Fil d'Ariane
La revanche des rondes. Ainsi pourrait-on rebaptiser le défilé d'Ester Manas lors de la Fashion week 2022 à Paris.
"Les femmes rondes n'ont plus de mal à exister", estime la créatrice belge, connue pour ses robes à taille unique avec pour simple principe celui d'aller à tout le monde.
Des formes généreuses, des poignées d'amour, des tailles dénudées aux contours allant bien au-delà des normes imposées par les maisons de haute couture ou de prêt à porter classiques. Ses modèles détonnent au royaume de la maigreur (et cela malgré des lois) et affichent haut en rondeurs qu'elles aussi, celles qu'on désigne par le terme "grande taille", ont bel et bien gagné leur place sur le catwalk.
[Notre collection 'Summer Body' vient de défiler ; maintenant, vous savez tous ce que vous voudrez porter cet été 'Sunset Body' était un défilé très important pour nous, notre collection était deux fois plus fournie que la précédente, faite avec l'aide de l'équipe la plus généreuse et la plus talentueuse de tous les temps.]
La collection sensuelle printemps-été 2023 dévoile la peau et les courbes: "C'est l'ADN de la maison, soyons clairs", commente la créatrice.
Baptisée "Sunset body" ("Corps au coucher du soleil"), c'est une réflexion sur le fameux "summer body", celui qui s'affiche à la Une de la presse féminine à chaque printemps, ce corps qui se doit d'adopter la ligne la plus parfaite possible, celle qu'on est censé afficher pour aller à la plage, à force de régimes et de sport.
"La collection est partie du fait que beaucoup de femmes ont une obsession un peu ridicule, qui est le 'summer body'. On s'est posé la question : 'C'est quoi ? Le corps dans lequel on va s'aimer le mieux'", explique la créatrice lors de son défilé au Palais de Tokyo, le 1er octobre 2022.
Les robes "seconde peau" sont taille unique et extensibles. C'est la marque de fabrique du duo composé d'Ester Manas et Balthazar Delepierre, demi-finalistes du Prix LVMH en 2020 et vainqueurs du prix Galeries Lafayette au Festival international de Hyères en 2018 pour leur collection "Big Again". Ester Manas est considérée comme une pionnière de l'inclusivité dans l'industrie de la mode. Fondée en 2019 par la créatrice et son acolyte Balthazar Delepierre, la marque conçoit des collections audacieuses, inspiré par l'émancipation des femmes et l'élan de sororité.
Pourquoi avoir choisi un tel parti pris ? Dans le magazine Vogue, Ester explique qu'elle-même se sentait frustrée de ne pas trouver de vêtements à sa taille. Et puis, un jour, avec son compagnon à la ville, Balthazar, elle découvre dans un catalogue d'Ikea, le modèle d'une table à rallonge, et se dit "C'est ce que nous devons faire, mais avec les vêtements!”.
Robes de soirée, maillots de bain très échancrés et robes de mariée sexy, la palette copie celle du coucher du soleil, vibrant avec le rose, l'orange, le violet ou la lavande. Les tenues sont ornées de volants et de froufrous, histoire de "faire des vagues" et surtout se faire remarquer et affirmer : "J'existe".
Le duo créatif imagine des pièces durables et socialement responsables ; pour celà, ils choisissent d'utiliser des stocks de tissus dormants lors de l’élaboration de chacune de leurs collections. Lors de leur dernier show, 80 % des modèles étaient réalisés à partir de matériaux recyclés et/ou invendus.
Venu des pays anglo-saxons, le mouvement "body positive", qui lutte contre les normes stéréotypées, gagne pas à pas du terrain en France et arrive à s'immiscer sur les podiums des grandes maisons de couture. La mannequin star américaine ronde Ashley Graham a ainsi défilé pour Balmain en mini-robe. Mais la visibilité des femmes rondes et extra rondes reste encore au niveau de micro dose, malgré une tendance au "XXLwashing", manière de se racheter une bonne conduite chez les créateurs et les stylistes des magazines de mode.
"Avec les réseaux sociaux, il y a une prise de pouvoir des femmes rondes là où elles étaient solitaires avant. Il y a une communauté immense qui est en train de se créer, où elles peuvent discuter entre elles et s'affirmer", souligne Ester Manas. "Il y a quelque chose de très rassurant dedans. Etant donné que les clientes, les filles dans la rue, ont envie de ça, la mode doit se plier", ajoute-t-elle, même si son défilé fait encore aujourd'hui figure d'exception.
"C'est un immense défilé et je suis heureuse d'en faire partie, a confié à l'AFP la mannequin britannique Alva Claire dans les coulisses. Regardez ce casting, c'est l'avenir de la mode" !
Les rondes "existent, mais pas forcément dans le luxe où il est un peu difficile d'avoir accès à de belles choses quand on est 'grande taille'. C'est ce qu'on essaie de changer". La styliste est pour la "démocratisation totale" de la mode, qu'elle juge trop "élitiste". "Les femmes minces achètent aussi chez nous, le but est qu'on soit toutes à la même table", conclut Ester Manas.