#MeToo à l'anglaise : un lord "balance" un milliardaire pour harcèlement sexuel récurrent. Shocking !

Philip Green, "sir" milliardaire balancé par Peter Hain, "lord" travailliste en pleine session de la Chambre haute du Parlement britannique. La scène enflamme la presse outre-Manche, nouveau jalon du “British #MeToo scandal”, tandis que les députés de l'opposition travailliste exigent que le titre de chevalier soit retiré à l'homme d'affaires. Et les femmes victimes dans tout ça ? 
Image
Biritish #MeToo
Les protagonistes de l'épisode le plus spectaculaire du "british #MeToo" : le milliardaire Sir Philip Green, Lord Perter Hain, et le Daily Telegraph révélateur du scandale
Portrait officiel pour Lord Hain et Wikicommons pour Sir Philip Green
Partager 8 minutes de lecture

Il fut d'abord désigné sous le sigle "ABC" par les juges. Un code que le Daily Telegraph, le plus vendu des quotidiens britanniques, avait fini par "craquer". Sous le titre "Le scandale britannique #MeToo qui ne peut être révélé", le journal désignait, le 24 octobre 2018, un homme d'affaires éminent dont il ne pouvait révéler le nom depuis que cet Anglais puissant avait lancé une injonction pour empêcher la presse de dévoiler son nom "dans des allégations de harcèlement sexuel et d'abus racistes envers son personnel".

Secrets et mensonges

Aussitôt Claire Newell, responsable des enquêtes de ce média vieux de plus de 150 ans, commentait cette mauvaise manière faite pour empêcher les journalistes de faire leur travail : "Un homme d'affaires de premier plan a obtenu une injonction contre The Telegraph pour empêcher ce journal de révéler des allégations de harcèlement sexuel à l'encontre du personnel. Les accusations contre l'homme d'affaires, qui ne peut ainsi être identifié, ne manqueront pas de raviver le mouvement #MeToo contre la maltraitance des femmes, et autres minorités par de puissants employeurs. MeToo est devenue une campagne mondiale sur les réseaux sociaux l'année dernière après les révélations sur Harvey Weinstein, le magnat du cinéma américain. Comme Weinstein, l'homme d'affaires britannique a utilisé des accords de non-divulgation (NDA) controversés pour réduire au silence et "rembourser" ses victimes présumées par des "sommes importantes". Les accords de confidentialité sont couramment utilisés dans le monde des affaires pour protéger la confidentialité commerciale, mais on craint qu'ils ne soient utilisés à mauvais escient pour dissimuler des actes répréhensibles et dissuader les victimes de crimes potentiels de s'adresser à la police."

Et voici qu'une alliance inédite se forme. Le Telegraph est classé du côté des conservateurs (surtout parce que la majorité de ses lecteurs le sont selon les sondages opérés par le quotidien lui même) et affiche des Unes quelque peu populistes. Au lendemain de l'injonction lancée pour empêcher la parution de son enquête, un parlementaire travailliste de la Chambre des Lords se fâche et lâche le morceau devant ses pairs, lors d'une très brève allocution de 30". 

J'ai senti qu'il était de mon devoir sous le 'privilège parlementaire' de désigner Philip Green comme étant l'individu en question
Lord Peter Hain

"'My Lords', ayant été en contact avec quelqu'un intimement engagé dans l'affaire d'un homme puissant qui a usé d'un accord de confidentialité et de paiements substantiels pour dissimuler la vérité au sujet de cas sérieux et répétés de harcèlement sexuel, de racisme et d'intimidation compulsifs et continus, j'ai senti qu'il était de mon devoir sous le 'privilège parlementaire' de désigner Philip Green comme étant l'individu en question, compte tenu du fait que les médias ont été sujets à injonction les empêchant de dévoiler tous les détails de cette histoire qui est clairement d'intérêt public."

Quand lord Peter Hain le travailliste balance sir Philip Green le tory

Cette brève sortie, en forme de dénonciation publique, Lord Peter Hain qui fut aussi plusieurs fois ministre, se l'est permise au nom du dispositif du "parliamentary privilege" (privilège parlementaire) qui permet d'éviter que les législateurs ne fassent l'objet de poursuites, pénales ou civiles, à la suite de gestes posés ou de discours prononcés lors des délibérations parlementaires. Quelques mots salués par une partie  de l'opinion publique... 
Les accusations ont été balayées le jour même d'un revers de communiqué par les avocats du magnat du commerce londonien : notons que l'un des termes employés n'est plus harcèlement mais "comportement sexuel illicite ou raciste". 

Un démenti par voie de communiqué

Le propriétaire de plusieurs chaînes de vente de vêtements rassemblées dans les Groupes Arcadia, BHS ou Top Shop, soutien affiché de chefs de file des conservateurs, avait déjà défrayé la chronique, pour les conditions de travail des salarié.es de ses enseignes, ou des mauvaises manières financières.

Cette fois, il a répondu par un communiqué plutôt laconique, sans doute rédigé par sa batterie d'avocats, à ses détracteurs : "Je ne commente rien de ce qui s'est passé devant les tribunaux ou qui a été dit au Parlement aujourd'hui. Dans la mesure où il est suggéré que je me suis rendu coupable d'un comportement sexuel ou raciste illégal, je nie catégoriquement et totalement ces allégations. (Le groupe) Arcadia et moi prenons très au sérieux les accusations énoncées, et les griefs des employées font toujours l'objet d'une enquête approfondie. Arcadia emploie plus de 20 000 personnes et, comme beaucoup de grandes entreprises, reçoit parfois des plaintes officielles de la part de ses employés. Dans certains cas, elles sont réglées avec l'accord de toutes les parties et de leurs conseillers juridiques. Ces accords sont confidentiels, je ne peux donc pas en dire plus."

Philip Green, un milliardaire très voyant

Le Guardian a consacré un portrait peu flatteur au milliardaire : "Sir Philip Green vit pendant la semaine dans une suite de l'hôtel cinq étoiles Dorchester. Le vendredi, il s'envole en jet privé pour se rendre à la maison familiale à Monaco, bien à l'abri de l'impôt, ou là où leur super yacht Lionheart de 100 millions de livres est amarré. C'est une vie très éloignée du premier emploi de Green, qui consistait à acheter des vêtements excédentaires à des entreprises en faillite et à les revendre à des commerçants sur le marché. Ayant bâti une fortune dans le commerce de détail, le magnat de 66 ans aime faire la fête, surtout pour son anniversaire. La fête de son 55eme anniversaire aux Maldives a duré cinq jours, avec une troupe de danseuses seins nus et des performances de George Michael et Jennifer Lopez, le tout pour environ 20 millions de livres sterling. (.../...) Pour ses 60 ans, le show s'est déroulé au centre de villégiature Rosewood Mayakoba au Mexique, avec des prestations de Robbie Williams, Stevie Wonder et les Beach Boys. Ses cadeaux incluent un jet Gulfstream de 7 millions de livres sterling et un Monopoly en or de 250 000 livres sterling. Son 65e anniversaire, en mars de l'année dernière, fut bien en dessous des standards de Green - juste un dîner intime pour 100 amis proches au restaurant China Tang à l'hôtel Dorchester. Cette année, Green a déclaré à Oliver Shah, l'auteur de sa biographie non autorisée Damaged Goods, que le débat #MeToo était allé trop loin. 'Où est-ce que tout ça va s'arrêter', a-t-il dit. 'Il n'y aura plus de fêtes d'enterrement de vie de garçon, plus de fêtes avec des "poules", plus de filles paradant sur le ring à la boxe. Alors, tout ça va être interdit ?'"

"Il aimait que j'ai peur."

Et ses accusatrices, dans ce fatras politico-médiatiques, où sont elles ? De quoi l'accusent-elles ? Elles semblent quelque peu oubliées dans cette lutte entre deux hommes puissants... L'une d'entre elles s'était confiée  au Telegraph. Celle-ci n'est pas l'une de ses employées, mais une relation, une femme moins soumise à son pouvoir en principe... : "Il était comme un roi médiéval qui testait la maturité d'un fruit. Avoir sa main en sueur sous ma jupe était répugnant, mais c'était le jeu de pouvoir en cause là dedans qui était la pire chose. Il aimait que j'ai peur." Des mots que l'on a déjà tant entendus depuis que le mouvement #MeToo s'est répandu dans le monde... #HarveyWeinstein #TariqRamadan, et tous les autres... 

Mais au Royaume-Uni, derrière ce britannique #MeToo, enfle une autre polémique, sur les institutions, et ce fameux "privilège parlementaire". Il aurait été, dans ce cas précis, utilisé à fort mauvais escient pour une affaire privée de moeurs qui ne relève pas du pouvoir judiciaire. Ainsi l'ancien procureur général Dominic Grieve en 2010, et élu conservateur s'est-il élevé vigoureusement contre le discours de Lord Hain, le qualifiant d'"arrogant" et "capricieux", avant de déclarer à la BBC que Lord Hain avait "porté atteinte à l'État de droit" et "abusé" de son privilège parlementaire. Un point de vue applaudi par un éditorialiste : "Je ne suis pas toujours d'accord avec Dominic Grieve, mais je suis tout à fait d'accord avec lui lorsqu'il dit que Lord Hain, en invoquant le privilège parlementaire, s'est ingéré dans la primauté du droit, en rejetant la décision judiciaire contre le Daily Telegraph. C'était très précipité de la part de Lord Hain !"
Un argument retoqué par l'un des journalistes phares de The Observer (classé à gauche) : "Mon fil twitter est plein de défenseurs mélodramatiques qui prétendent que le fait que Peter Hain ait nommé Green est une menace pour l'État de droit lui-même. Ne peuvent-ils pas accepter que le privilège parlementaire soit un frein aux fautes de la magistrature, en particulier son vice perpétuel qui consiste à faire passer le secret en premier ?"
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1