Alors que débute le procès Weinstein, et deux ans après le mouvement #MeToo, une question persiste : comment accueillir la parole d'actrices ayant subi des agressions sexuelles ? Si certaines, exposées et connues ont osé parler publiquement et aller en justice, d'autres restent dans le silence par peur de n'être pas entendues et de se voir "black-listées". Rencontre avec James Dominique Chabert, président de l'association Casting Info Service, qui accompagne acteur.trices victimes de violences sexuelles.
Ecoute, information, accompagnement juridique, enquête... Au quotidien, l'association Casting Info Service accompagne les témoignages de comédiennes, victimes de violences sexuelles. Son président, James Dominique Chabert décrit l'omerta qui règne dans le milieu du spectacle ainsi que la difficulté pour des actrices loin des projecteurs et de la célébrité, et parfois en situation précaire de se faire entendre.
TV5MONDE : Ces dernières années, les scandales sexuels liés au monde du spectacle se multiplient. Avez-vous été surpris par leur ampleur ?James D. Chabert : Oui, même si depuis vingt ans le nombre de signalements pour viols et agressions sexuelles s’accroît et que les mêmes noms remontent souvent. Les femmes en ont marre et le disent avec force. Ces pratiques ont toujours existé et il est temps que cela cesse. J’avais eu vent des agissements d’Harvey Weinstein par un contact basé aux Etats-Unis et je me félicite qu'en France, Adèle Haenel a eu le courage de parler et surtout de porter plainte. D'autres actrices l'ont fait avant elle, mais la société n'était pas prête à les entendre avant #MeToo et #BalanceTonPorc.
Dans toutes ces affaires, ce sont des actrices célèbres qui ont alerté le monde. Est-ce la condition pour être entendue ?De toute évidence, quand des actrices anonymes sont violées, ça n'intéresse pas les médias. Pourtant, les deux tiers du monde du spectacle sont composés d’anonymes. Ce sont des professionnelles confrontées à des dérives au quotidien. Ces femmes ne trouvent pas toujours le courage de parler, entre autres, par peur de ne pas être prises au sérieux.
Comment expliquez-vous l’omerta qui règne dans le monde du spectacle ?Entre-soi, précarité et hypocrisie. Dans ce petit milieu, tout le monde se connaît et se recrute mutuellement. Parler c’est bien souvent
« se griller ». Ces dernières années, les offres d’emploi se raréfient tandis que la concurrence s’intensifie. L’avènement de la télé-réalité puis des réseaux sociaux a permis à chacun d’avoir son quart d’heure de gloire warholien. Les artistes ne savent plus comment garder leur place. Ils ont aussi peur de perdre leur travail face à quelqu’un qui le fera pour un salaire de misère, voire gratuitement. Si tu ajoutes à cela les
« fils et filles de » très favorisés en France, qu’est-ce qu’il reste pour les autres ? Les professionnels intègres se rendent coupables par leur silence. Dans les cas les plus graves, ils ont admis l'abus comme partie prenante d’une carrière :
« si elle se plaint, c’est qu’elle n’est pas faite pour ce métier », peut-on entendre. Pour celles qui refusent de coucher le chemin est plus long et plus difficile. Il est rare qu’une actrice n’ait pas été confrontée à une agression sexuelle, c'est quasiment un passage obligé. Souvent c’est raconté dans un livre, des années après, quand elles n’attendent plus rien.
Beaucoup de personnalités célèbres nous renseignent.
Combien de signalements recevez-vous par jour ?Dix en moyenne avec des pics par période. Dans ces signalements, il y a aussi des vols et de l’escroquerie. Beaucoup de personnalités célèbres nous renseignent mais n’adhèrent pas à l’association de peur d’être étiquetées comme des
« balances ». L’adhésion à l’association Casting Info Service est de 10 euros pour dix ans, pour le moment nous comptons deux-cent membres.
Les hommes sont également concernés par les abus sexuels dans le milieu du spectacle…Effectivement, c’est une réalité, même si nous dénombrons bien moins de cas. En général, les hommes sont victimes de recruteurs très connus et très puissants, du producteur en passant par l’agent ou le directeur de casting. Là encore les mêmes noms remontent... Mais je n’ai pas eu affaire à des escrocs qui cherchent à arnaquer des hommes pour obtenir du sexe contrairement à ce que l’on observe pour les femmes. En cas de viols, ils se sentent plus honteux d’en parler. C’est un tabou et un impensé terrible dans notre société. Cela touche à l’image que nous avons de la virilité. Certaines victimes me disent
« mais je ne suis pas homo ». D’un autre côté, pour d’autres c’est :
« foutez moi la paix avec ça, moi c’est livré avec ». Ils assument de coucher pour réussir.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de jouer les justiciers pour vous mettre en avant ?Je suis d'abord une ancienne victime d'arnaque au casting. Je ne suis ni juge, ni policier, ni avocat. Je me considère comme un citoyen enquêteur. En vingt ans de travail, je n’ai jamais été condamné pour diffamation et suis régulièrement menacé de mort. Mon équipe est composée uniquement de bénévoles généralement issus du monde du spectacle et je vis du revenu de solidarité active (RSA). J’écris des livres mais je n’en vis pas non plus. J’aimerais professionnaliser ma fonction (que j'exerce à temps plein) car j’estime que c’est un service public.
Quand j’ai commencé à parler d’agressions sexuelles, de viols et de pédophilie en citant des noms, il y a eu un black-out des médias.
Vous êtes très critique envers les médias français. Pourquoi ?Les médias m’ont fait connaître pendant quinze ans quand je ne dénonçais encore que des escroqueries au casting (120 apparitions depuis 1999). Quand j’ai commencé à parler d’agressions sexuelles, de viols et de pédophilie en citant des noms, il y a eu un black-out. Je continue d’être sollicité par des journalistes mais le nom de l’association n’est pas mentionné dans les publications. De plus, beaucoup d’informations ne sont pas vérifiées. En off, certains me racontent être pressurisés par le temps et que les chaînes sont parfois dans le conflit d’intérêts avec certains grands producteurs de cinéma et de séries qu’elles diffusent. Désormais je refuse les demandes des médias. Quand je vois sur les plateaux de télévision des hommes de théâtre connus de tous pour leur exercice du droit de cuissage sur les comédiennes, les bras m’en tombent.
Quelles solutions pourraient-être mises en place pour mieux protéger les victimes ?D’abord, il faut qu'elles portent systématiquement plainte. Le paradigme a changé et désormais celles-ci sont prises en compte. Quand on n'a pas les moyens de se payer les services d’un avocat, l’aide juridictionnelle existe. Les différents syndicats et les structures comme les nôtres doivent absolument se concerter et collaborer ensemble. Les artistes peuvent se syndiquer et se renseigner sur notre groupe Facebook comptant 15 000 membres ainsi que sur le site Internet Casting Info Service qui réalise une veille informationnelle sur les professionnels du spectacle.