Ménopause : normaliser ou médicaliser ?

Prescrit-on trop de médicaments contre les effets de la ménopause ? Certains chercheurs pensent préférable de "normaliser" ce passage obligé de la vie des femmes. D'autres veulent avant tout pallier bouffées de chaleur, insomnies et autres symptômes. Tous se réclament du bien-être des patientes. Le débat suscite la polémique.
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3 femmes ménopause
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C'est le British Journal of Medicine, l'une des plus prestigieuses revues médicales au monde, qui a (re)lancé la controverse mi-juin 2022 avec la publication d'un article mettant en cause la "médicalisation" excessive de la ménopause. Une vision qui ne fait pas l'unanimité.

Normaliser la ménopause ?

"En se concentrant exclusivement sur les symptômes, on risque d'alimenter les appréhensions des femmes", jugent les auteurs, emmenés par la gynécologue australienne Martha Hickey. Ils appellent au contraire à "normaliser la ménopause" en insistant sur les aspects positifs de cette période au cours de laquelle une femme, généralement au tournant de la cinquantaine, perd définitivement sa fertilité. Ils soulignent, par exemple, le confort éprouvé à ne plus avoir de règles.


Insistant sur le caractère "naturel" de la ménopause, les auteurs de l'article du British Journal of Medicine se concentrent sur une cible : les traitements hormonaux de substitution (THS) prescrits pour atténuer les bouffées de chaleur, les insomnies et autres effets indésirables de la ménopause. Sans les dénigrer totalement, les chercheurs les accusent d'associer la ménopause à l'idée d'un "déclin". Ils les jugent trop vantés par les médias et la littérature scientifique, au bénéfice notable de l'industrie pharmaceutique.

La ménopause n'est pas une maladie due à une carence en œstrogènes, mais un événement normal pour la moitié de l'humanité.
Martha Hickey, gynécologue

Plus largement, les critiques s'inscrivent dans un mouvement qui insiste sur le volet social de la ménopause : ils estiment que ses effets sont autant influencés par ce contexte culturel que par des processus purement physiologiques et dénoncent le caractère sexiste et discriminatoire envers les femmes de plus de 50 ans de la médicalisation des effets de la ménopause.

"La ménopause n'est pas une maladie due à une carence en œstrogènes, mais un événement normal pour la moitié de l'humanité," tweete Martha Hickney, qui dénonce la "surmédicalisation" de la ménopause.

Soulager les femmes en souffrance

Dès sa publication, l'article a suscité de vives critiques d'autres spécialistes de la ménopause, qui dénoncent une position contreproductive pour le bien-être des femmes. L'article, selon ces derniers, "propage une idée très dangereuse : parce que la ménopause est une étape 'naturelle' du vieillissement, il faudrait que les femmes évitent les traitements médicaux ?", regrettent dans une lettre au British Journal of Medicine plusieurs dizaines de médecins, sous l'égide de la gynécologue britannique Louise Newson.

Un discours comme celui des rédacteurs de l'article du BM risque de minimiser les souffrances de nombreuses femmes, qui se verraient refuser le moyen de les apaiser, craignent leurs détracteurs.

Il y a des femmes qui traversent cette période en étant catastrophiquement gênées, et actuellement, en France, elles ont un mal fou à trouver quelqu'un pour les traiter.
Anne Gompel, gynécologue

Cette controverse a lieu dans un contexte médiatique particulier. Plusieurs organisations féministes ont récemment mené campagne au Royaume-Uni pour dénoncer un accès difficile aux traitements hormonaux de substitution prescrits aux femmes qui souffrent des effets de la ménopause. En France aussi, certaines dénoncent les conditions laborieuses d'accès à un THS.

Des traitements risqués ?

La polémique suscitée par l'article du BJM est aussi le nouvel épisode d'un débat bien plus ancien sur les risques de ces traitements. Ils sont, par exemple, liés à une fréquence légèrement plus élevée de cancers du sein. "On a trop traité, sûrement, reconnaît la gynécologue française Anne Gompel. Peut-être parce qu'on évaluait mal les effets secondaires, peut être à cause du marketing des firmes pharmaceutiques". Seulement c'était il y a plus de vingt ans, souligne-t-elle, et la situation a drastiquement changé avec la publication, au début des années 2000, d'études qui mettaient en avant les risques de ces traitements.

Où commence l'intolérable ?

Depuis, la littérature scientifique s'est étoffée, nuançant certains biais de ces études, sans pouvoir déterminer de façon détaillée à quel point les bénéfices des traitements dépassent les risques. En 2017, le site Cochrane - une base de données qui résume l'état des connaissances et fait référence dans le monde médical - concluait que les traitements hormonaux étaient adéquats quand la ménopause a des effets "intolérables". Mais où se situe le seuil de l'intolérable ? C'est toute la difficulté pour les médecins qui, après avoir manqué de discernement, tendent désormais à une prudence exagérée, selon Anne Gompel.

Retour à la sous-médicalisation

La gynécologue française, qui admet que l'article du BMJ a raison de déplorer les clichés négatifs autour de la ménopause, l'estime déplacé quand il évoque une médicalisation excessive. Au contraire, "ces dernières années, on a une sous-médicalisation", regrette-t-elle, estimant par ailleurs moindres les risques des traitements distribués en France par rapport aux pays anglo-saxons. "Il y a des femmes qui traversent cette période là en étant catastrophiquement gênées, et actuellement, en France, elles ont un mal fou à trouver quelqu'un pour les traiter", rapporte-t-elle, précisant qu'elle a eu des remontées semblables sur d'autres pays.