Mères et épouses de disparus continuent le combat au Liban

Au Liban, l’amnistie accordée aux criminels de guerre en 1991 s’est transformée en une amnésie générale. Depuis neuf ans, aujourd’hui même, une tente permanente en centre-ville près du siège de l’ONU, rappelle à tous que des milliers de familles désespèrent de connaître un jour la vérité.
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Mères et épouses de disparus continuent le combat au Liban
Rassemblement à Beyrouth des familles des disparus.
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Elle a raconté son histoire des centaines de fois. Autant d’interviews que de jours et de nuits à passer à attendre son mari. Wadad Halwani est à la tête du Comité des familles de disparus au Liban. Petite, son visage entouré de ses cheveux au carré, elle reçoit dans son bureau au Sérail, le siège du gouvernement. Wadad, 62 ans, œuvre comme fonctionnaire depuis la fin de la guerre civile. Travailler près de ceux qui font tout pour taire les horreurs de la guerre. Une ironie toute libanaise.
Mères et épouses de disparus continuent le combat au Liban
Wadad Halwani dans son bureau.
Aux murs, des dessins et des sourires d’enfants sont accrochés. Derrière une pile de dossiers, elle se remémore ce jour où sa vie a basculé. « C’était le 24 septembre 1982 vers 13h. Nous étions en train de préparer le déjeuner. Deux personnes en civil ont frappé et c’est mon fils qui a ouvert la porte. Il a dit : "Papa il y a quelqu’un qui t’appelle!" Mon mari Adnan avait 36 ans à l’époque. Je l’ai entendu dire « mais attendez je veux parler à mon épouse ». Adnan est embarqué, enlevé dans sa propre maison. C’est le dernier jour que le couple de professeurs passe ensemble. A l’époque, Amine Gemayel vient d’être élu président. Pour la première fois, au petit matin, Wadad voit des drapeaux libanais côtoyer ceux des milices. Un vent d’espoir souffle sur son quartier de Ras El Nabaa, situé sur la ligne de démarcation. « Avec le nouveau président élu, l’armée libanaise était en train de chercher les armes et de les récupérer. Je n’avais pas entendu parler d’enlèvements ou d’arrestations. Ces deux hommes m’ont présenté des cartes officielles avec un drapeau libanais dessus. Ils m’ont dit de ne pas avoir peur, que ce ne serait qu’un simple interrogatoire, qu’Adnan reviendrait dans cinq minutes. Mais ces cinq minutes durent jusqu’à aujourd’hui », soupire la Libanaise. Avant d’avouer à ses deux petits garçons que leur père a disparu, Wadad usera de ruses, prétextant qu’il est parti en voyage, achetant des cadeaux en les signant de son nom. Après un appel à la radio locale, Wadad se retrouve entourée d’environ 150 personnes à la recherche de leurs proches. Le 17 novembre 1982 c’est la naissance du Comité. 
La vérité est encore loin Depuis, inlassablement, les familles cherchent à faire pression sur ces seigneurs de guerre qui se sont amnistiés eux-mêmes. « Ils ont laissé les habits des miliciens pour des costumes cravates. C’est pour ça que la question traîne jusqu’à aujourd’hui. » Après plusieurs commissions et la découverte de trois charniers, la vérité est encore loin. Justine Di Mayo Houry, fondatrice de l’association Act for the disappeared, décrit cette « autocensure particulière ». « Tout est mêlé, la question des disparus, de la réconciliation et de la mémoire de la guerre. Mais il ne faut pas oublier que le crime de disparition est un crime continu tant que la vérité n’est pas faite. » Et sans l’établissement des faits, impossible d’entamer un réel travail de mémoire au Liban. L’association, lancée en 2012, reconnaît les difficultés « à sensibiliser sur la question ». Justine détaille : « Au bout de trente ans, les familles sont désabusées et ne croient pas en les autorités libanaises. Il y a un réel désengagement. Les gens se mobilisent peu, les associations ont peu de capacités. La plupart des jeunes libanais n’ont pas conscience qu’il y a des disparus dans leurs pays. » Depuis le retrait des troupes syriennes, la question des disparus est tout de même abordée plus facilement. « Une quinzaine d’associations a travaillé sur un projet de loi. Maintenant nous voulons qu’il soit adopté. Il est urgent d’agir. Les parents sont en train de mourir. »
Mères et épouses de disparus continuent le combat au Liban
Film documentaire “Sleepless nights“ d’Eliane Raheb
17 415 disparus Un très beau documentaire Sleepless nights ( "Nuits sans sommeil") d’Eliane Raheb a récemment confronté Assaad Chaftari, un ancien officier des services de sécurité des Forces libanaises, et Maryam Saïdi, mère d’un jeune combattant communiste Maher, disparu en 1982. Maher est l’un des visages des milliers de disparus de la guerre civile. Selon un rapport de police publié en 1991, 17 415 Libanais auraient disparu entre 1975 et 1990. Mais les chiffres restent très difficiles à confirmer. En ce jour anniversaire du sit-in permanent en centre-ville, associations et familles ne lâchent rien. Cette quête de la vérité est principalement portée par des femmes : mères, sœurs et filles de disparus. « Les hommes sont très rares dans le Comité. On est une trentaine de personnes actives mais les femmes commencent à vieillir… », reconnaît Wadad. Alors que le Tribunal spécial pour le Liban est en cours, Wadad, pessimiste mais déterminée, lâche, fatiguée : « Le TSL c’est bien mais nous aussi nous voulons la vérité et la justice ! Il faut que les Libanais sachent qu’ils marchent, qu’ils se garent, qu’ils dansent sur les cadavres de leurs compatriotes. »
Mères et épouses de disparus continuent le combat au Liban
La tente des familles de disparus dans le centre de Beyrouth.