Le 15 janvier 2006, Michelle Bachelet est élue la première femme présidente du Chili avec 53,3% des voix. Quatre ans après, elle quitte son poste avec un bilan louable : 80% des Chiliens sont satisfaits avec sa gestion sociale du pays. La Constitution ne lui permettant pas de se représenter tout de suite après, elle trouve une place à New York à la tête d’Onu-Femmes. Deux ans et demi après, elle démissionne tant la pression populaire au Chili est forte. En janvier 2013 elle comptait avec 70% de l’opinion favorable. Les sondages lui donnent une bonne longueur d’avance face aux possibles candidats de gauche comme de droite. Mais elle reste silencieuse. Ce n’est que fin mars 2013, que l’ancienne présidente rend officielle sa candidature devant des partisans en liesse. « Je suis ici devant vous pour tenir ma promesse. Je suis prête à faire face à ce défi personnel et collectif », lance-t-elle.

Deux années de manifestations Les Chiliens comptent en effet sur cette promesse. Bachelet rentre au bercail dans un contexte plus que tendu qui ne peut que lui être favorable. Les manifestations étudiantes qui agitent le Chili depuis 2011 sont en train de provoquer un changement culturel. « On n’avait pas vu autant de gens dans la rue depuis la dictature (1973-1990 NDLR)», raconte Eduardo Valenzuela, sociologue chilien affilié à l’Institut français de hautes études en sciences sociales. Au départ, ces étudiants exigent une éducation gratuite et de qualité dans un pays « où l’éducation supérieure est un véritable business. C’est un héritage de l’ère Pinochet », explique Eduardo Valenzuela. Les jeunes veulent faire barrage à la volonté plus qu’affirmée du gouvernement de droite de Sebastián Piñera de libéraliser encore plus l’éducation supérieure. « Les familles s’endettent pendant des années, mais leurs enfants ne sont pas sûrs de trouver un travail », ajoute le sociologue. La gratuité de l’éducation supérieure efface le clivage gauche-droite Ces manifestations, dont la plus grande a eu lieu en janvier dernier, dépassent très vite le seul thème de l’éducation. Les débats qui agitent les jeunes se sont immiscés dans les systèmes de la santé et des retraites, tout aussi libérales. Les très nombreuses manifestations sont soutenues sans conteste par la plus grande partie de la population. « Que les gens soient de droite ou de gauche, ce sujet de l’éducation efface tous les clivages. Les Chiliens sont prêts à voter pour Bachelet car elle incarne ce rempart contre la libéralisation du pays. Si on demande une éducation gratuite, pourquoi pas un système de retraite et de santé solidaires ? Tout le système social est aujourd’hui privatisé. Les électeurs demandent que cela change », analyse le sociologue.

Les inégalités, sujet clé des élections Forte de son expérience chez Onu-Femmes où elle luttait contre les inégalités hommes-femmes, Michelle Bachelet propose de s’attaquer à celles de son pays. Malgré une croissance enviable depuis une vingtaine d’années, à peine 10% de la population détient les richesses. Sur ce sujet capital, la femme politique remporte toutes les faveurs. Mais pour combattre efficacement ce problème, il faudrait réformer tout le système politique du pays bloqué jusqu’à la moelle. Et ce, depuis la fin de la dictature. Pour faire court, dans ce système binominal, il ne suffit pas d’avoir la majorité au Parlement car chaque circonscription a deux élus. Pour pouvoir gouverner, il faut avoir recours à des coalitions. Et même ainsi, la coalition de droite et celle de gauche se retrouvent souvent à égalité faisant de la gouvernance un véritable casse-tête. La victoire de la socialiste, ne suffirait donc pas pour diriger le pays. C’est pourquoi Bachelet a dû se présenter à l'élection primaire de la coalition de gauche (les socialistes, les communistes, les démocrates chrétiens et l’Union démocrate indépendante) et l'a remporté haut la main avec 74,92% des voix. C’est là où l’acte d’équilibriste commence. Michelle Bachelet a besoin de marquer son programme à gauche pour répondre aux attentes de changement de la population. Pour l’instant, le pari est réussi. L’ex-présidente compte sur le soutien des communistes monnayé contre quelques sièges à l’Assemblée nationale, racontent les mauvaises langues. C’est ainsi que Camila Vallejo, la passionaria des manifestations qui s’est toujours revendiquée du PC, pourrait faire son entrée officielle au Parlement en 2014.
Tout à gauche En mettant le curseur bien à gauche, Michelle Bachelet s’assure un large soutien politique et électoral. Mais elle fait attention à ne pas trop déborder. L’opposition n’hésite pas à agiter le chiffon rouge du chavisme (les communistes chiliens ont soutenu la politique du président Chavez). C’est d’ailleurs l’attaque préférée de ses concurrents qui la taxent de populiste. La candidate doit avant tout bichonner son centre. Car si les démocrates chrétiens sont à bord du wagon des réformes sociales, ils s’opposent aux réformes sociétales que Bachelet a évoquées : des droits pour les homosexuels et la légalisation de l’avortement interdit dans le pays. Ajoutons à cette équation la méfiance des patrons. « La gauche en toute sa diversité ne peut pas se payer le luxe d’arriver divisée au Parlement, sinon nous allons assister à une nouvelle victoire de la droite », explique Eduardo Valenzuela. Et même en arrivant au pouvoir en ayant trouvé le parfait équilibre, un défi majeur se présenterait à la coalition : une réforme constitutionnelle qui mettrait fin à ce système bouché. Car comment instaurer une université gratuite sans les leviers parlementaires nécessaires ? Et cette réforme n’est pas près d’aboutir sans un âpre débat au sein de la classe politique, qui s’est accommodée de ce fonctionnement. Certains éléphants de droite comme de gauche ne voudraient pas voir les choses changer. A cela s’ajoute une procédure très complexe pour procéder à un changement dans la Constitution. Le défi pour Michelle Bachelet n’est pas de gagner les élections mais de rester au pouvoir une fois en poste. « La société chilienne est en train de changer, analyse le sociologue. Récemment l’opposition parlementaire s’est mise d’accord pour destituer le ministre de l’Education qui n’a pas répondu aux demandes de la rue. C’est du jamais vu. La population a pris conscience du pouvoir qu’elle détient. » Si une fois au pouvoir, Bachelet n’est pas capable de répondre aux exigences du peuple, son gouvernement pourrait subir le même sort que ce ministre destitué. « Le prochain gouvernement devra suivre à la lettre un programme révolutionnaire. Il devra céder à la culture de la rue qui s’est instaurée ces deux dernières années », constate Eduardo Valenzuela.