Miss France : un nouveau statut pour les candidates ?

Sexisme, règles dépassées, conditions de travail contestables... Les prud'hommes étudient une plainte déposée par "Osez le féminisme" contre le concours Miss France. L'association réclame de nouveaux contrats de travail pour les candidates et demande l'annulation de critères qu'elle juge discriminatoires. Face aux critiques, le concours de beauté centenaire a déjà dû revoir sa copie, en modifiant son règlement, entre les lignes.

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Les paillettes du concours de beauté de Miss France, centenaire, se ternissent au fil des ans et à l'aune des mobilisations des mouvements féministes qui l'accusent de sexisme et de prôner l'image de la femme-objet. 
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Miss France 2021
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Le concours Miss France 2020 célébrait son 100ème anniversaire sur la chaine TF1, suivi par plus de 7 millions de télespectateurs-trices, un programme accusé depuis longtemps de véhiculer des stéréotypes sexistes, selon les militantes féministes. 
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1,70 m minimum, "représentative de la beauté", célibataire... C'est justement parce qu'elles ne correspondaient pas à ces critères alors imposés par l'organisation que trois femmes affirment avoir dû renoncer à se présenter au concours Miss France en 2021. Avec l'association "Osez le féminisme", elles ont décidé, en juin 2022, d'attaquer en justice la célèbre cérémonie télévisée qui rassemble chaque année des millions de télespectateurs et de téléspectatrices devant leur écran de télévision. 

La production du concours "utilise des femmes pour fabriquer un programme audiovisuel extrêmement lucratif tout en bafouant le droit du travail", estiment les requérantes. La procédure a été intentée devant le conseil des prud'hommes de Bobigny, près de Paris, et vise les sociétés Miss France et Endemol Production. L'association souhaitait obtenir de nouveaux contrats de travail pour les candidates et mettre fin à des critères qu'elle juge "discriminatoires". Les trois femmes engagées dans cette action demandaient 1€ symbolique de dommages et intérêts ainsi que la suppression de toutes les clauses jugées discriminatoires.

Si Violaine De Filippis-Abate, avocate du collectif, saluait les progrès entamés par la direction du concours, qui a fait signer un contrat de trois jours aux candidates en décembre dernier, cela reste néammoins insuffisant. L'association réclamait des contrats "depuis l'échelon local, pour toute la préparation des spectacles en région, jusqu'à l'élection de Miss France".

Devant les prud'hommes

"Osez le féminisme" s'appuyait sur une jurisprudence de 2013, concernant le concours "Mister France". Celle-ci "a reconnu le lien de travail entre le candidat et TF1 Production à la lumière des éléments suivants : la répétition de chorégraphies, le port de costumes imposés, le fait que l’emploi du temps soit défini par la production. En réalité, c’était un spectacle, un show", tenait à préciser Violaine De Filippis-Abate, l'avocate d'"Osez le féminisme". L'association réclame que les candidates soient considérées comme des salariées et donc rémunérées.

La production de l'émission utilise des femmes pour fabriquer un programme audiovisuel extrêmement lucratif tout en bafouant le droit du travail.
Osez le Féminisme

Selon l'association, si les candidates à la couronne de beauté ne signaient aucun contrat de travail avec les organisateurs du concours, leur relation avec Endemol devait bien s'analyser comme liant un salarié à son employeur. 

Or le Code du travail interdit, dans un recrutement, tout critère lié "aux mœurs, à l'âge, à la situation de famille ou à l'apparence physique", précise Me Violaine De Filippis-Abate. Dans une interview accordée au Parisien, Alexia Laroche-Joubert, la nouvelle présidente de Miss France, "avait enfoncé le clou. Preuve qu'il y a prestation de travail" en évoquant ces "femmes qui ont le courage de mettre entre parenthèses un mois et demi de leurs vies"

A travers ce recours juridique, nous souhaitons appeler les sociétés productrices de Miss France à faire face à leurs responsabilités en corrigeant leur règlement sexiste et discriminant, mais aussi en respectant le droit du travail.
Alyssa Ahrabare, porte-parole d'"Osez le féminisme"

"A travers ce recours juridique, nous souhaitons appeler les sociétés productrices de Miss France à faire face à leurs responsabilités en corrigeant leur règlement sexiste et discriminant, mais aussi en respectant le droit du travail", expliquait dans les médias la porte-parole de l’association féministe, Alyssa Ahrabare. Les requérantes demandaient aux prud'hommes de condamner les organisateurs du concours à supprimer de leur règlement ces clauses discriminatoires, comme celles interdisant de fumer en public, ou de porter des tatouages visibles ou des piercings.

Caroline Mecary, avocate, invitée sur le plateau de C8 pour évoquer cette désormais "affaire médiatique" a tenu elle aussi à rappeller que la Cour de cassation avait conclu que la participation au concours Mister France était une prestation liée au travail, insistant sur le fait qu'aujourd'hui "la société Endemol gagne de l'argent sans rémunérer les candidates".

Miss France, "féministe" ? 

Autre point de vue pour la direction du concours, qui qualifie au contraire son programme de "féministe"

C’est ça qui est archaïque : ne pas considérer que des femmes puissent décider de ce qu’elles vont faire de leur vie.
Alexia Laroche-Joubert, présidente de Miss France, sur franceinfo

Comme l'a déclaré sur franceinfo Alexia Laroche-Joubert : "Je n’en peux plus de cette culpabilisation de ces jeunes femmes qui, par choix, participent au programme. C’est ça qui est archaïque : ne pas considérer que des femmes puissent décider de ce qu’elles vont faire de leur vie." Pour elle, il faut regarder ce que deviennent les Miss France : "Cheffes d'entreprise, comédiennes, influenceuses, elles s'assument, c'est ça, être féministe !"

"Moi, je suis une cheffe d’entreprise, j’ai deux enfants que j’ai élevés seule et je me suis organisée. Donc oui je trouve cette règle obsolète," ajoute la productrice, connue pour avoir produit de nombreuses émissions de téléréalité, dont la première en France : Le Loft.

Un concours créé en 1920

Jeunes femmes longilignes perchées sur stilleto, tenues "hyper" sexy, défilé en maillot de bain échancré et chorégraphies suggestives au bras de danseurs, un cocktail de clichés bien rodé mais surtout gagnant pour un programme créé en 1920, diffusé à la télévision depuis 1987 et qui, chaque année, bat des records d'audience lors de sa diffusion en direct en amont de la période des fêtes.
 L’édition 2021 a rassemblé 7, 3 millions de téléspectateurs, un peu plus que l'an dernier où l'émission avait tout de même enregistré un pic à 8,3 millions au moment du sacre, selon TF1- soit l'une des meilleures audiences de l’année en prime time (7,3 millions en 2019), avec 69 % de part d’audience sur les 15-24 ans et 61 % sur les 15-34 ans.

Des règles dépassées, un peu, modifiées

"Il y a des critères à faire évoluer pour s'adapter à l'époque... Je pense que sûrement le statut de célibataire est obsolète", a aussi admis la productrice Alexia Laroche-Joubert, la présidente de la société Miss France, filiale de la société de production Endemol. 

Le concours Miss France a depuis assoupli son règlement, concernant la transidentité, l'âge et l'état civil des candidates. En Alsace, l'une des candidates au concours 2023, une assistante dentaire de 27 ans, est ainsi mariée et mère d'une petite fille. 

Dès la cérémonie de décembre 2021 visant à désigner Miss France 2022, les 29 candidates ont, pour la première fois, signé un contrat de travail de trois jours : deux jours de répétitions et un jour de cérémonie retransmise à la télévision. 

"Pour modifier ce règlement, je me suis inspirée de Miss Univers. Ce concours, qui accueille des femmes de pleins de pays différents avec chacun des règlements spécifiques, ne demande que très peu de critères", a expliqué la productrice au Figaro magazine. "Désormais, je demande seulement que les jeunes femmes soient âgées de plus de 18 ans, mesurent au moins 1,70 mètre - parce qu’elles portent des robes de créateurs et qu’il faut un minimum de taille - et qu’elles soient de sexe féminin à l’état civil, ce qui était déjà le cas auparavant", précise-t-elle. 

Une caricature archaïque, selon le HCE

Dans son "rapport annuel sur l'état des lieux du sexisme en France", en 2019, le Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), une instance consultative chargée de conseiller le gouvernement, avait lui-même consacré tout un chapitre à ce concours et qualifié le concours Miss France de "caricature archaïque". Il avait dénoncé notamment l'exigence faite aux candidates d'être célibataires et sans enfant, et même de ne jamais avoir été mariées.

Le but affiché d’élire la "plus belle femme de France" risque de ne pas participer à promouvoir les femmes mais, au contraire, à les enfermer dans des stéréotypes.
Rapport 2019 du Haut Conseil à l'égalité

Sylvie Tellier, directrice générale de l’organisation s'en expliquait ainsi : "Dans la mesure où Miss France sera extrêmement sollicitée pendant toute son année et participera à de nombreux déplacements, nous lui demandons d’être dégagée de toutes obligations familiales. De plus, notre règlement est en phase avec celui des concours internationaux sur ce point." La condition qui impose de "'Ne pas être ni avoir été mariée ou pacsée, ne pas avoir eu ni avoir d’enfant' est une mesure discriminatoire, qui serait interdite s’il s’agissait d’un recrutement, mais que l’on accepte pourtant pour un concours, estiment les autrices du rapport du HCE. Selon elles, le but affiché d’élire la "'plus belle femme de France" risque de ne pas participer à promouvoir les femmes mais, au contraire, à les enfermer dans des stéréotypes...

"Finalement, dans ce concours censé mettre en valeur les femmes, on s’aperçoit qu’elles ne sont, en fait, que femmes-objets et non sujets", ajoute le HCE. Il est néanmoins fait mention de la volonté des organisateurs du concours de faire évoluer ce programme en le modernisant et de "promouvoir un modèle de femmes non exclusivement centré sur leur physique", restée voeu pieux à cette heure.

De la différence chez les miss

Si certain-e-s internautes criaient au "féminisme à deux balles" jugeant l'action devant les prud'hommes ridicule et injustifiée, d'autres l'applaudissaient à deux mains, un mouvement suivi sur les réseaux sociaux avec le mot dièse #PasTaMiss.

Une chose est sûre, c'est que le spectacle continue. Mais déjà, un petit souffle de diversité commence à souffler derrière le rideau à paillettes... Exemple, le 19 juin 2022, Andréa Furet, première candidate trans à se présenter au concours Miss Paris, a terminé deuxième, devenant première dauphine. 

"En 2022 encore, beaucoup de jeunes sont malheureusement rejetés, incompris, parfois harcelés, simplement parce qu'ils essaient d'être eux-mêmes. Je pense que ce titre pourrait être une belle façon de leur montrer qu'on peut être qui on est vraiment et réussir dans n'importe quel domaine", commentait la dauphine chez BFMTV.
 

De part le monde, d'autres concours de "beauté" ont déjà devancé l'appel, en permettant de rendre visibles des candidates "différentes", s'opposant aux diktats hétéronormatifs et bien plus proches de la réalité et des critères de notre époque. Même si on peut regretter que les codes liés à ce style de spectacle restent néanmoins inchangés... Kataluna Enriquez, miss Nevada, est devenue la première reine de beauté transgenre à concourir au titre de Miss USA. Plus rondes, plus noires, ambassadrices de la diversité, de par leurs origines ou de leur sexualité. C'est pour ces miss-là qu'on vote.