Migrantes en France, jusqu'à quand ?

Après leur expulsion mouvementée début juin 2015 d'un camp de fortune parisien, les migrants ont été dispersés. Les femmes, quant à elles, étaient envoyées vers des hôtels, aux quatre coins de l’Ile-de-France. Rencontre avec trois de ces naufragées du 21ème siècle, échappées d’Erythrée, du Darfour et d’Ethiopie.
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Migrantes en France 2
Sofia a échappé à la guerre sans fin qui mine le Darfour. Aujourd'hui elle veut apprendre le français avec une ténacité sans faille.
© Khadija Mahrouk
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Le 2 juin 2015, la préfecture de Paris prenait la décision d’évacuer le camp de migrants situé sous la station du métro aérien La Chapelle. Près de soixante-dix d’entre eux étaient alors logés brièvement dans des hôtels "Formule 1" de la grande banlieue de la capitale, avant d’être dirigés vers des foyers. Aujourd’hui, seules les femmes célibataires sans enfants sont encore logées dans un Formule 1. Où elles attendent que les dirigeants européens veuillent bien se mettre d'accord sur une politique d'accueil...

Dernière semaine de juillet. Pendant que d’autres femmes profitent d’une journée dans un parc d’attraction organisée par le Secours populaire, Louam* décide de rester à l’hôtel.

Louam est enceinte de trois mois. Comme lors de chacune de nos rencontres, la discussion débute de manière assez banale, mais cette fois-ci, un détail retient l’attention. Des formes circulaires, ornent chaque doigt de sa main droite.

Elle hésite, puis sort un petit objet métallique de sous son oreiller, une tige qui se termine en spirale, « je m’en sers pour effacer mes empreintes, on a toutes rendez-vous dans quelques jours pour les donner et je ne veux pas être renvoyée en Italie… ». En effet, la législation européenne impose que la demande d’asile soit faite dans le premier pays européen où l’on peut retrouver des traces du passage des migrants et Louam a donné ses empreintes en Italie.
 
L’effacement des empreintes est une opération douloureuse, « on se brûle le bout des doigts en plusieurs fois, je mets le métal à chauffer sur la bougie jusqu’à ce qu’il soit brûlant puis je le pose sur mon doigt. Enfin je mets chaque doigt sur la plaque électrique. Je fais ça jusqu'à ce que mon empreinte ne soit plus visible. » L’unique fenêtre de la chambre est grande ouverte afin d’éviter que l’alarme incendie ne se déclenche.                   


Louam a 27 ans, elle est d’origine érythréenne, unique fille d’une fratrie comptant sept garçons. En 2009, elle quitte le foyer familial en quête d’une nouvelle vie. La route fut longue. Près de vingt-deux nuits de marche avant d’arriver au Soudan, « tous les deux jours, on avait le droit à quelques dattes et une gorgée d’eau. »
 

Le visage de l'immigration en France, et au delà, est d'abord féminin

Depuis le tournant des années 2000, les femmes arrivées en France sont plus nombreuses que les hommes. Elles représentent 51% des migrants. Un phénomène récent mais pas radicalement nouveau. Elles étaient déjà 47% en 1911, 40% en 1930, 44% en 1954 et 48% en 1998. Au cours du XXe siècle, la féminisation des flux migratoires a fluctué selon les dynamiques économiques mais n’a cessé de se renforcer depuis les années 70. Aujourd’hui, les femmes représentent plus de la moitié (51%) des flux migratoires de la planète. Et beaucoup partent avec leurs enfants sous le bras.

L'enfer du désert libyen

La jeune femme vit trois ans à Khartoum, puis elle part pour la Libye post Kadhafi. La traversée du désert qui la sépare de la Libye l’a marquée au fer rouge. « Des gens sont morts, déshydratés. Je me souviens que le passeur mettait de l’essence dans notre eau afin de s’assurer que nous n’allions boire que très peu. »

Puis le bateau, enceinte, et enfin, l’Europe cet eldorado tant fantasmé, « j’avais tellement de rêves, tous se sont plus au moins brisés à part celui là (elle caresse son ventre ndlr), j’ai toujours voulu fonder une famille. »

À son arrivée en France, elle raconte qu’un médecin lui conseille d’avorter, « après tout ce que j’avais vécu, j’ai trouvé insensé qu’il me propose de me retirer l’unique famille encore à mes côtés. »

Lors de nos premiers entretiens, les femmes ont longuement débattu de l’intérêt d’être interviewées. La méfiance était telle que le simple fait de sortir un appareil photo suscitait de fortes réactions, « à La Chapelle, on nous prenait en photo comme au zoo, sans nous demander notre autorisation », expliqueront les femmes.

La vie est parfois ironique. Aujourd’hui c’est à moi que l’on donne de la nourriture.

La première à avoir accepté un entretien après quelques semaines d’échanges est Sofia*. Originaire du Darfour, la jeune femme de 26 ans quitte cette région soudanaise, en guerre quasi permanente, le 10 mars 2015. Employée dans une organisation humanitaire, elle explique qu’elle distribuait de la nourriture dans les camps de réfugiés. « La vie est parfois ironique. Aujourd’hui c’est à moi que l’on donne de la nourriture. Au Darfour, j’étais heureuse, mais la police me surveillait car je travaillais pour une organisation américaine. Ils pensaient que j’étais une espionne ».

La jeune femme raconte avec force détails les quatre premiers interrogatoires subis. Ses propos sont mesurés même si le flot de paroles jaillit comme si c’était la première fois qu’elle en parlait à quelqu’un.

Le cinquième interrogatoire marquera son départ, « ils m’ont violée… ». Elle retient difficilement ses larmes avant de conclure « dès lors je n’avais qu’un seul objectif, partir, quitte à mourir sur le chemin ».

De son passage en Libye, Sofia garde le souvenir de longues heures de travail afin de payer son voyage vers la France, le pays des « droits de l’Homme ». « J’ai vite déchanté ».

Le profil de ces femmes diffère, un point les unit, leur volonté tenace de trouver un semblant de stabilité.

Je suis là, dans un hôtel à attendre, encore et encore que ma vie débute

Soheyla* a vingt-cinq ans. Elle raconte qu’elle a fui son Ethiopie natale après l’emprisonnement de son père, « il critiquait le gouvernement et ça ne plaisait pas aux policiers locaux, ils l’ont emprisonné, la seule fois où j’ai pu lui rendre visite avec ma mère nous avons été violemment frappées par la police », explique-t-elle en montrant une cicatrice le long de son omoplate gauche.

Peu après, sa mère la force à quitter le pays, « elle s’est endettée auprès d’amis de la famille pour moi… ». La jeune femme ne peut contenir son émotion chaque fois qu’elle évoque ses parents, « ils se sont sacrifiés pour me donner un futur, je ne sais pas combien d’années il leur faudra pour rembourser cette dette et si un jour je les reverrai et moi, je suis là, dans un hôtel à attendre, encore et encore que ma vie débute… »  

En septembre prochain, le séjour de ces femmes, dans ce lieu là, au Nord Ouest de Paris, prendra fin. Tandis que les pays membres de l’Union européenne se disputent sans fin sur la façon d’accueillir ou pas ces migrants qui bravent tous les dangers, Louam,  Sofia et Soheyla ignorent tout de leur prochaine destination et vivent exclusivement grâce aux dons de deux associations, United et le Secours Populaire.

*Les prénoms ont été modifiés

Khadija Mahrouk est journaliste indépendante arabophone, basée en région parisienne.Travaille actuellement sur le sujet des migrants après un long séjour en Jordanie. Elle enquête également sur les problématiques des quartiers populaires (Trappes). Voir son site.