Rwandaises ont le droit d’hériter et de monter un commerce, par exemple, ce qui n’était pas le cas auparavant. Elles se sont émancipées et sont entrées sur la scène politique. Aujourd’hui, les Rwandaises ont un statut un peu plus égalitaire que dans d’autres pays d’Afrique.