#MeToo au Japon : une victoire contre l'oubli pour Shiori Ito

En 2017, Shiori Ito brise le silence en racontant son histoire. Elle accuse un haut responsable d'une chaîne de télévision nipponne de l'avoir droguée puis violée, deux ans auparavant. Son récit fait l'objet d'un livre La boîte noire. Quatre ans après les faits, le tribunal de Tokyo lui accorde des dommages et intérêts. Une première victoire pour celle qui est devenue la figure de proue du mouvement #MeToo au Japon.
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Shiori Ito, larmes aux yeux, après l'annonce du tribunal de Tokyo qui, ce 18 décembre 2019.  lui a octroyé des dommages et intérêts à hauteur de 27 500 euros, dans l'affaire l'opposant à celui qu'elle accuse de l'avoir violée en 2015, Noriyuki Yamaguchi.
©AP Photo/Jae C. Hong
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"Nous avons gagné, il a été débouté, c'est une étape importante", lance Shiori Ito devant les caméras à la sortie du tribunal, entourée de ses défenseur.e.s.

"Nous avons pu présenter des témoignages qui ont été entendus par la cour civile", s'est-elle félicitée, brandissant ensuite une bannière où étaient inscrits les kanji (idéogrammes) signifiant une victoire judiciaire. "Honnêtement, je ne réalise pas encore", a-t-elle ajouté. Elle espère que la décision du tribunal contribue à changer la situation pour les femmes victimes de viol au Japon, jugeant "arriéré" l'environnement social et légal actuel.

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Shiori Ito, devant le tribunal de Tokyo, brandit une pancarte sur laquelle on peut lire en japonais "Victoire judiciaire", le 18 décembre 2019. 
©AP Photo/Mari Yamaguchi

Le juge a ordonné à son agresseur présumé le paiement de 3,3 millions de yens (27 500 euros) de dommages à la jeune femme, environ un tiers de la somme qu'elle réclamait. Une partie de ce montant est destiné à couvrir les frais d'avocat.

L'homme qu'elle accuse, Noriyuki Yamaguchi a réfuté de nouveau toute faute et annoncé, lors d'une conférence de presse, qu'il allait immédiatement interjeter appel. "Le fait que les médias nationaux et internationaux aient relayé uniquement la version de Shiori Ito a pu influencer le tribunal", a-t-il aussi déclaré.

Dans le jugement, il est précisé que la jeune femme a "été forcée d'avoir une relation sexuelle non protégée tout en étant dans un état inconscient". Pour autant, l'homme n'est pas pénalement poursuivi. Une enquête avait été ouverte mais a été classée sans suite. L'action civile a donc été engagée par Shiori Ito en désespoir de cause.

Shiori, initiatrice du #MeToo nippon

Alors que débutait dans le monde le mouvement #Metoo, celle qu'on désigne désormais par son prénom au Japon, a secoué la société nippone en affirmant avoir été violée en 2015 à Tokyo dans une chambre d'hôtel par Noriyuki Yamaguchi,

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journaliste vétéran d'une chaîne de TV privée, qui lui faisait miroiter un poste aux Etats-Unis, où lui-même se trouvait.

Selon Shiori Ito, son agresseur présumé l'a probablement droguée, alors qu'ils dînaient ensemble dans un restaurant, pour ensuite abuser d'elle.

Shiori, aujourd'hui âgée de 30 ans, a rendu son histoire publique en parlant à la presse et dans un livre titré Black box ("La Boîte noire"). "Quand je suis venue déposer ma plainte pour viol au commissariat, le policier m'a dit 'De toute façon, ce genre de choses arrive tout le temps, ça ne peut pas faire l'objet d'une enquête'", écrit-elle dans ce récit glaçant, minutieux et très documenté.

"Travailler au Japon allait-il donc devenir impossible ? C'est ce que la police me répétait depuis le début et je commençais à le croire. Travailler dans le même milieu que lui, en faisant comme si rien n'avait changé, était trop angoissant. J'étais allée à la police, il pouvait décider de se venger à tout moment. Je craignais qu'il me fasse surveiller, qu'il exerce des pressions. Il avait suffi d'un mot venu d'en haut pour que le mandat d'arrêt contre lui soit annulé", raconte-t-elle encore dans ce livre confession d'un combat contre un système.

Elle ajoute ensuite : "Il y avait sûrement toutes sortes de moyens de me réduire au silence qui dépassaient le cadre de mon imagination. Je me sentais de plus en plus acculée".
 

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"Ouvrez la boîte noire", lit-on sur cette banderole brandie par des manifestants venus soutenir Shiori Ito, en référence au titre de son livre enquête et confession, le 18 décembre à Tokyo.
©AP Photo/Jae C. Hong

Complicité et hautes sphères...

Ses actions pour obtenir un procès pénal ont été selon elles stoppées juste avant l'interpellation prévue de Noriyuki Yamaguchi, en raison des liens qu'il entretient dans les hautes sphères. Il est entre autres le biographe du Premier ministre Shinzo Abe. 

Noriyuki Yamaguchi a lui aussi porté plainte à l'encontre de la jeune femme, réfutant les accusations de viol et estimant avoir été diffamé. Il n'a pas obtenu gain de cause. Sa version à lui est que la jeune femme était totalement ivre et incapable d'aller où que ce soit seule après le dîner. C'est pourquoi il explique l'avoir ramenée à l'hôtel où il séjournait. Il aurait, dit-il encore, répondu à ses avances. Il reconnaît donc la relation sexuelle, mais estime qu'elle était mutuellement consentie.

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De nombreux.ses manifestant.e.s sont venu.e.s soutenir Shiori Ito devant le tribunal de Tokyo, le 18 décembre 2019.
©AP Photo/Jae C. Hong

Viol et culture nipponne

En dépit des initiatives fortes de Shiori Ito, le mouvement #Metoo n'a pas connu une grande ampleur au Japon où la législation sur le viol, datant de plus d'un siècle, n'a été amendée à la marge que récemment.

[Mme Shiori Ito est une femme courageuse qui se bat pour la justice, mais on est loin de la justice. Son cas devrait être jugé comme un crime et l'indemnisation est beaucoup trop faible pour elle. Mais c'est un début de justice pour les victimes au Japon]

Shiori a aussi souligné combien les structures étaient inadaptées, qu'il s'agisse de l'accueil, dans les cabinets médicaux, des femmes violées ou du manque d'attention à leur encontre auprès des forces de l'ordre.

Des défenseurs des droits manifestent régulièrement depuis des mois, révoltés par une loi "dépassée" qui a permis à un homme de rester libre bien qu’il ait été reconnu coupable en septembre dernier d’avoir violé a fille pendant des années. Un tribunal japonais a établi que cet homme avait violé sa fille entre les âges de 13 et 19 ans, en faisant usage de violence lorsqu’elle résistait. Le jugement indique que "tous les rapports" ont eu lieu "contre la volonté" de la jeune fille et que celle-ci était sous l’emprise psychologique de son père en raison des abus répétés. Mais aucune peine de prison n’a été prononcée à l’égard de ce dernier car légalement il revient à l’accusation de prouver qu’il y a eu usage d’une force écrasante, de menace(s) ou que la victime était dans l’incapacité totale de résister.
Cette affaire est à l'origine du mouvement #flowerdemo, lire notre article ici
>Japon : #flowerdemo, protéger les victimes, pas les violeurs

Dans le dernier classement du Forum économique mondial sur l'égalité, le Japon est 110e sur une liste de 149 pays. Le pays est pointé du doigt pour son système judiciaire problématique. Les procédures peuvent être très longues et prendre parfois des dizaines d'années, les plaignant·es ne sont également pas remboursé·es de leurs frais de justice éventuels, ce qui dissuade de nombreuses personnes de se lancer dans la bataille.

Dans ce pays très patriarcal, les femmes se taisent quand elles sont victimes de violences. Mais peut-être de moins en moins grâce à Shiori Ito.