Il continue d'emporter dans son incendie ceux qui se croyaient intouchables.
Et depuis un an, la liste est impressionante.
Citons quelques têtes d'affiches décapitées aux Etats-Unis par le mouvement.

Leslie Moonves, PDG de la chaîne CBS, a été contraint au départ après des accusations d'abus sexuels.
L'acteur et animateur Bill Cosby vient d'être reconnu coupable d’agression sexuelle. Il dort en prison depuis le 26 septembre 2018, condamné à passer entre trois et dix ans derrière les barreaux.
Le juge Brett Kavanaugh occupe en ce moment la Une de tous les médias américains. Car son histoire trouve un épilogue qui va à contresens de ces punitions.
En dépit des accusations de comportements sexuels inappropriés, et de tentatives de viol, des faits qui remontent à plus de trente ans, il est assuré, malgré tout, de siéger à la Cour suprême. Susan Collins, la sénatrice Républicaine et le sénateur démocrate Joe Manchin (!) ont indiqué que Brett Kavanaugh pourrait compter sur eux lors du vote.
Voir dans Terriennes : > Brett Kavanaugh, le juge qui n’aimait pas les femmes
Et tant d'autres partout dans le monde, aucun continent n'a échappé à la vague.
> #MeToo #BalanceTonPorc, contre les violences sexuelles, partout les femmes passent à l'offensive
Harvey Weinstein, le détonateur
#Metoo apporte d'abord un oxygène salvateur aux femmes. Désormais, elles osent parler et dénoncer les violences qui empoisonnent leur quotidien ou saignent leur mémoire.L'affaire a commencé en octobre 2017.

Voir dans Terriennes : > Après le licenciement de Harvey Weinstein pour harcèlement sexuel, à Hollywood les actrices parlent
Le mouvement #MeToo (#Moi aussi) débutait avec, très vite, une éclosion de noms célèbres : les actrices Asia Argento, Rosanna Arquette, Emma De Caunes, Salma Hayek, Angelina Jolie, Léa Seydoux, Uma Thurman témoignèrent à charge contre Harvey Weinstein.
Du jamais vu.
Terminé les arrangements à l'amiable dans le huis clos cossu d'un cabinet d'avocat. Au pays du dollar-roi, rien ne pouvait acheter la colère de ces plaignantes. Elles refusaient le baillon doré.
Les colonnes du "New York Times" et du "New Yorker" évoquaient en première page les plaintes de ces actrices violentées. Et le grand public apprenait ce que tout le monde ou presque savait dans les coulisses de l'usine à rêve : le magnat de Hollywood, ce gros nounours rigolard était peut-être un salaud de première.

Un hashtag utilisé par 4,7 millions personnes
Le 15 octobre 2017, l'actrice Alyssa Milano encourage la diffusion du hashtag #MeToo afin d'attirer l'attention sur les agressions sexuelles et le harcèlement.
Très vite, le compteur s'affole.
Le hashtag "#MeToo tweeté par l'actrice à midi est repris 200 000 fois à la fin de la journée et tweeté plus de 500 000 fois le 16 octobre. Il est utilisé par plus de 4,7 millions de personnes dans 12 millions de publications au cours des 24 premières heures.
En réalité, "Me too" a été lancé il y a onze ans par Tarana Burke, une travailleuse sociale de Harlem.
Alyssa Milano l'a fait sien. (Voir le texte de Tarana Burke, plus bas).
L'onde de choc, depuis, ne s'est jamais atténuée.
Dans l'espace francophone, la journaliste Sandra Muller, de La Lettre de l'audiovisuel, utilise le hashtag #balancetonporc et embrase pareillement Twitter et les réseaux sociaux.
#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends
— Sandra Muller (@LettreAudio) 13 octobre 2017
Aujourd'hui, en France, une enquête menée par La fondation des femmes fait le point sur les retombées #MeToo. Il apparaît, selon un échantillon de plus d'un millier de femmes victimes de violence que #MeToo a été un déclencheur décisif et un facteur positif pour les femmes victimes.
18% des femmes font confiance à la police
Parmi elles, 71% ont décidé de témoigner d’agressions subies grâce à #MeToo. Pour la quasi-totalité d’entre elles (95,7%), ce mouvement a joué un rôle bénéfique.Mais l'étude met en lumière un constat pour le moins inquiétant : à peine 18% des femmes victimes font confiance à la police et à la gendarmerie, et 26% à la justice. Seule le travail mené par les associations semble trouver grâce à leurs yeux puisque 95% des femmes leur font confiance.
Annette Lévy-Willard, écrivaine, conférencière et journaliste (en particulier au quotidien Libération) qui a publié Chroniques d’une onde de choc #MeToo secoue la planète, (éditions de l’Observatoire, juin 2018), tempère ces chiffres.

Elle se veut malgré tout optimiste, allant jusqu'à évoquer une "dynamique historique" : "Il y a une prise de conscience et des gens, hommes et femmes, mais aussi des institutions (Police, Justice..) qui s'interrogent et se remettent en question mais on ne va pas du tout faire bouger l'humanité en un an !"
Il y a un avant et un après MeToo parce que ces questions-là sont posées aujourd'hui à tout le monde et dans le monde entier
Annette Lévy-Willard, "Chronique d'une onde de choc"
Sur l'absence de confiance envers la justice ? "Si une femme porte plainte pour harcèlement au travail, dans 90 % des cas, c'est elle qui va quitter son boulot parce que c'est elle qui va être virée. Elle est certaine de perdre son travail. Et vous n'allez pas porter plainte si vous savez que vous allez vous retrouver ensuite au chômage. Mais il y a un avant et un après MeToo parce que ces questions-là sont posées aujourd'hui à tout le monde et dans le monde entier. Regardez ce qui se passe au Brésil aujourd'hui ! Ce sont les femmes qui mènent la bataille. Pas pour le féminisme mais contre ce personnage raciste et misogyne (Jair Bolsonaro, candidat d'extrême droite qui a eu des propos sexistes, homophobes et racistes ndlr). C'est un combat politique."
Et si la parole est partagée d'abord au sein des associations et non pas dans une enceinte judiciaire, c'est, selon elle, pour éviter d'abord une publicité forcément génante, voire humilante : " On n'a pas envie de faire cela publiquement. Si vous prenez le cas de Harvey Weinstein, il n'y a plus maintenant que deux femmes dont les plaintes sont au coeur du procès, sur une centaine d'actrices. Vous pensez qu'une actrice agressée a envie d'évoquer publiquement et exactement ce qui s'est passé devant ses enfants, sa famille ? Dans la quasi-totalité des viols, il n'y a pas de plaintes. Les filles préfèrent "oublier" plutôt que de raconter ça à leur famille, à leur petit ami, au mari..."


Elle refuse cependant de voir certanes problématiques uniquement sous l'angle féministe. " Regardez ce qui se passe aujourd'hui contre Trump. Ce n'est pas parce que vous êtes une femme ou un homme. C'est un mouvement contre Trump où les femmes sont particulièrement en colère contre ce type qui est un personnage atroce. Elles mènent le mouvement mais pas pour les femmes. Elles mènent le mouvement contre Trump. Vous allez voir lors des élections de mi-mandat du 6 novembre 2018 où, pour la première fois, et c'est historique, il y a un nombre de femmes candidates à des postes de gouverneur, de parlementaires etc. Il se passe quelque chose et tout cela, au départ, c'est parti des femmes, ce mouvement contre Trump, pas au nom de revendications féministes. C'est un mouvement pour l'égalité entre les hommes et les femmes".
En France, le chemin semble encore bien long pour faire bouger les mentalités. Selon un récent sondage Harris Interactive pour RTL Girls : seules 32 % des personnes interrogées voyaient des conséquences plutôt positives du mouvement MeToo. En revanche, à peine 1 homme sur 4 de moins de 35 ans expliquait que cela avait modifié sa perception du harcèlement sexuel.
Le premier MeToo, celui de Tarana Burke, en 2007
"Le Mouvement Me Too a commencé dans l'endroit le plus profond, le plus sombre de mon âme.

En tant qu'intervenante auprès des jeunes, surtout auprès des enfants de couleur, j'avais vu et entendu ma part d'histoires déchirantes, allant de familles brisées à des parents abusifs ou négligents, lorsque j'ai rencontré Heaven. Au cours d'une séance de socialisation entre filles à notre camp de jeunes, plusieurs des filles présentes dans la salle ont partagé des histoires intimes sur leur vie. Certaines étaient des histoires d'angoisse adolescente normale et d'autres étaient très douloureuses. Comme je l'avais fait tant de fois auparavant, je me suis assise et j'ai écouté les histoires, et j'ai réconforté les filles au besoin. Une fois l'entretien terminé, les adultes ont conseillé aux jeunes femmes de nous contacter au cas où elles auraient besoin de parler davantage ou d'autre chose - et nous avons ensuite pris des chemins différents.
Le lendemain, Heaven qui avait assisté à la séance de la veille, a demandé à me parler en privé. Heaven était une très jeune fille au visage doux et elle s'accrochait à moi. Cependant, son comportement hyperactif et souvent rempli de colère trahissait à la fois son nom et sa voix légère et aiguë. Alors qu'elle tentait de me parler ce jour-là, son regard m'envoya dans l'autre direction. Elle avait une profonde tristesse et un désir ardent de confession que j'ai perçu immédiatement, mais dont je ne voulais pas. Finalement, plus tard dans la journée, elle m'a rattrapée et m'a presque suppliée d'écouter... et j'ai concédé à contrecœur. Pendant quelques minutes, cette enfant, Heaven, a lutté pour me parler de son "beau-père" ou plutôt du petit ami de sa mère qui faisait toutes sortes de choses monstrueuses à son corps en développement... J'ai été horrifiée par ses paroles, les émotions envahissaient mon corps, et j'ai écouté jusqu'à ne plus pouvoir les supporter... ce qui a été fait en moins de cinq minutes. Puis, alors qu'elle partageait sa douleur avec moi, je l'ai interrompue et je l'ai immédiatement dirigée vers une autre conseillère qui pouvait "mieux l'aider".
Je n'oublierai jamais son regard.
Je n'oublierai jamais ce regard parce que je pense à elle tout le temps. Le choc d'être rejetée, la douleur d'ouvrir une plaie pour ensuite la refermer brusquement - tout était sur son visage. Et même si j'aime les enfants, même si je me souciais de cette enfant, je ne trouvais pas le courage qu'elle avait trouvé elle. Je ne pouvais pas rassembler l'énergie pour lui dire que je comprenais, que je me sentais connectée, que je pouvais sentir sa douleur. Je ne pouvais pas l'aider à se libérer de sa honte, ni lui faire comprendre que rien de ce qui lui était arrivé n'était de sa faute. Je n'arrivais pas à trouver la force de dire à voix haute les mots qui résonnaient dans ma tête encore et encore pendant qu'elle essayait de me dire ce qu'elle avait enduré... Je la regardais s'éloigner de moi alors qu'elle essayait de rassembler ses secrets pour les replacer dans leur cachette. Je l'ai regardée remettre son masque et retourner dans le monde comme si elle était toute seule et je ne pouvais même pas me résoudre à chuchoter... Me Too, moi aussi."
Texte original à retrouver > ici