Trois ans après le meurtre de sa femme Alexia, l'heure de vérité a sonné le 16 novembre 2020 pour Jonathann Daval, appelé à comparaître devant la Cour d'assises de la Haute-Saône pour répondre d'un crime qui avait bouleversé la France en pleine vague #MeeToo. Terriennes mettait alors l'accent sur les effets bénéfiques de ce mouvement et sur la prise de conscience de l'importance des mots employés quand il s'agit, pour les médias, de parler des femmes, et plus particulièrement des violences faites aux femmes.
Lors d'un entretien avec Michèle Leridon, directrice de l'information de l'AFP, troisième agence de presse mondiale, celle-ci nous expliquait que désormais, dans la "bible" de l'agence, étaient clairement éradiqués les termes tels que "crime passionnel", "drame conjugual", "drame de l'amour" et que désormais il serait écrit "accusatrice" dans les dépêches et non plus "victime présumée" dans le cas d'une affaire de violences faites à une femme.
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Un crime est un crime
Alors bien-sûr il y a eu procès. Celui de Jonathann Daval. La justice a fait son travail, comme le dit la formule, c'est elle qui a le dernier mot : 25 ans de réclusion criminelle. Mais les mots déjà, il y en a bien trop. Provoquant colère et dégoût, non pas en raison des faits, qu'il nous est impossible bien évidemment de commenter ici, mais à cause de ce déluge médiatique qui a inondé en quelques heures les écrans et les ondes.Une opération médiatique paraissant parfaitement orchestrée par l'avocat de la défense, dès l'annonce des aveux de l'informaticien de 34 ans. Aussitôt aidée et relayée par l'immense caisse de résonnance offerte par les principales grandes chaînes, radios, sites d'info en continu, et reprise dès le lendemain par la presse écrite. Une tribune offerte pourrait-on dire, des micros et plateaux tv à volonté, ou l'on entend en boucle un argumentaire apparemment bien préparé par une défense déjà en plaidoirie, en vue d'un procès qui pourtant n'aura pas lieu avant des mois.
VIDEO - Meurtre d'Alexia: "Jonathann va être jugé pour 3-4 secondes de sa vie, ce n'est pas un mauvais homme", estime son avocathttps://t.co/HCSHkTlRuP pic.twitter.com/IShoX0TlMa
— BFMTV (@BFMTV) January 30, 2018
le poids des mots, le choc des photos. Pour illustrer le féminicide de Alexia Daval par son mari, beaucoup de media choisissent une photo du mari en larmes (une photo d'Alexia n'allait pas ?) pic.twitter.com/oOnYdOePS7
— CrêpeGeorgette (@valerieCG) 30 janvier 2018
"Lorsqu’il montre son émotion et qu’il pleure, on peut admettre que #JonathannDaval soit réellement dans une émotion. Il vit tout de même un deuil, qu’on ne peut pas nier", explique le psychanalyste @pascalneveu #SudRadioMatin #AffaireDaval
— Sud Radio (@SudRadio) 31 janvier 2018
➡️ https://t.co/sNF7huuxOu pic.twitter.com/6MBhCy1BJL
Entendu également lors de la diffusion en direct de la conférence de presse de l'avocat des parents d'Alexia Daval, un journaliste posant cette question : « les violences infligées par Alexia à son mari Jonathann pourraient-elles constituer des circonstances atténuantes ? ».
#Victimblaming ou comment rendre la victime coupable
Voilà tout simplement ce qu'on appelle du victim blaming, autrement dit, comment rendre la victime coupable par une justification du meurtre, comme ici, en utilisant un aspect de sa personnalité. Terme repris sur Twitter par Marlène Schiappa, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes.« Alexia avait une personnalité écrasante »
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 30 janvier 2018
Pour tous ceux qui demandent un exemple de « victim-blaming » dans le récit, en voici. #féminicides
Cc @MESNIERThomas @laurossignol @RixainMP @G_GouffierCha @titiou @AssiaBenziane pic.twitter.com/fpQxEbotZ0
.@MarleneSchiappa explique sur @LCI ses déclarations sur le "victime-bashing" après le point presse de l'avocat de Jonathann Daval. "Il est impossible de tenir des propos qui banalisent ou qui excusent les violences conjugales" #AlexiaDaval pic.twitter.com/NgTLcx1R6Q
— Antoine Llorca (@antoinellorca) 31 janvier 2018
Une distinction importante entre la position des avocats et sa reprise sans contexte dans des articles de presse #Daval #victimblaming pic.twitter.com/DDW0rKZu26
— Anaïs Condomines (@AnaisCondomines) 31 janvier 2018
Sur Facebook, Karine Plassart, militante féministe, co-fondatrice de la branche d'Osez le féminisme à Clermont-Ferrand, à l'origine de la première mobilisation qui a abouti à la grâce présidentielle de Jacqueline Sauvage en janvier 2017, dénonce une « banalisation et une société complice des violences masculines ».
« C'est à propos de ce meurtre-là, que Ruth Elkrief, de sa cellule de crise permanente, demande en duplex au maire d'un village voisin, s'il était au courant de "tensions dans le couple" (...) Un représentant de la "fondation des femmes", sans doute appelé en catastrophe, appelle à "ne pas oublier les femmes victimes de violences". Une ancienne procureure rappelle sans rire que le mari, dont on débat à l'antenne depuis des heures, et dont l'écran partagé diffuse non-stop des images en larmes, lors de l'enterrement de sa femme, est présumé innocent. Aucun de ceux-là ne sait rien des rapports entre le mari et la femme, ni de la manière dont le mari a tué sa femme. Mais ils sont tout de même rassemblés là, au rendez-vous des parleurs de rien, parce que quelqu'un (mais qui ?) a décidé que cette affaire dont on ne sait rien serait le sujet du jour ».
Jamais jusqu'à aujourd'hui, le mot dièse #LesMotsTuent n'a pris autant son sens. La créatrice de ce Tumblr, la blogueuse et militante féministe Sophie Gourion tient à faire ce rappel.
Le meurtre d'Alexia Daval est emblématique du traitement journalistique des violences faites aux femmes. J'ai compilé dans mon Tumblr #LesMotsTuent plus de 300 articles qui les minimisent ou les excusent https://t.co/Oeb7WxdyDa
— Sophie G. (@Sophie_Gourion) 30 janvier 2018
Agathe Ranc, journaliste
« Il ne s'agit pas de nier le fait qu'une femme puisse être agressée dans la rue ou dans les bois où elle court. Qu'elle puisse avoir peur dans un espace public encore trop masculin. Cette peur existe. Mais il s'agit de réaliser qu'écrire "meurtre de joggeuse" a autant de sens qu'écrire "meurtre de femme portant des chaussures" ou "meurtre de femme vêtue d'un tee-shirt en été"», écrit encore très justement la journaliste, et d’ajouter, « Ce qui est dangereux, c'est de préférer demander à une femme de ne pas sortir de chez elle plutôt qu'à un homme de ne pas agresser ou tuer une femme. De le répéter à longueur d'articles anxiogènes et culpabilisants, par facilité. »
Hé , les médias, on peut essayer de voir combien de femmes ont étranglé leur mec par inadvertance, ou on peut se pencher 2 minutes sur le concept de #Féminicide ? #Daval @KarinePlassard
— Corinne Acheriaux (@Co_Achx) 30 janvier 2018
Martine Simonis, AJP, Association des journalistes en Belgique
Meurtre d'Alexia Daval : une couverture médiatique lamentable (comme souvent) #journalisme https://t.co/on7qkM0XVS via @mariekirschen
— Nataly BREDA (@NatalyBREDA) January 31, 2018
La ministre @MarleneSchiappa s'insurge contre la défense du mari et meurtrier présumé d'Alexia Daval qui blâme la victime. Un phénomène d'autant plus pernicieux quand il est repris en boucle par les médias. #victimblaming #Feminicide pic.twitter.com/zFY8G86TxW
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) January 31, 2018
#Yapasquelesmotsquituent
#YaduBoulot