
Fil d'Ariane
La majorité des Européens le pensent : 40 ans, c'est quand même bien tard pour avoir un premier enfant ! Complications, risque de fausse-couche ou de malformation du foetus... La quarantaine passée, il est vrai que le tic-tac de "l’horloge biologique" se fait d'autant plus assourdissant que la fertilité est en chute libre.
Et pourtant, plus de 2 % des primipares (femmes accouchant d'un premier enfant) sont quadragénaires dans la plupart des pays à faible fécondité : 4,5 % en Espagne et 4,7 % en Italie en 2014 ; 5 % en France en 2015. Deux sociologues, Éva Beaujouan et Tomáš Sobotka, se sont penchés sur cette tendance des femmes, en Europe, en Asie orientale, en Amérique du Nord et en Australie, à engendrer de plus en plus tard. Ils publient leurs conclusions dans le bulletin d’information de l'Institut national d'études démographiques (INED) Population & Sociétés.
La maternité tardive n'est pas un phénomène nouveau, mais il faut remonter jusqu'en 1948 pour trouver le même pourcentage de bébés nés d'une mère quadragénaire qu'en 2019. Et les raisons de ces maternités tardives étaient bien différentes de celles qui, aujourd'hui, incitent les femmes à attendre pour être mère.
Qui n'a pas une tante, un grand-oncle, un parent ou un grand-parent né en "queue de peloton" dans une grande fratrie, d'une mère âgée ? Jusqu’au milieu du XXe siècle, les femmes avaient en général plus de trois enfants et continuaient à enfanter jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus concevoir. La plupart des mères âgées de plus de 40 ans donnaient naissance à leur cinquième ou sixième enfant... Puis la médecine et la société ont évolué, les familles nombreuses se sont raréfiées et les maternités tardives ont reculé dans les pays développés.
A partir des années 1950, le nombre de primipares de plus de 40 ans dégringole dans les pays à faible fécondité jusqu'au creux historique des années 1980, à la faveur de la contraception moderne et d'un meilleur accès à l’avortement, légal en France depuis 1975. En 1984, moins de 0,5% des Françaises avaient leur premier enfant après 40 ans.
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Parallèlement, avec l'allongement des études, l'évolution du statut des femmes et des rapports hommes/femmes, ainsi que l'incertitude économique chez les jeunes, la grossesse survient de plus en plus tard dans la vie des femmes, jusqu'à dépasser de plus en plus souvent le seuil fatidique de 40 ans. Une évolution favorisée par les mutations de la vie de couple : unions tardives, divorces, remariages, familles recomposées, différence d'âge dans un couple lorsque la femme est plus âgée que son compagnon...
Aujourd'hui, alors que la majorité des mères de plus de 40 ans en sont à leur premier ou leur deuxième enfant, l’image de la grossesse tardive change, elle aussi. Elle est devenue plus visible, mieux acceptée, et les risques et inconvénients qu'elle comporte ne sont plus tabous. Plus âgés, les parents peuvent offrir un meilleur niveau de vie et davantage de stabilité familiale à leurs enfants, améliorant ainsi leurs chances dans la vie.
Selon les deux chercheurs de l'INED, le nombre de maternités tardives devraient continuer à augmenter : les femmes sans enfant ou ayant un seul enfant à la fin de la trentaine et au début de la quarantaine sont de plus en plus nombreuses, et beaucoup n'entendent pas renoncer à la maternité.
Le perfectionnement des techniques de dépistage des maladies et anomalies liées à l'âge de la mère n'est pas étranger à la tendance, comme l'amniocentèse et les analyses ADN en tout début de la grossesse. Par ailleurs, certains pays autorisent désormais la cryogénisation des ovules, en vue d’une utilisation ultérieure. Ce n'est pas le cas de la France, ou seulement dans certaines conditions. Il faut se rendre en Espagne, en Belgique, en Italie ou en Suisse pour en bénéficier.
Avant de décider si elles auront un enfant dans un an ou dans dix ans, certaines femmes préfèrent faire évaluer leur fertilité. Depuis fin 2018, cela est désormais possible en France, au Centre hospitalier intercommunal de Créteil, près de Paris, qui inaugure un nouveau service : l'évaluation du potentiel de fertilité.
Les jeunes veulent détecter d'éventuels obstacles pour, le cas échéant, prendre les devants. Les plus âgés veulent savoir où elles en sont, sachant qu'après 35 ans, la fertilité d'une femme dégringole : "Notre doyenne avait 46 ans, son conjoint en avait 36. Pour elle, il était trop tard," explique le docteur Nathalie Massin à nos confrères de France-Inter.
Malgré les risques, de nombreux facteurs incitent les femmes à vouloir tomber enceintes à 45 ans, voire plus. Les naissances deviennent également plus fréquentes chez les femmes ayant dépassé l’âge de procréer - 50 ans ou plus. En 2016, 12 093 quiquagénaires ont accouché dans l’Union européenne, alors qu'elles n'était que 287 en 2002. En 2016, l'Europe s'émouvait du cas d'une Italienne qui, à 61 ans, accouchait d'un premier enfant sans procréation assistée, mais après une longue cure d'hormones. Vingt ans auparavant, encore en Italie, une femme de 63 ans était devenue mère - son gynécologue sera traduit devant la justice pour "vol d'ovocytes".
C'est l'étonnante conclusion d'une étude réalisée en 2015 à l'université de Boston. L'un des chercheurs, Thomas Perls, plaide pour qu'on cesse de stigmatiser les femmes qui ont leurs enfants après 40 ans. "On les critique en disant qu'elles seront trop vieilles pour s'occuper de leur adolescent ou éduquer leurs petits-enfants, mais je gage que ces femmes vieilliront exceptionnellement bien", déclarait-il au Boston Globe. Dans une autre étude, il démontrait que les femmes qui avaient un enfant après 40 ans avaient 4 fois plus de chances de vivre centenaires.
Thomas Perls se garde toutefois d'en tirer des conclusions sur les effets d'une grossesse tardive. "Les gènes qui permettent à une femme de concevoir à un âge avancé un enfant de façon naturelle sont les mêmes que ceux qui jouent un rôle important dans le ralentissement du vieillissement et la diminution des risques de maladies liées à la vieillesse", expliquait-il au Washington Post.
Qu'en est-il de la paternité tardive ? La recherche ne le dit pas. Une certitude demeure, toutefois, confirmée par l'INED : les hommes font des enfants encore plus tard que les femmes.
Et l'Afrique ?
La baisse de la fécondité est plus marquée parmi les femmes de 40 et plus que parmi les plus jeunes en Afrique sub-saharienne. Environ 12% de la fécondité se produisait à 40 ans et plus dans les années 1950, et c'est environ 9% aujourd'hui.
Le nombre de femmes ayant un enfant à 40 ans ou plus est en chute libre depuis la fin des années 1980, comme le montre le schéma ci-dessous. "Les femmes avaient en moyenne 0,8 enfant au-delà de 40 ans, et elles en ont environ deux fois moins actuellement. La baisse devrait se poursuivre, et atteindre 0,2 enfant par femme vers 2050, puis continuer sans doute au-delà, explique Bruno Schoumaker, professeur de démographie à l'université catholique de Louvain. Cela varie bien sûr entre pays : au Niger, les femmes ont en moyenne 0,7 enfant à 40 ans et plus, alors qu'on est autour de 0,12 en Afrique du Sud et 0,17 au Zimbabwe."
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