Pour dénoncer les harceleurs de rue, trois jeunes Mexicaines masquées utilisent la musique et les confettis pour seules armes. Pour les coupables, l’humiliation est cuisante.
Le Mexique détient un triste record en matière de violences sexuelles : entre janvier 2014 et juin 2015, l'
Observatoire citoyen du féminicide a dénombré 274 meurtres de femmes à Mexico. Et sur l'année 2015, pas moins de 1800 agressions sexuelles dans un espace public- métro, bus, parcs, rue, etc. - ont été dénoncées. Mais le nombre réel d'agressions est probablement plus élevé, car beaucoup de victimes n’osent pas les rapporter.
Aujourd’hui, les Mexicaines commencent à parler. Elles ont leurs lignes de métro et de bus, et leurs taxis roses. Début juillet, la municipalité distribuait 15 000 sifflets aux femmes qui le souhaitaient pour signaler les harceleurs, car "quand une femme appelle à l'aide dans un espace public, personne ne l'écoute, mais si je fais du bruit avec le sifflet, peut-être que oui, j'attire plus l'attention et on vient m'aider", expliquait à l'AFP Remedios Ramirez, 35 ans, agente d'entretien dans le métro.
Punk et confettis
Musique et jeux, rien de tel, selon
Las Hijas de Violencia ("les filles de la violence"), pour décourager les hommes qui manquent de respect aux femmes. Dégaînant un pistolet à confetti en diffusant du punk féministe à tue-tête dès qu'elles ont à faire à un harceleur de rue, les trois jeunes femmes, qui prônent un message non violent face au machisme, ont arpenté les rues de Mexico et enregistré les réactions masculines face à la stigmatisation.
La vidéo de leurs pérégrinations est devenue virale :
Les paroles de Sexista Punk, qu’elles chantent et diffusent à fond à la tête des harceleurs, sont très claires :
"J’y suis confrontée tous les jours
Les mêmes regards et paroles d’agression
“Elle est mignonne, elle est bonne, quel cul !”
Et moi j’ignore le dénigrement"En général, le harceleur se défend : "
J’ai simplement dit que tu étais jolie", "J’étais simplement en train de te regarder", etc... Ce à quoi Ana Karen, l'une des membres du groupe, répond
: "Très bien. Ce sont simplement une chanson et des confettis".
"Cela montre comment l’art peut être une arme puissante," ajoute-t-elle
dans un
entretien publié en anglais sur le site fusion.net.
Lors de leurs pérégrinations, deux hommes les ont menacées de les violer et de les tuer — c’est la seule fois où la situation s’est vraiment tendue, mais ils n’ont pas tenté de les frapper.
"C’était de l’intimidation", dit Ana Karen.
Sur leur compte
Twitter, Las hijas de violencia invitent les femmes qui le souhaitent à soutenir leur initiative en achetant un kit avec pistolet et confettis, un T-shirt ou bien des autocollants.
Qui sont Las Hijas de Violencia ?
Le groupe a été créé il y a trois ans par deux actrices et une plasticienne : Ana Karen 28 ans, Ana Beatrix, 25 ans et Betsabeth, 24 ans. Leur démarche, admettent-elles, ne découle pas d'un engagement féministe, mais davantage d'une volonté d'explorer la féminité par l'art.
Ce qui, au début, était une simple expérience inspirée de celles de l'artiste espagnole
Alicia Murillo, est devenu une performance qu'elles continuent de développer. Elles se sont également inspirée des actions des
Pussy Riot, they said.
Elles ne se prétendent pas la voix de toutes les femmes du Mexique, et elles assument leur condition priviégiée de filles urbaines qui ont fait des études, car c'est elle qui leur permet de vivre le sexisme autrement. Elles reconnaissent, en revanche, que le harcèlement de rue est un phénomène qui touche toutes les strates sociales. "Il reflète les racines idéologiques du machisme qui gouverne notre société. Il révèle quelque chose que les hommes disent aux femmes et qui peut aller jusqu'au féminicide," explique Ana Karen au site fusion.net.
Changer les comportements
"Nous essayons de changer des modèles de comportement profondément ancrés, c’est pourquoi les réactions sont vives," explique Ana Beatriz. Pour se protéger, les trois jeunes femmes ne dévoilent pas leur nom de famille et, souvent, portent des masques d’animaux pour dissimuler leurs traits.
Les hommes de notre famille ont remis en question ce que nous faisons mais, au moins, le sujet était sur le tapis.
Ana Karen
Dans leur propres familles, (Ana Karen et Betsabeth sont cousines), les réactions sont diverses. "Les hommes de notre famille ont remis en question ce que nous faisions. 'Qu'est-ce que ça vous apporte ?' interrogeaient-ils. Mais au moins, le sujet était sur le tapis". L’un des oncles a lancé : "C’est la liberté d’expression". "Mon frère m’a demandé ce qu’il était supposé faire si des femmes le harcelaient. Je lui ai répondu que je ne savais pas, que j’allais chercher," se souvient Ana Karen.
Solidarité
Les réactions à l'action des "filles de la violence" ont été très positives. Les femmes, surtout, les ont encouragées, ont envoyé leurs contributions et proposé de participer à leurs vidéos. Les trois jeunes femmes ont été invitées à prendre la parole dans le cadre de groupes de travail sur le harcèlement de rue au Mexique. Elles songent désormais à proposer des performances et des sessions d'informations dans les collèges, lycées et universités.