Mobilisation en France contre les violences sexuelles : "Pour que nos vies ne soient plus classées sans suite"

Elles veulent crier leur colère face aux dysfonctionnements de la justice et aux discours politiques qui défendent les agresseurs : à l'appel du collectif #noustoutes, comme depuis plusieurs années, des milliers de manifestantes – et manifestants – participent à des rassemblements organisés un peu partout en France. En haut de leur agenda 2022 : une "loi cadre" contre les violences sexistes et sexuelles, pour mettre fin à l'impunité des agresseurs.

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manif nous toutes 1
©Terriennes
En amont de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, des rassemblements sont organisés un peu partout en France pour dénoncer l'impunité des agresseurs et appeller à ce qu'on écoute les victimes. (Ici lors du cortège parisien en novembre 2021).
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Nous Toutes appel à manifester
©NousToutes
Appel à manifester du collectif #NousToutes, le samedi 19 novembre 2022 dans beaucoup de villes de France.
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"Nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales et en colère", "meToo partout, justice nulle part", des slogans repris en choeur par plusieurs milliers de personnes qui ont défilé à Paris et dans plusieurs grandes villes de France, dans des cortèges parés de violet, la couleur emblématique du mouvement. Inscrits sur de larges banderoles, on pouvait lire aussi : "mâle dominant, pour qui tu te prends ?", "stop à la culture du viol" ou encore "croire les victimes sauve des vies".

La parole des victimes remise en cause

Dans les commissariats, les tribunaux ou au sein des partis politiques, "les derniers mois ont prouvé à quel point la parole des victimes de violences de genre était remise en cause", s'insurgent les organisatrices de la mobilisation.

On ne cesse de nous répéter que la justice doit faire son travail, mais quel travail.
Maëlle Noir, militante #NousToutes

"Ce qui nous met en colère, c'est l'impunité des agresseurs et le mauvais traitement réservé aux victimes" lorsqu'elles déposent plainte, explique à l'AFP Maëlle Noir, membre de #NousToutes qui coordonne l'organisation des défilés. "On ne cesse de nous répéter que la justice doit faire son travail, mais quel travail ? On ne peut pas reprocher à la victime de ne pas porter plainte si elle sait que ça ne mènera nulle part", s'insurge la militante.

Des politiques publiques "défaillantes"

Cinq ans après l'émergence du mouvement #MeToo, "les violences sexistes et sexuelles restent massives" et les politiques publiques "pas adaptées à l'enjeu", affirment les organisatrices dans leur appel à manifester, signé par près de 90 associations, syndicats ou partis de gauche. 

Les procédures, cependant, pourraient bientôt évoluer : en vertu de nouvelles dispositions approuvées ce 16 novembre par les députés, les femmes victimes pourront à l'avenir déposer plainte en visioconférence si elles le souhaitent, et être assistées d'un avocat lors de cette procédure. L'Assemblée nationale a également durci les peines encourues par les auteurs d'outrages sexistes, notamment de harcèlement de rue.

Pour l'heure, les associations féministes se désolent des "classements sans suite et peines dérisoires" décidées par la justice et fustigent les "procès-bâillon" intentés par "des hommes puissants, connus, accusés de viol", qui attaquent en diffamation leurs accusatrices pour les "réduire au silence". Pour lutter contre les violences, elles réclament un budget public de deux milliards d'euros par an, mais aussi une "loi-cadre" qui instaurerait notamment des "brigades et juridictions spécialisées", une aide financière pour la "mise en sûreté" des femmes victimes, 15 000 places d'hébergement supplémentaires dédiées, ou encore le renforcement de l'éducation à la vie sexuelle et affective à l'école.

Interrogée sur ces revendications, la ministre chargée de l'égalité hommes/femmes, Isabelle Rome, a rappelé sur RMC qu'elle était ouverte à la mise en place d'une police et d'une justice spécialisées, sujet sur lequel planche une mission parlementaire. Quant aux moyens financiers, "ils n'ont cessé d'augmenter", pour atteindre "un montant global de 2,4 milliards" d'euros, a-t-elle observé, reconnaissant que ces sommes ne sont "pas spécifiquement" dédiées à la lutte contre les violences, mais incluent des champs plus larges, comme l'éducation et "l'égalité économique".

L'affaire Quatennens : un "signal d'impunité"

A Paris, le cortège partira à 14 heures de la place de la République et rejoindra celle de la Nation. Des manifestations sont également prévues à Marseille, Nice, Toulouse, Lille, Strasbourg, Rennes, Nancy ou Dijon, notamment.

En 2021, la mobilisation – organisée en amont du 25 novembre, date de la journée mondiale de lutte contre les violences à l'égard des femmes – avait rassemblé 50 000 personnes à Paris selon les organisateurs, et 18 000 selon la préfecture de police.

Un an après, l'exaspération des organisations féministes est toujours aussi vive, alimentée par le nombre élevé de féminicides – déjà 100 depuis le début de l'année d'après un collectif associatif, contre 122 l'an dernier selon les chiffres officiels -, et par la frilosité du monde politique à écarter certains responsables accusés de violences envers les femmes. 

Comme le député LFI Adrien Quatennens, qui a reconnu des violences conjugales, mais a été défendu par Jean-Luc Mélenchon, et dont le parti tente de planifier un retour à l'Assemblée nationale. Défendre les responsables politiques mis en cause dans de tels cas envoie "un signal d'impunité à toute la société", déplorent les militantes dans leur appel.

Les femmes ont toujours parlé, mais elles ne sont pas écoutées.
Maëlle Noi, militante #NousToutes

Les faits dénoncés sont pourtant de plus en plus nombreux : entre 2017 et 2021, le nombre de viols ou tentatives de viols enregistrés par le ministère de l'Intérieur a doublé, passant de 16 900 à 34 300. Les victimes ont davantage tendance à dénoncer des faits anciens, explique le ministère, qui y voit aussi le signe de la "libération de la parole".

Une expression qui exaspère désormais les associations, car "les femmes ont toujours parlé, mais elles ne sont pas écoutées", pointe Maëlle Noir. Pour Anne-Cécile Mailfert, la présidente de la Fondation des femmes, depuis "MeToo" les pouvoirs publics ont "surtout défendu la présomption d'innocence, plutôt que la lutte contre l'impunité, qui s'est empirée depuis cinq ans".