Exit la taille 32. Les mannequins de moins 16 ans interdites de podiums et de publicités. Deux grands géants français de la mode en font la promesse, via une charte dite de "bonne conduite". Coup de pub ou signe d'un réel changement des mentalités dans un secteur souvent critiqué et bien loin des réalités ?
De bonnes relations de travail et du bien-être. C'est en tout cas, la promesse faite sur le papier de cette charte "sur les relations de travail et le bien-être des mannequins" adoptée, début septembre 2017, à la veille des défilés new-yorkais.
Sur le papier toujours, ces engagements sont censés s'appliquer immédiatement dans le monde entier, que ce soit lors des séances photos pour des campagnes publicitaires et pendant les défilés de mode. Quels sont les signataires ? Que du beau monde, les plus grandes marques appartenant à ces deux géants français que sont le groupe Kerin (Gucci, Bottega Veneta, Saint Laurent, Balenciaga, Alexander McQueen, Christopher Kane, Stella McCartney), et LVMH (Dior, Vuitton, Givenchy, Céline, Kenzo, Fendi, Loewe, Berluti, Pucci, Marc Jacobs et Loro Piana).
"Nous voulions aller vite et frapper fort, pour que les choses bougent vraiment, et essayer d'inciter au maximum les autres acteurs de la profession à nous suivre", a déclaré à l'AFP le PDG de Kering, François-Henri Pinault. Côté LVMH, Antoine Arnault, membre du conseil d'administration et fils du PDG Bernard Arnault, salue une charte qui "change vraiment la donne".
En première lecture, on constate que ces engagements vont au-delà des dispositions légales sur l'emploi des mannequins entrées en vigueur en France en mai 2017. La charte requiert ainsi la présentation d'un certificat médical datant de moins de six mois, tandis que la loi prévoit que ce certificat -prenant notamment en compte l'indice de masse corporelle (IMC) du mannequin-, peut remonter jusqu'à deux ans.
Après moulte polémiques sur la maigreur, voire l'extrême maigreur, des mannequins, ces marques s'engagent à bannir les tailles les plus petites, inférieures au 34 (taille française) pour les femmes et 44 pour les hommes.
Beaucoup de gens ne connaissent même pas l'existence de la taille 32 Antoine Arnault
"Beaucoup de gens ne connaissent même pas l'existence de la taille 32", a reconnu Antoine Arnault, lui-même marié à l'ex-top model russe Natalia Vodianova. "Mais un certain nombre de créateurs faisaient faire leurs prototypes en 32. C'est maintenant terminé, les tailles seront désormais à partir du 34, ce qui est déjà assez petit", a-t-il dit à l'AFP.
Autre engagement, sur la jeunesse, voire l'extrême jeunesse, des mannequins. Interdiction désormais d'embaucher des jeunes filles de moins de 16 ans pour des vêtements destinés à des adultes. Là aussi, les critiques ont été nombreuses par le passé et c'est encore valable aujourd'hui pour l'âge de ces modèles sur papier glacé ou défilant sur les podiums, parfois pré-pubères, transformées en femmes fatales et hyper-sexualisées (voire pornographiées).
Mannequins : mettre un terme aux "traitements sadiques"
Enfin, cette charte veut aussi instaurer une ligne de bonne conduite sur les conditions de travail, souhaitant encadrer les plus jeunes (16 à 18 ans), et les "
situations de nudité ou semi-nudité". Elle prévoit aussi qu'ils aient "
accès à une nourriture et à des boissons adaptées à leurs besoins alimentaires".
En février dernier, lors de la Fashion week (semaine de la mode) parisienne, un directeur de casting américain de grande renommée avait dit tout haut ce que beaucoup dénoncent mais en silence. Dans un post publié sur son compte instagram, James Scully avait mis en cause les conditions d'un casting où les jeunes filles avaient du attendre des heures dans un escalier, debout, dans le noir, avec pour seule lumière l'écran de leurs portables, et bien-sur, sans pouvoir manger. Il avait accusé ceux qui organisaient ce casting de "
traitement sadique", n'hésitant pas à publier le nom de la maison qui recrutait les mannequins, en l'occurence Balenciaga.
« Comme à leur habitude, ils sont partis déjeuner et ont éteint les lumières des escaliers (…) ; les filles ne pouvaient s’éclairer qu’avec la lumière de leurs portables. Ce n’était pas seulement sadique et cruel, mais dangereux. Plusieurs des filles avec qui j’en ai parlé ont été traumatisées. », peut-on lire sur ce post.
James Scully avait alors reçu plus d'un millier de commentaires de remerciements de la part de jeunes femmes n'ayant jamais osé s'exprimer à ce sujet, soulagées que leurs bourreaux aient été dénoncés. Les deux directeurs du casting incriminés avaient été licenciés dans les jours qui avaient suivi le scandale.
C'est le même James Scully qui a tenu à remercier début septembre 2017 les deux patrons des groupes signataires de la charte qui l'avaient consulté afin de mettre en place ces règles de "
bien-être" pour les top modèles.
Un pas en avant ou hypocrisie ?
Voici donc des règles, mais qui pour veiller à leur bonne application ? Les deux groupes, qui représentent près de 15% des ventes de produits de luxe dans le monde, ont mis en place un comité de suivi commun.
"Les PDG des marques de mon groupe vont veiller à ce que les mesures soient appliquées partout. Une marque qui ne conformerait pas à la charte devrait me rendre des comptes", a averti François-Henri Pinault.
Fortement médiatisée, l'annonce de cette charte a reçu un accueil plutôt favorable de la part de ce sanctuaire qu'est le monde de la mode, mais la date choisie, une semaine avant la célèbre New York Fashion week, peut aussi laisser penser à un joli coup de pub.
Personne ne veut voir défiler des grosses ! Karl Lagerfeld
Pour mémoire, les voix n'étaient pourtant pas si nombreuses pour dénoncer la polémique provoquée il y a quelques années par Karl Lagerfeld. Le couturier écrivait dans un ouvrage paru en 2013 :
"ce sont les grosses bonnes femmes assises avec leur paquet de chips devant la télévision qui disent que les mannequins minces sont hideux. La mode, c'est le rêve et l'illusion". Des propos plusieurs fois réïtérés sur des plateaux télé, où il estimait que
"personne n'avait envie de voir des grosses sur les podiums". Ce dernier n'a cependant pas commenté à ce jour l'annonce de cette nouvelle charte.
Une taille 34 reste beaucoup trop maigre pour 1 m 80
Victoire Maçon Dauxerre
Quelques nuances néammoins. L'ancienne mannequin Victoire Maçon Dauxerre juge cette charte intéressante
« même si une taille 34 reste beaucoup trop maigre pour 1,80 mètre », rapporte l’AFP.
L'ex top model avait dénoncé le diktat de la maigreur dans un livre en 2016 "
Jamais assez maigre", ce qui lui avait valu de faire la couverture de
Time magazine, cette fois pas au nom d'une marque de vêtement, mais pour son combat contre la maltraitance dont sont victimes les mannequins.
En France, 0,7% des femmes font du 34, selon une étude publiée en 2016, par la Fédération du prêt-à-porter féminin.
"La loi santé a introduit un plancher de 17 pour l’IMC des mannequins. Mais cela correspond à 55 kilos pour 1 mètre 80, à peine plus que le seuil de l’anorexie et de la dénutrition, fixé à 16,5 selon l’OMS", s'insurge un certain Laurent Herblay, qui tient un blog politique sur le
site Agoravox, et qui conclut son billet ainsi :
"Avec de telles règles, les défilés continueront à être des ballets de sauterelles affamées".
Le 5 mai 2017, la France adoptait un
décret concernant les photographies sur lesquelles les mannequins apparaissent, stipulant qu'il sera obligatoire d'accompagner les photographies à usage commercial "
de la mention photographie retouchée lorsque l'apparence corporelle des mannequins a été modifiée par un logiciel de traitement d'image, pour affiner ou épaissir leur silhouette". Ce décret entre en vigueur le 1er octobre.
La France cherche ainsi à rattraper son retard sur d'autres pays. Exemple en Israël, qui a voté dès 2012 une loi baptisée "Photoshop". Elle interdit de présenter une publicité avec un mannequin qui a l'air trop maigre, d'engager comme mannequin une personne trop maigre (avec un IMC inférieur à 18,5) et d'utiliser un logiciel de retouche pour montrer un mannequin plus mince que dans la réalité sans le préciser. Des lois similaires existent aussi en Italie, au Chili et en Belgique.
Des mannequins différents ?
Décidemment plein de bonnes intentions, Antoine Arnault a aussi évoqué lors de la publication de cette charte de bonne conduite la question de la diversité des mannequins, précisant qu'il souhaitait dans l'avenir "avancer vite" sur ce terrain.
« Plusieurs agents, dont certains sont noirs, m’ont dit qu’ils ont reçu pour ordre de Lanvin de ne pas leur présenter de femmes de couleur », dénonçait dans son post le directeur de casting cité plus haut.
Des mannequins, maigres donc, et aussi en grande majorité blanches
Hormis quelques top modèles noires célébrissimes, Katoucha Niane (égérie d’Yves Saint Laurent pendant 18 ans) ou Naomie Campbell dans les années 1990, le milieu de la mode reste "peu" représentatif de la diversité mondiale. Après une tendance amorcée dans les années 1970, Jean-Paul Gaultier avait à sa manière bien à lui, ouvert ses podiums à des mannequins, professionnels ou non, issues de communautés invisibles jusqu'à présent lors des défilés. Dans la publicité, l'Italien Oliviero Toscani en avait fait aussi sa marque de fabrique à travers ses campagnes "multicolores" de United colors for Benetton.
Plusieurs campagnes ont été lancées ces dernières années pour inviter les grandes marques à plus de diversité. Avec le mot dièse #iamallwoman, le top français grande taille Clémentine Desseaux et le mannequin britannique Charli Howard ont lancé
@AllWomenproject pour "
changer la perception globale de la beauté féminine et montrer qu'une femme peut être belle à n'importe quel âge, couleur et style". Dans une vidéo publiée en août 2016, les deux jeunes femmes avaient réuni onze mannequins pour un shooting photo en maillot, réalisé sans retouche.
Autre initiative, celle de Colored Girl Project qui publie des photos sur lesquelles posent des mannequins aux différentes couleurs de peau.
Parmi ces tops, Khoudia Diop, (la troisième en partant de la gauche ndlr). Cette jeune femme sénégalaise crée le buzz sur Internet depuis quelques semaines pour sa couleur de peau extrêmement sombre, ce qui reste encore rare chez les mannequins.
Gros buzz également pour le mannequin Chantelle Winnie, moquée lorsqu’elle était adolescente à cause de sa maladie, le vitiligo –une maladie de peau rare provoquant une dépigmentation de l’épiderme.
Coiffées d'un foulard ou de cheveux gris
Que penser aussi du succès de celle que toutes les grandes marques s'arrachent, l'Américano-somalienne Halima Aden ? Cette jeune femme de 19 ans, née dans un camp de réfugiés au Kenya, bouscule les codes en posant avec son hidjab. Elle a été reperée lors de sa participation au concours de Miss Minnesota, au moment de la séquence maillot de bain, elle s'était présentée en burkini. Aujourd'hui, les médias la présente comme la nouvelle reine des podiums.
Autre signe que les lignes bougent, ce succès incroyable et récent de celle qui se décrit ainsi sur son compte Instagram, "modèle depuis 5 décennies", Maye Musk, mannequin presque septuagénaire (69 ans). Il y a quelques jours encore, celle que certains médias aiment appeller "la grand-mère glamour" défilait sous les flashes des photographes de la Fashion Week à New York et faisait la Une de l'illustre magasine Vogue.
Alors qu'elle a démarré le mannequinat à 15 ans, ce n'est qu'aujourd'hui qu'elle rencontre la gloire. Interrogé par le
Daily Mail sur la question des mannequins âgés dans l'industrie de la mode, cette maman de 3 enfants et aux 10 petits-enfants répond :
« Les gens nous adorent. Je crois que les créateurs sont en train de s'en rendre compte... Ils veulent montrer qu'il y a de la diversité et qu'ils aiment les femmes mûres et pourquoi pas ? Tout le monde a une mère et une grand-mère. »
Hasard des dates, dans un entretien accordé au quotidien Les Echos le 7 septembre 2017, la philosophe française Cynthia Fleury remarquait, sévère : "Les images renvoyées par la publicité sont d'une pauvreté et d'un stéréotypage confondants. Mais il faut voir qui est derrière. Au fond, les marques sont extraordinairement conservatrices. Elles ont fonctionné longtemps avec le vieux cliché de la femme sous tutelle, objet de désir cantonné à l'univers domestique, et elles ont peur de rompre avec ce cliché. Leur conservatisme est désopilant."