Intrépide, courageuse et humaniste, Nima Elbagir, journaliste soudanaise de 38 ans, a provoqué un électrochoc le 14 novembre 2017. Correspondante de la chaîne américaine CNN, connue pour ses reportages à haut risque, elle est à l’origine de l’enquête filmée sur la vente aux enchères de migrants africains sur un marché clandestin en Libye. Portrait.
La vente de migrants africains en Libye, tout le monde savait. Plusieurs ONG n’ont eu de cesse de le dénoncer et pourtant… Il aura fallu attendre les images filmées en caméra cachée de Nima Elbagir pour qu’enfin, la communauté internationale réagisse et témoigne son « indignation » face à ces pratiques inhumaines.
Cette journaliste soudanaise et correspondante internationale basée à Londres (Royaume Uni) est en effet à l’origine du reportage, publié sur son site et diffusé le 14 novembre 2017 sur ses antennes, par la chaîne américaine CNN. Des images intolérables montrant des Noirs vendus aux enchères comme esclaves près de Tripoli pour 700 euros.
Des reportages à haut risque
Approcher ce marché nocturne clandestin de traite d’humains, une entreprise périlleuse. Mais Nima Elbagir, peu connue du grand public, a montré à plusieurs reprises son opiniâtreté à travers ses reportages en Afrique et au Moyen-Orient, notamment dans les endroits où il est le plus difficile pour les grands reporters de mener des enquêtes.
Née au Soudan en 1978, d’un père journaliste, fondateur du journal El Karthoum, plusieurs fois censuré, et d’une mère qui fut la première éditrice du pays, elle est issue d’une famille privilégiée. Après une enfance marquée par des allers-retours entre le Soudan et le Royaume-Uni, elle suit une partie de ses études supérieures à la prestigieuse London School of Economics. Elle en sortira avec un diplôme de philosophie avant d’embrasser une brillante carrière dans le journalisme.
Elle rejoint rapidement cette catégorie de femmes journalistes, qui aux quatre coins du globe, enquêtent avec intrépédité sur des sujets essentiels mais aussi dangereux, parfois au risque de leur vie.
J'ai senti que si les gens le savaient, ils feraient quelque chose.Nima Elbagir
Elle démarre fort en 2002 aux côtés de l’agence britannique Reuters en assurant la couverture du conflit du Darfour. Dans un portrait élogieux que lui consacrait
The Guardian en 2016, voici ce que l’intéressée déclarait à propos de cette mission: « j
'ai senti que si les gens le savaient, ils feraient quelque chose. » Quelques mots seulement, résumant avec justesse l’esprit de ses futurs reportages, dont le plus difficile, raconte-t-elle, fut «
celui sur les enfants soldats d’Isis (acronyme en anglais du groupe terroriste État islamique : NDLR).
J'avais confiance, c'est mon travail de raconter une histoire, de l'exprimer de toutes les manières possibles. »
Ce qu'elle fera, même quand il faudra prendre de très gros risques. Comme en 2014, trois ans après avoir rejoint la chaîne CNN, elle se rendra au Liberia alors que l’épidémie d’Ebola sévit dans le pays. Elle est parmi les premières à mener une enquête de terrain, se rendant à plusieurs reprises dans des zones placées en quarantaine.
La même année, cette femme à la fois arabophone et anglophone qu’on surnomme désormais dans la presse « l’intrépide » atterrit au Nigéria pour couvrir
le rapt de plus de 270 écolières par le groupe terroriste Boko Haram au printemps 2014. Elle se rend alors à Chibok (video ci-dessous), en empruntant les routes les plus dangereuses. «
Dans ces situations, j'appelle ma mère, elle est imperturbable », confie-t-elle au Guardian.
La langue arabe, un pouvoir sur le terrain
Un travail reconnu par ses pairs. La journaliste a été nommée
Journaliste spécialisée de l’année 2016 par
la Royal Television Society pour avoir «
travaillé dans les endroits les plus sombres et les plus difficiles au cours des douze derniers mois ». Les juges ont estimé que «
la gagnante a fait preuve d'une grande détermination et d'un grand courage, ainsi que d'une profonde humanité. Elle a mis en évidence le sort des jeunes qui se déplacent entre les continents et a eu les compétences linguistiques pour suivre leur voyage d'une manière que nul autre n’aurait pu le faire. »
Elle est la gagnante qui m’a conduit le plus à m’interroger et réfléchir.
Stewart Purvis, président du jury de la Royal Television Society
Et le président du jury Stewart Purvis d’ajouter : «
Elle est la gagnante qui m’a conduit le plus à m’interroger et réfléchir. » De quoi s’étonner comme Simon Albury, président de la campagne pour l’égalité des publications, que ce soit CNN qui l’ait engagée et non un média anglais. «
J'ai vraiment de la chance, je me sens chez moi presque partout », a-t-elle déclaré à The Observer. «
La couleur de peau ne m'a jamais posé de difficulté, a-t-elle poursuivi.
J'ai la capacité de me fondre dans tant de communautés. Je ne ressemble pas à l’image attendue d’une correspondante de CNN. Je ne ressemble pas non plus à une femme soudanaise. »
Cette musulmane sunnite cite également sa maîtrise parfaite de l’arabe comme atout majeur, qui lui a permis notamment de convaincre des Marocains et des Arabes qui vivent en Belgique de se livrer à elle après les attentats de Paris. Nima Elbagir en est convaincue, «
ils auraient dit non à des 'Occidentaux' ».
Comparée à Christiane Amanpour
Son parcours exceptionnel lui vaut aujourd'hui d’être comparée à
Christiane Amanpour, journaliste star britannico-iranienne, ex correspondante internationale en chef de CNN, célèbre pour avoir couvert les grands conflits dans les Balkans au cours des années 1980.
Et ce n'est pas fini pour Nima Elbagir, âgée de 38 ans. Son oeil témoin sur la traite de Noirs en Libye a permis de susciter des réactions au plan international. Et de révéler d'autres faits d’esclavage comme ceux dévoilés dans le quotidien français
Le Monde et qui concernent cette fois des femmes originaires de Dakar au Sénégal,
vendues en Arabie Saoudite, au Maroc, ou au Liban.
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