Meurtres et disparitions de femmes autochtones au Canada : polémique autour du terme "génocide"

Après la publication du rapport de "l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées", un mot cristallise le débat. Peut-on parler, comme le font les auteurs, de "génocide" ? Au-delà de la polémique, la réalité reste qu'une femme autochtone a aujourd'hui encore quatre fois plus de risques de disparaître ou d'être tuée, qu'une autre.
Image
trudeau et femmes autochtones
©Wikipedia
Justin Trudeau en octobre 2016, lors de son discours sur la disparition des femmes indigènes à Ottawa.
Image
Women deliver
Dans une allocution à la conférence Women Deliver 2019, le premier ministre Trudeau a prononcé, en anglais, le mot « génocide ». Photo: Radio-Canada

Partager 5 minutes de lecture
Les rédacteurs du rapport en étaient sûrement conscients, mais le terme de génocide qu’ils ont employé plus de 100 fois à propos du sort des femmes autochtones du Canada fait des remous. Y a-t-il eu génocide contre ces femmes, ces filles et les personnes de diverses identités de genre rassemblées sous le terme de "2ELGBTQQIA" ?

Ainsi le Premier ministre du Québec, François Legault, estime-t-il que les faits avancés dans le rapport, bien que "très graves", ne reflètent pas suffisamment les définitions internationales ou juridiques du génocide.

Plus critique encore Bernard Valcourt, ancien ministre chargé des Affaires autochtones de 2012 à 2015 dans le gouvernement Harper (conservateur), critique un rapport qu'il juge "propagandiste" :  "Combien toute cette fourberie aura-t-elle coûtée aux contribuables ? Que nous ont appris ces soi-disant analyse et rapport ? À quoi bon réécrire l’histoire sans avancer les vrais moyens ?" interroge-t-il sur Twitter

"Génocide colonial"

Les rédacteurs du rapport, eux, campent sur leur position. "Souvenons-nous : qui a développé la définition du génocide ? Est-ce qu’il y avait des autochtones ? Est-ce que les peuples autochtones étaient présents au moment de la réflexion et de l'adoption de la définition du génocide à l’ONU ? Non." rétorque la commissaire Michelle Audette, pressée par les journalistes. 
 

Pour la commissaire Audette, le système colonial, la loi sur les Indiens, la rafle des années 1960, la stérilisation forcée des femmes autochtones et les pensionnats autochtones, notamment, s'inscrivent dans la définition de génocide :

Le génocide selon la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, approuvée par l'ONU en 1948 Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
(document Radio Canada)

Une "réalité déchirante"

Le gouvernement, lui, s'en est tenu à une réaction prudente. En premier lieu, celle du Premier ministre,  Justin Trudeau.  Il a accueilli favorablement le rapport mais s’est gardé de prononcer le mot contesté. Ou pour être précis, il l'a prononcé une seule fois, un peu plus tard, en citant le rapport, lors d'un discours au sommet "Women Deliver" de Vancouver : "C'est une histoire qui est inimaginable pour la plupart des Canadiens. Mais pour beaucoup de gens, c'est une réalité déchirante…C'est honteux, c'est inacceptable".
 

Il a également promis de lancer un "plan d'action national" pour apporter des réponses "concrètes et cohérentes" aux conclusions du rapport.  Justin Trudeau a fait  de la réconciliation avec les populations autochtones l'une des priorités de son mandat. Le ministre de la Justice, David Lametti a gardé la même réserve. "Laissons la terminologie aux experts et aux universitaires" souligne-t-il,  promettant lui aussi des mesures.
 

Car au-delà du débat sémantique, le rapport énonce de nombreuses recommandations. Reste à savoir lesquelles seront retenues par le gouvernement. 
Avec du recul, un responsable autochtone conclut : "Moi, je suis beaucoup plus intéressé par ce qui se passe après".
 

La réalité reste celle-ci, pour reprendre la citation d'une organisation canadienne de femmes des Premières Nations : "les femmes ou jeunes filles autochtones ont quatre fois plus de risques de disparaître ou d'être tuées que les autres". Et c'est bien de cette réalité qu'il s'agit de changer, bien au-delà des polémiques.
 

Chargement du lecteur...
Qu'est ce qu'un génocide ? La réponse de l'historien Stéphane Audouin - Rouzeau dans le Journal Afrique de TV5Monde du 9 mai 2018.