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Dans le sillage du mouvement #metoo, en Suisse aussi, la parole s'est libérée sur les réseaux sociaux pour dénoncer des environnements de travail sexistes et discriminatoires. Avec le recul, quels sont les effets concrets de cette libération de la parole ?
#swissmediatoo, #servicespublicstoo, #entreprise_too… Sur Instagram les publications visant à dénoncer des conditions de travail délétères dans les entreprises se sont multipliées ces derniers mois, dans le sillon de la révolution sociétale #MeToo née en 2017 sur les réseaux sociaux internationaux.
Climat toxique, atmosphère sexiste voire harcèlement… La libération de la parole est parvenue aux oreilles de nombreuses institutions. Mais que retient le monde du travail de ce nouveau paradigme ? Quelles mesures les entreprises suisses ont-elles prises pour éviter des actes de harcèlement ou intervenir face à ceux qui se dérouleraient chez eux ? La réponse n’est pas simple.
Certaines interventions sont visibles. Des outils se multiplient, comme à Genève par exemple, où une formation en ligne pour sensibiliser au harcèlement sexuel au travail a été mise en place pour tous les employés de l’Etat. Un cursus intégré à un kit de sensibilisation destiné à toutes les entreprises du pays. Le Groupe Mutuel s’est aussi doté, en complément à des mesures déjà en place, fin 2020, d’une plateforme externe permettant de signaler les comportements illégaux ou ne respectant pas le code de conduite de l’entreprise.
A noter: les entreprises sont toujours plus nombreuses à se doter d’une personne dite "de confiance", interne ou externe, pour gérer les conflits et les questions de harcèlement (psychologique ou sexuel). Depuis un arrêt du Tribunal fédéral datant de 2012, déjà, la pratique est en réalité obligatoire, mais dans les faits, sa mise en place reste lente et n’est qu’en progression.
Nous avons quatre ou cinq nouvelles entreprises clientes par semaine, elles sont de plus en plus sensibles à ces problématiques.
Alain Meylan, directeur de Fair 4 Safety
Alain Meylan a pu l’observer par lui-même. Il est directeur de Fair 4 Safety, une société crée par la Fédération des entreprises romandes Genève (FER) en 2006 pour soutenir les entreprises dans la mise en place de dispositifs de santé et sécurité. Fair 4 Safety a lancé début 2021 un service de personnes de confiance. "Nous avons quatre ou cinq nouvelles entreprises clientes par semaine, elles sont de plus en plus sensibles à ces problématiques. Avant, certains employeurs considéraient peut-être ces affaires avec un petit sourire distant, maintenant ils se disent qu’il faut aussi prendre en main ces problématiques chez eux."
Alain Meylan tempère : la mise en place de ces personnes de confiance n’implique pas forcément que les collaborateurs osent faire appel à elles. "Il faut qu’ils croient au fait que cela restera confidentiel et qu’ils se sentent libres d’y avoir recours, et ça prendra du temps."
Globalement, pas de ruée vers les outils et infrastructures de prévention. A la Fédération des entreprises romandes Genève, on ne constate pas de croissance exponentielle, mais une constante progression ces dernières années. "Depuis 2010, nous avons beaucoup de demandes. L’intérêt pour ces thématiques se fait progressivement", note aussi Mélanie Battistini, qui anime des formations en entreprise sur la prévention du harcèlement sexuel et psychologique pour le centre de compétences en matière de souffrance au travail le 2e Observatoire.
Beaucoup d’employeurs ont l’idée que le harcèlement est le fait d’individus déviants... mais le problème peut aussi être celui de la culture d’entreprise...
Mélanie Battistini, animatrice de formations sur la prévention du harcèlement sexuel et psychologique
La spécialiste mentionne aussi les difficultés que ces thématiques peuvent représenter pour les PME, qui manquent parfois de connaissances et surtout de moyens à consacrer à la prévention. Mais pour des entreprises de toutes tailles, elle constate encore certains freins à l’action : "Beaucoup d’employeurs ont l’idée que le harcèlement est le fait d’individus particulièrement déviants, sans réaliser que, même si cela peut être vrai, il n’a pas à être toléré, et que le problème peut aussi être celui de la culture d’entreprise qui tolère, voire incite, ce genre de comportements."
Ainsi, Mélanie Battistini n’a "pas l’impression d’avoir encore assisté au #MeToo suisse, avec des effets concrets dans les entreprises. Mais peut-être qu’on aura plus de recul dans quelques années." Un des problèmes majeurs, selon elle, est la croyance que le harcèlement sexuel n’arrive que chez les autres.
En Suisse, la thématique est encore plus taboue que dans d’autres pays voisins, parce que nous sommes très discrets, nous n’aimons pas le scandale.
Bettina Palazzo, experte en harcèlement sexuel et éthique des affaires
Un constat que fait aussi Bettina Palazzo, fondatrice de Palazzo Ethics Advisory et experte en harcèlement sexuel et éthique des affaires. "En Suisse, la thématique est encore plus taboue que dans d’autres pays voisins, parce que nous sommes très discrets, nous n’aimons pas le scandale."
Depuis le mouvement #MeToo, les entreprises sont plus sensibles aux questions de harcèlement, note-t-elle, mais sans que cela les pousse forcément à agir. Interrogée face à l’impact de différentes prises de parole en Suisse, notamment au sein de la RTS ou d’universités romandes, Bettina Palazzo estime que "nous sommes aujourd’hui plutôt dans une phase intermédiaire, pendant laquelle les entreprises croisent les doigts pour que ça n’arrive pas chez eux. Les cadres ne savent pas comment mettre en place des dispositifs ni agir de façon positive sans sortir tous les cadavres des placards."
Un immobilisme qui n’est pas sans conséquences, souligne Bettina Palazzo : "C’est en général quand un scandale éclate que les entreprises réagissent, alors qu’il se passe souvent des choses problématiques depuis dix ans. Quand une affaire a éclaté, c’est beaucoup plus difficile d’intervenir." L’experte tente donc de montrer aux entreprises ce qu’elles ont à gagner avec de la prévention. "Si elles n’ont pas encore eu de cas, c’est justement maintenant qu’il faut agir. C’est comme une thérapie de couple, on y va toujours quand c’est trop tard !"
Retrouver l'article original par ► Julie Eigenmann sur le site de nos partenaires suisses Le Temps
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