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Trente-cinq ans après, Selima Sfar décide de parler : dans un entretien au journal L'Equipe, elle accuse son ancien entraîneur Régis de Camaret de l'avoir violé pendant près de trois ans lorsqu'elle était adolescente. On la voit ici lors d'un tournoi à Dubaï en février 2010.
Un trop lourd secret, trop longtemps gardé. Aujourd'hui, à 46 ans, Selima Sfar parle des violences sexuelles qu'elle a subies adolescente alors qu'elle était en France. L'ex-joueuse tunisienne accuse Régis de Camaret, l'entraîneur de l'époque, de l'avoir violée. Le même homme a déjà été condamné et emprisonné pour viol sur mineures.
"Quand j'avais 12 ans et demi, j'ai été abusée par Régis de Camaret. Personne ne connaît mon histoire" : après des années de non dits et de souffrance, Selima Sfar sort du silence.
Dans un entretien exclusif accordé au journal L'Equipe, la joueuse de tennis tunisienne raconte les violences sexuelles qu'elle a subies, lorsqu'elle était en France, adolescente. Elle accuse Régis de Camaret de l'avoir violée à de multiples reprises, lorsqu'il était son entraîneur.
Toute ma vie, j'ai pensé que j'étais faible, lâche, nulle. Jusqu'à ce que je comprenne. Aujourd'hui, à 46 ans, je peux parler parce que j'ai beaucoup travaillé sur moi et été aidée. La honte a disparu. Selima Sfar dans L'Equipe
Aujourd'hui, trente-cinq ans après, les mots sortent. Enfin.
"J'ai mis longtemps à me libérer. C'est un gros traumatisme. Quand ça arrive, on se dit : 'J'ai tout sacrifié pour ça, il faut que j'y arrive.' J'ai bossé comme une malade. Toute ma vie, j'ai pensé que j'étais faible, lâche, nulle. Jusqu'à ce que je comprenne. Aujourd'hui, à 46 ans, je peux parler parce que j'ai beaucoup travaillé sur moi et été aidée. La honte a disparu. Quand je pleure, c'est de l'émotion. Ce ne sont pas les mêmes larmes. La honte s'est transformée en fierté. Je suis fière de ce que je suis devenue."
"Je venais d'un pays arabe. Tout ce que je savais était qu'il était l'un des meilleurs coachs du monde, un peu "Dieu" dans le tennis en France et, si je voulais vraiment devenir championne, j'avais besoin de lui."; raconte la joueuse qui revient en détail sur l'emprise qu'elle subissait à ce moment-là. Une emprise qu'elle qualifie de cauchemar. Un cauchemar qui a duré "pratiquement trois ans."
À cet instant-là, je ne savais même pas ce qui se passait, je ne comprenais pas du tout. Selima Sfar dans le journal L'Equipe
Semira Sfar était déjà joueuse de tennis junior de haut niveau en Tunisie quand elle décide d'entamer une carrière professionnelle en France. Elle choisit de s'entraïner à Biarritz, un club performant et réputé. Logée en famille d'accueil, elle enchaîne les aller retours entre la France et la Tunisie pour aller voir ses proches. C'est justement un soir, lors de son arrivée par avion à Bordeaux, que l'entraîneur se propose de venir la chercher. "Au milieu du trajet, il était une heure du matin, il s'est arrêté sur le bas-côté et il a commencé à me toucher, à faire des choses. À cet instant-là, je ne savais même pas ce qui se passait, je ne comprenais pas du tout. Il y a trente-cinq ans, 12 ans ce n'est pas 12 ans maintenant", confie-t-elle à nos confrères du journal sportif.
A ce moment là, elle explique n'avoir pas pu en parler à ses parents, alors en plein divorce : "Dans ma tête, je me disais que la seule chose que je pouvais faire était d'y arriver. J'avais l'impression que je pouvais les rendre plus heureux si je gagnais. Si je perdais, il y avait encore plus de culpabilité".
La jeune femme décidera ensuite de changer de club et d'entraîneur en partant à Bordeaux, puis à Londres, où cette fois elle choisit de s'entraîner seule. "J'étais disciplinée et je suis entrée dans le top 100", rapporte-t-elle.
Lorsqu'en 2005, la joueuse Isabelle de Mongeot sort du silence dans son livre Service volé. Elle y révèle avoir été violée pendant neuf ans par Régis de Camaret. Une enquête est ouverte. Mais pour Selima, c'est encore trop difficile, elle ne se sent pas "prête". Contactée par la police, elle garde son secret et préfère dire que "rien ne s'est passé".
Je comprends qu'on ne parle pas, il faut le faire au moment où on le sent. Selima Sfar dans L'Equipe
"J'ai mis vingt-cinq ans à me l'avouer, trente-cinq ans à le dire publiquement. Respect à Isabelle Demongeot et toutes les femmes qui ont parlé. Je comprends qu'on ne parle pas, il faut le faire au moment où on le sent. Je ne juge personne", précise-t-elle.
La joueuse raconte avoir traversé des années de dépression lorsque "plein de choses sont remontées". La première fois où elle a vraiment pu mettre les mots sur son traumatisme, c'est avec sa psychologue Mélanie Maillard. Ce fut le déclic de sa reconstruction. Un parcours semé d'embûches pour la joueuse qui avoue que pour elle gagner était synonyme d'abus. Sa carrière en sera longtemps entachée, elle raconte même comment, lors d'étapes importantes, sur le point de remporter une victoire, elle sabotait son match.
Selima Sfar, lors du tournoi de Dubaï en 2010, un an avant de raccrocher sa raquette. Première joueuse arabe à atteindre le top 100 mondial, elle reste l'une des rares professionnelles de Tunisie à avoir évolué au plus haut niveau international.
Condamné, l'homme qu'elle accuse de l'avoir violée, a été en prison. "Le but de cette interview n'est pas de le blâmer", précise Selima Sfar. L'ex championne parle aujourd'hui pour toutes les autres. Pour leur dire de ne pas vivre dans la honte et la culpabilité et les encourager à témoigner : "J'en parle parce qu'il y a encore beaucoup d'abus, pour toutes celles et ceux qui sont victimes".
Si Selima Sfar n'a pas remporté de tournoi WTA pendant sa carrière, son meilleur résultat restant une demi-finale en double dames à Stockholm en 2006, elle reste l'une des rares joueuses professionnelles de son pays à avoir évolué au plus haut niveau international. Elle a été la première joueuse arabe à atteindre le top 100 mondial en se classant 75e. Elle s'est imposée à trente-et-une reprises (dont vingt en double) sur le circuit ITF, avant de tirer sa révérence en 2011 après 16 ans de carrière pro.
"Je suis une guerrière. Je n'ai pas survécu, j'ai vécu. Je dis bravo à la petite Selima", confie celle qui aujourd'hui s'occupe de deux équipes de football à Bruxelles. Elle est aussi régulièrement appelée comme consultante dans les médias pour commenter les tournois de tennis.
L'entretien de Selima Sfar est à retrouver dans son intégralité dans le journal L'Equipe.
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