Agressées, battues, violées ... Après avoir parcouru des milliers de kilomètres, des migrantes arrivent en Tunisie dans l'espoir de rejoindre l'Europe. Un périple qui s'achève parfois dans la violence lorsqu'elles tombent entre les mains des forces de l'ordre tunisiennes, comme le révèlent des médias. L'Europe réclame une enquête.
Une femme migrante africaine manifeste à la frontière libyenne avec la Tunisie, le jeudi 4 août 2023. Les forces de sécurité tunisiennes auraient expulsé des centaines de migrants de la frontière libyenne, où ils sont bloqués depuis des semaines par des températures estivales caniculaires, sans eau ni nourriture.
Le quotidien britannique The Guardian a récemment publié des témoignages de migrants accusant des membres de la garde nationale tunisienne de violences sexuelles et faisant état de viols sur des migrantes, ce que Tunis conteste.
La Commission européenne a demandé à la Tunisie d'ouvrir une enquête sur des témoignages mettant en cause des forces de l'ordre accusées de violences sexuelles sur des migrants, alors que la Tunisie reçoit des fonds européens pour gérer l'immigration. "Lorsqu'il y a des allégations d'actes répréhensibles concernant ses forces de sécurité (...) nous attendons qu'elle enquête dûment sur ces cas", a enjoint lors d'un point presse une porte-parole de la Commission.
La Tunisie, point de passage d'embarquement clandestin de nombreux migrants qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie pour gagner l'Europe, est liée à l'Union européenne par des accords lui accordant des fonds pour l'aider dans la gestion de ces flux de migrants.
Des migrants assis lors d'un rassemblement à Sfax, sur la côte est de la Tunisie, le vendredi 7 juillet 2023. La tension est montée d'un cran cette semaine dans une ville portuaire de Tunisie après l'arrestation de trois migrants à la suite du décès d'un habitant de la ville. Des informations ont fait état de représailles contre les étrangers noirs, d'expulsions massives et d'agressions présumées de la part des forces de sécurité.
Le quotidien britannique rapporte le témoignage de "Marie", arrivée en Tunisie après un long périple de 3000 km depuis la Côte d'Ivoire : "Un officier armé s'est élancé vers elle. Un autre l'a saisie par derrière et l'a hissée dans les airs. Au bord de la route, à la périphérie de la ville tunisienne de Sfax, la jeune femme de 22 ans a été agressée sexuellement en plein jour". "Il était clair qu'ils allaient me violer", raconte la jeune femme.
Il y avait une femme enceinte et ils l'ont battue jusqu'à ce que du sang coule entre ses jambes. Elle s'est évanouie. Moussa, dans The Guardian
S'ajoute aussi le témoignage de Moussa : "Il y avait une femme enceinte et ils l'ont battue jusqu'à ce que du sang coule entre ses jambes. Elle s'est évanouie."
"Les experts en migration affirment que des dizaines de milliers de réfugiés et de migrants subsahariens, encerclés par la police, vivent aujourd'hui dans ce pays. Les conditions sont décrites comme horribles", précise encore le quotidien.
Une mère et son enfant à bord d'un bateau après avoir été arrêtés par la Garde nationale maritime tunisienne en mer alors qu'ils tentaient de se rendre en Italie, près de la côte de Sfax, en Tunisie, le mardi 18 avril 2023.
L'Union européenne insiste sur le fait que son financement pour les programmes de migration en Tunisie est acheminé "via des organisations internationales, des États membres de l'UE et des ONG présentes sur le terrain". Elle a souligné ses efforts pour un "dialogue plus structuré" avec ses partenaires, et une gestion de l'immigration fondée sur les droits humains.
En juillet 2023, l'accord financier scellé avec la Tunisie a prévu notamment une aide de 105 millions d'euros portant sur la lutte contre l'immigration irrégulière. Mais la relation s'est depuis tendue avec Tunis.
Nous avons eu de nombreux cas de femmes violées dans le désert. Ils les emmènent d'ici et les attaquent. Yasmine, dans The Guardian
En mai, la Commission européenne a déjà reconnu une "situation difficile", après une enquête journalistique documentant la manière dont des dizaines de milliers de migrants ont été arrêtés et abandonnés en plein désert au Maroc, en Tunisie et en Mauritanie.
Des migrants sont logés dans un camp de fortune devant le bureau de l'Organisation internationale pour les migrations, le 31 mars 2023 à Tunis. Des dizaines de milliers de migrants sont pris au piège dans des camps de plus en plus violents en Tunisie, empêchés d'atteindre l'Europe mais trop pauvres pour rentrer chez eux, et confrontés à l'hostilité des résidents locaux.
Selon The Guardian, l'accord entre la Tunisie et l'UE stipule que le pays "s'engage également à respecter les droits de l'homme. Pourtant, les passeurs et les migrants révèlent que la garde nationale vole, bat et abandonne régulièrement les femmes et les enfants dans le désert, sans eau ni nourriture." Le journal cite les propos de Yasmine, membre d'un groupe qui vient en aide aux migrants en Tunisie : "Nous avons eu de nombreux cas de femmes violées dans le désert. Ils les emmènent d'ici et les attaquent".
A lire le rapport d'Amnesty international ‘Rentrez chez vous, ça va passer...’ Porter plainte pour violences sexuelles : l'épreuve des femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe en France” démontre que ces femmes sont victimes de nombreuses violations de leurs droits lors de leur dépôt de plainte.
Lire aussi dans Terriennes :
Élections européennes : qui pour défendre les femmes migrantes ?
Femmes migrantes, femmes en errance
Libye : un "enfer" absolu pour les femmes migrantes
De Libye en Italie, le rêve des migrantes, devenu cauchemar, de part et d'autre de la Méditerranée
Dans les jungles de Calais, le voyage sans fin des migrantes