Michèle Léridon, première patronne de l'AFP : le journalisme au coeur

A 62 ans, Michèle Léridon est partie. Première femme journaliste à prendre la tête d'une des plus grandes agences de presse internationale, elle devint ensuite membre du CSA. Rigueur et humanité, ainsi pourrait-on définir sa vision du journalisme et toujours du côté des femmes. Le Grand Prix décerné chaque année par les Assises du journalisme a été rebaptisé "Grand Prix du journalisme Michèle Léridon", en sa mémoire. Terriennes l'avait rencontrée au moment où une nouvelle charte pour lutter contre les inégalités était lancée au sein de l'AFP.
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Michèle Léridon avait percé le plafond de verre en devenant la première patronne de l'AFP, elle disparait à l'âge de 62 ans. Figure de proue de changements profonds au sein de l'Agence notamment sur le traitement des femmes et leur visibilisation, elle laisse un héritage à suivre.  
©CSA
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Voilà une bien triste coïncidence de calendrier : c'est le 3 mai, Journée internationale de la liberté de la presse que Michèle Léridon nous a quitté. Grande figure du journalisme, elle fut de ce combat durant toute sa carrière. 

Et c'est l'AFP, la maison qu'elle avait été la première femme à diriger pendant 5 ans, qui a annoncé sa disparition, dans un sobre communiqué. Nous l'avions rencontrée à ce moment là. Elle avait lancé avec deux journalistes de l'agence un audit qui avait abouti à une charte interne destinée à défendre les droits des femmes au sein de l'agence, et à lutter en particulier contre le sexisme mais aussi à envisager une autre manière de pratiquer le journalisme, par le prisme des femmes, pour ne pas dire féministe. Interroger plus de femmes expertes, ne plus dire "crime passionnel mais féminicide", ou encore "victime présumée mais plutôt accusatrice"... Michèle Léridon était une précurseure et avait très vite ingéré l'effet MeToo sur le journalisme et la manière d'appréhender et traiter l'information à l'aune de ce mouvement planétaire, inédit dans l'histoire du féminisme et de la défense de la parole des femmes victimes de violences. 

Le 16 septembre 2021, les Assises du journalisme a décidé de rebaptiser le Grand Prix qu'elles décernent chaque année "Grand Prix du journalisme Michèle Léridon". La direction des Assises du journalisme a estimé que "pendant ses 37 ans de carrière à l'Agence France-Presse, comme au CSA", Michèle Léridon "a mené avec exigence et bienveillance tous les combats qui sont chers aux Assises: qualité et indépendance de l'information, la diversité et la parité dans les rédactions et le traitement de l’information, l’éducation aux médias et à l’information"

"Une femme de convictions" 

"Femme de convictions, Michèle Léridon était une grande journaliste unanimement reconnue", notamment pour "sa riche expérience et sa grande rigueur intellectuelle", a souligné le CSA dans un communiqué, rappelant "son engagement en faveur de la liberté d'expression et de la liberté de l'information" qui aura guidé son parcours.
 

"Michèle m’a énormément appris à mon arrivée à l'AFP, alors qu'elle y était directrice de l’information. Elle incarnait pour moi les valeurs humaines que j'aime à l'Agence : empathie, curiosité pour tout, rectitude, pondération de jugement et sens de l'humour", a réagi le PDG de l'agence de presse, Fabrice Fries, saluant "une personne formidable, amoureuse de la vie".

"Nous sommes tous choqués et anéantis par la disparition soudaine de Michèle", a témoigné Phil Chetwynd, qui lui avait succédé à la direction de l'information, évoquant "non seulement une journaliste remarquable, mais aussi une cheffe courageuse de la rédaction de l’AFP, très admirée pour son honnêteté et son intégrité".

A l'annonce de sa disparition, sur les réseaux sociaux et dans les médias, la profession témoigne de sa grande émotion et tient à rendre hommage à sa déontologie, et son indéfectible combat contre la désinformation mais aussi pour l'égalité des chances. "Michèle Léridon, une femme d’engagement, de droiture et de bienveillance. - dit d'elle Sonia de Villers sur les ondes de la matinale de France Inter, Elle s’activait depuis longtemps, avec des bourses notamment, pour plus de diversité sociale chez les journalistes, convaincue qu’il fallait agir très en amont pour encourager des jeunes de milieux défavorisés à oser opter pour cette voie."

Du "desk" parisien à l'Afrique

Diplômée du Centre de Formation des Journalistes(CFJ) et en sciences économiques de l'université Lumières Lyon II, la jeune journaliste en devenir débute sa carrière à La Voix de l'Ain et successivement à La nouvelle République du Centre Ouest et à l'Usine Nouvelle (1977-1981).

Elle rejoint l'AFP en 1981, où elle travaille à la rubrique médias, puis effectue des missions en Afrique de l’ouest. Elle fonde ensuite la rubrique Villes-Banlieues, avant d'être nommée directrice adjointe du bureau d'Abidjan. A ce titre, elle assure la couverture des conflits au Liberia et en Sierra Léone (1996-1999). Elle devient successivement adjointe du rédacteur en chef Europe Afrique, cheffe du service des informations sociales, puis directrice de la rédaction, et directrice du bureau de Rome.

A l'été 2014, elle est nommée directrice de l'information, plus haut poste rédactionnel de l'agence. Première femme occupant ces fonctions, Michèle Léridon a notamment contribué à développer les activités de l'agence dans la vidéo et la lutte contre la désinformation. 

Début 2019, elle rejoint le CSA. Chargée notamment "de la déontologie des programmes et du pluralisme politique, elle assure le suivi de plusieurs scrutins", mais aussi joue "un rôle majeur dans l'élargissement des missions du Conseil à l'égard des plateformes" et des réseaux sociaux, "contribuant ainsi à la transformation d'une institution qu'elle aura marquée de son empreinte", a résumé le CSA.

Michèle Léridon a également été administratrice de Reporters sans Frontières entre 2015 et 2019.

Défendre la place des femmes

"Michèle Léridon n’a jamais rien lâché sur la place des femmes. Dans toutes les instances de l’agence, mais pas seulement, dans ses contenus aussi ! Dans les textes, les images et même les infographies signées de l’AFP", conclut la journaliste de France Inter dans son hommage intervenant quelques minutes après l'annonce sur la même antenne du décès de Michèle Léridon.   

Ce chantier, Michèle Léridon avait été l'une des premières à l'engager dans un média français :"Concernant les femmes, on s’est rendu compte que nous avions parfois des expressions maladroites, des manquements. Leur constat, c’est que malgré tout l’AFP n’a pas à rougir de sa production, en revanche, on peut toujours mieux faire. Des questions à se poser, des termes qui interrogent, et puis il y a la féminisation des titres. Il y avait certaines réticences, cette fois, on saura quelle est la doctrine de l’Agence. On a donc décidé d’appliquer les recommandations du guide qui existe", nous confie-t-elle lors de notre rencontre en 2018.
 
Il y a plusieurs guides qui recensent les femmes expertes, il faut sans cesse en trouver de nouvelles, souvent quand on leur demande de s’exprimer, je pense aux universitaires, ou aux chercheures, jusqu’à présent certaines ne s’estiment pas suffisamment spécialistes pour parler du sujet traité.
Michèle Léridon, à Terriennes en 2018
"Si à un sommet mondial, il n’y a que quelques femmes, on ne peut pas en montrer plus, mais il y a un effort à faire surtout sur les experts qu’on sollicite. Il y a plusieurs guides qui recensent les femmes expertes, il faut sans cesse en trouver de nouvelles, souvent quand on leur demande de s’exprimer, je pense aux universitaires, ou aux chercheures, jusqu’à présent certaines ne s’estiment pas suffisamment spécialistes pour parler du sujet traité, c’est à nous journalistes de le mettre en confiance aussi.", ajoute-elle alors.

Aujourd'hui encore, ces conseils et recommandations nous tiennent à coeur, car comme dirait Terriennes #yaduboulot.... Les dernières enquêtes montrent toujours une sous-représentation féminine dans les médias. Par sa volonté, ses actes et son engagement, Michèle Léridon avait brisé le plafond de verre et ouvert une faille. Et pour cela nous lui disons tout simplement ... merci. ​