#Metoo à Taiwan : un flot de témoignages ébranle la société

Taïwan : l'une des démocraties les plus progressistes d'Asie, la première loi de la région sur le mariage homosexuel et des femmes politiques aux plus hauts niveaux. Mais depuis plusieurs mois, enquêtes, démissions et déprogrammations se succèdent suite à un déferlement de témoignages de harcèlement sexiste. Le débat social bat son plein.

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Capture d'écran d'une vidéo du Parti démocrate progressiste tournée le 2 juin 2023 à Taipei, Taïwan : Hsu Li-ming, secrétaire général du PDP, deuxième à gauche, suivi par les autres membres du parti, présente des excuses publiques aux victimes de harcèlement sexuel.

©Parti démocrate progressiste via AP
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La vague #MeToo qui déferle à Taiwan sur les milieux politiques et universitaires, en passant par le divertissement, est déclenchée fin mai 2023 par la lanceuse d'alerte Chen Chien-jou, qui dénonce le harcèlement sexuel dont elle a été victime. 

Cette ancienne collaboratrice de campagne politique, âgée de 22 ans, révèle dans un message publié sur Facebook avoir été pelotée lors d'un voyage en voiture par un réalisateur de télévision. L'homme a été engagé l'an dernier sur un projet du Parti démocrate progressiste au pouvoir, employeur de Chen Chien-jou à l'époque. 

J'ai eu l'impression d'être niée et blâmée, comme si c'était une plaisanterie.Chen Chien-jou

Quand elle a le courage d'en parler au responsable des affaires féminines du parti, Chen Chien-jou déclare avoir été traitée de manière "froide et humiliante" et s'être heurtée à l'hostilité de son supérieur. "On m'a demandé 'pourquoi n'avez-vous pas sauté du van ?' et 'pourquoi n'avez-vous pas crié ?'", confie-t-elle, "j'ai eu l'impression d'être niée et blâmée, comme si c'était une plaisanterie (pour son supérieur)". 

"Je veux que les gens comprennent qu'il ne s'agit ni d'une comédie, ni d'un drame, mais de quelque chose qui arrive tous les jours," confiait-elle à la presse anglophone début juillet 2023

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Prise de conscience 

Son récit public a fait instantanément le tour des réseaux sociaux, libérant la parole de ses compatriotes qui se sont mises à raconter des cas de harcèlement au travail. Son histoire a également déclenché une prise de conscience au-delà de la sphère politique.  

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Nombre d'affaires ont ainsi été mises au jour notamment celle de l'agression sexuelle présumée d'une vingtaine de femmes par un comédien populaire qui fait l'objet d'une enquête. Quant au chanteur Bobby Chen, il est évincé du festival de Tianmu après des accusations de harcèlement. "C'est une bonne chose que les victimes parviennent à s'exprimer, cela demande beaucoup de courage, estime Chen Chien-jou, même si cela m'attriste d'entendre ces choses qui n'auraient jamais dû se produire".

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La faute des victimes

"La violence sexuelle, de la violence domestique au harcèlement sexuel, est plus fréquente qu'on ne le pense", souligne Liao Shu-wen, secrétaire général de la Coalition taïwanaise contre la violence. 

L'une des premières affaires à retentir dans l'île s'est produite en 2018, quand montait en puissance le mouvement mondial #MeToo. Un groupe de gymnastes a alors porté plainte contre un ancien entraîneur pour des agressions sexuelles perpétrées sur mineures. Il a fini par être condamné. 

Cette fois-ci, les gens expriment davantage de soutien que de doutesWang Yue-hao

Mais le mouvement taïwanais était resté modeste "en raison d'une foule de doutes émis en ligne où on blâmait les victimes", explique Wang Yue-hao, responsable de Garden of Hope Foundation, une association de défense des droits des femmes. Sa fondation et le ministère du Travail ont réalisé des sondages qui ont révélé que "de 70% à 80% des victimes de harcèlement sexuel n'osent pas" porter plainte sur leur lieu de travail, poursuit-elle. "Les victimes craignent d'être considérées comme des fauteuses de troubles", poursuit-elle.

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Le vent tourne

Selon Wang Yue-hao, toutefois, le cas de Chen Chien-jou montre que le vent commence à tourner. "Cette fois-ci, les gens expriment davantage de soutien que de doutes... certains dirigeants politiques ont réagi rapidement et positivement".
 

Le Parlement devrait tenir une session extraordinaire à la fin du mois pour réviser trois lois relatives à l'égalité des sexes, notamment en établissant un "mécanisme de signalement fiable et direct" de cas de harcèlement sexuel sur le lieu de travail. 

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"Si la société n'est pas capable de réfléchir profondément et de reconnaître l'égalité des sexes comme un droit humain fondamental, c'est que nous laissons tomber les personnes qui se sont exprimées pendant ce mouvement", déclare Fan Yun, membre du Parlement démocratique populaire. Elle-même a gagné un procès pour harcèlement sexuel contre un député du Kuomintang, Elle appelle le gouvernement de Tsai Ing-wen à adopter des mesures avant les élections de 2024.

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"Ne pas laisser passer"

Tel est le slogan de ralliement qui s'est imposé à mesure que le mouvement prenait de l'ampleur. Il est inspiré d'un dialogue de Wave makers, une série taïwanaise à succès. 

"Nous ne pouvons pas laisser passer aussi facilement. Sinon, nous allons lentement dépérir puis mourir", déclare le personnage principal Weng Wen-fang, s'engageant à aider sa subordonnée qui a été pelotée par un collègue et subi des pressions pour qu'elle garde le silence. C'est en regardant Wave Makers que Chen Chien-jou a décidé de rendre public son témoignage. 

Chen Chien-jou dit avoir trouvé un certain réconfort dans les excuses publiques des dirigeants du DPP, d'autant que son ancien supérieur a démissionné. Mais le réalisateur de télévision lui n'a toujours pas présenté d'excuses. 

Tsai Ing-wen

La présidente taïwanaise Tsai Ing-wen a présenté ses excuses après les allégations de harcèlement au sein de son parti. Ici au centre, après un exercice antiterroriste en mer à Kaohsiung, dans le sud de Taïwan, le 10 juin 2023.

©AP Photo/Chiang Ying-ying

"J'espère que toutes celles qui sont prêtes à parler et prendre part au mouvement obtiendront la justice qu'elles méritent. Et à celles qui ne le peuvent pas maintenant, je leur souhaite de trouver la force de continuer", assure Chen Chien-jou.

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