Dans un pays où la case maternité est presque un passage obligé, les femmes qui élèvent leurs enfants seules doivent surmonter de nombreux obstacles et affronter le regard accusateur de la société. Elles comptent pourtant sur le soutien de certains politiques et associations.
Célibataires, divorcées, séparées ou bien veuves, près de cinq millions de femmes vivent seules avec leurs enfants. Adolescentes ou femmes mûres, nulle n’est épargnée. De 15 à 50 ans, elles, et leurs enfants sont discriminés au travail, à l’école et même lors de certains évènements culturels. Malgré un taux semblable à celui des pays dits industrialisées et une acceptation grandissante du divorce, les femmes qui se séparent de leurs maris sont toujours pointées du doigt, notamment dans les milieux ruraux. Et que dire des jeunes femmes, ou adolescentes, traitées de traînées car elles sont tombées enceintes hors mariage…
Ce sont les conclusions d’une enquête réalisée en 2013 par l’Institut national de statistiques et de géographie du Mexique. Des données qui viennent confirmer un rapport réalisé par l’Assemblée nationale quelques mois auparavant.
Les députés n’avaient fait que coucher sur papier la réalité que ces femmes connaissent trop bien. Leur principale préoccupation : l’argent. Bien entendu, sans les moyens nécessaires elle n’ont accès ni au logement, ni à la santé, ni à l’éducation. Beaucoup d’entre elles sont dans l’obligation de faire face seules aux exigences de la famille et du travail puisque proches, (ex)compagnons et même l’Etat leur tournent le dos.
Selon l’Institut national des femmes, l’équivalent français du Ministère du droit des femmes, les mères célibataires subviennent à hauteur de 67,8% aux besoins du foyer. Et ce, si elles échappent à la discrimination à l’embauche. Le reste des revenus ? C’est l’inconnue. Un tiers des femmes dans cette situation est dans la pauvreté.
Des aides insuffisantes
Bien avant la publication de ces rapports, la ville de Mexico avait promulgué deux lois pour s’attaquer à ce problème. Depuis le 1er septembre 2009, la ville garantit une aide financière à toutes les femmes qui déclarent être « chef de famille » ou bien être seules à charge de leurs enfants. Elles ont droit à quatre jours de salaire minimum à condition de prouver qu’elles n’ont pas assez de ressources. « Ce n’est pas beaucoup, mais c’est déjà ça », raconte Gloria Pérez qui en bénéficie. Toujours à Mexico, un programme « intégral » a été lancé en 2012 pour combattre les discriminations, aider les mères à exiger leur pension alimentaire et percevoir une aide pécuniaire.
Au niveau national, des initiatives gouvernementales, qui ne ciblent pas directement les mères célibataires, représentent une bouée de sauvetage. Compartamos (partageons), est un programme de micro-crédit pour inciter les femmes à créer leurs petites entreprises et équiper leurs maisons. Ainsi, le programme Oportunidades (opportunités) met des aides à disposition de toutes les personnes habitant un foyer pauvre. Les enfants et les jeunes peuvent prétendre à des bourses. Les femmes, elles, bénéficient d’un modeste apport financier dans le but d’améliorer leur alimentation et leur santé.
Toujours au niveau national, une loi est entrée en vigueur fin 2012. Celle-ci permet d’inscrire sur un registre le nom des pères ne versant pas la pension alimentaire depuis plus de 90 jours. Ceci apparaît sur leur historique, les empêchant d’accéder au crédit ou à la propriété. Mais les autorités reconnaissent que son efficacité laisse à désirer. Les femmes craignent les représailles de leurs ex-compagnons.
Les députés, notamment ceux appartenant aux Parti de la révolution démocratique (PRD), le parti de la gauche progressiste, admettent que les programmes existants sont insuffisants et qu’il faut généraliser à échelle fédérale les initiatives mises en place dans la capitale. « Il faut soutenir ces femmes qu’on maltraite juste parce qu’elle n’ont pas un acte de mariage ou un homme pour les soutenir quand elles font leur entrée dans le monde de la maternité », estime le député Pablo Trejo Pérez.
La contraception, le nerf de la guerre
Ce député, comme beaucoup de ses collègues admettent que la source du problème est d’ordre culturelle, sociétale et médicale : « De nombreuses femmes se retrouvent dans cette situation car elles ont été forcées à avoir un rapport sexuel ou parce qu’elles n’ont aucune connaissance en matière de méthodes de contraception ».
Car la contraception est bel et bien le nerf de la guerre. María del Rosario Sarmiento Ramos, était candidate à un siège de députée en 2010 dans l’Etat de Puebla, mitoyen de l’Etat de Mexico, dans le centre du pays. Sous la bannière du Parti du Travail (gauche socialiste), c’est au cours de sa campagne électorale qu’elle a pris conscience du fléau : « Je n’imaginais pas qu’il y avait autant de mères célibataires, notamment, dans les quartiers le plus pauvres. Il y a un manque de culture ahurissant en tout ce qui concerne la sexualité. »
Tabou
L’avocate de profession critique sévèrement les cours qui sont dispensés dans les écoles publiques: « On enseigne aux élèves ce que c’est l’appareil reproducteur mais on ne leur dit pas comment le protéger, encore moins que ce n’est pas sale de s’y intéresser. » Du côté des parents, ce n’est pas mieux selon elle : « C’est tabou de dire à ses enfants "ceci est un préservatif, ceci est une pilule". Nous avons beaucoup de progrès à faire malgré la quantité de campagnes informatives pour promouvoir la contraception.»
Effectivement les pouvoirs publics, également conscients de ce problème, mettent en place des campagnes d‘information qui se limitent à des affiches placardées dans les écoles et dans les rues fréquentées. Mais force est de constater que ces affiches n’ont qu’un maigre impact. D’après l’Institut national des femmes 15,5% des adolescentes âgées de 15 à 19 ans ont un enfant. Et 61,8% des adolescentes du même âge, n’ont pas eu recours à aucune méthode contraceptive lors de leur premier rapport.
Consciente qu’elle ne pouvait pas, à elle seule, faire évoluer les mentalités, l’ex-candidate a changé de stratégie. Il y a quatre ans, elle a mis en place une association pour venir en aide aux femmes les plus démunies de Puebla. « Au départ on collectait des denrées alimentaires, des vêtements et des chaussures pour les femmes seules et leurs enfants. Peu à peu on s’est rendu compte que ce qui leur manquait vraiment c’était tout simplement un travail. » L’association « Madres solteras » (mères célibataires) est devenue une sorte d’agence d’intérim à travers laquelle les femmes les plus pauvres peuvent trouver un emploi en tant que nourrices ou femmes de ménage.
Aujourd’hui, ce sont des femmes formées comme des secrétaires et des réceptionnistes qui s’insèrent dans le monde du travail grâce à cette structure. Elles peuvent également y trouver une garde pour leurs petits, de l’aide juridique, du soutien psychologique et les soins de médecins gynécologues bénévoles. A ce jour, 890 femmes ont trouvé et gardé un emploi par ce biais. Comme « madres solteras », qui compte 3720 membres et les pères célibataires ont aussi leur place, de nombreuses associations aident ces mères à joindre les deux bouts. Les bénévoles savent pourtant que sans le soutien de l’Etat, leur aide reste déficiente face à l’ampleur de la tâche.