Modes et injonctions : l'habit ne fait pas l'adolescente

En cette post-ère #Metoo, la manière dont une femme s'habille reste toujours un enjeu et matière à commentaire voire harcèlement. Particulièrement visées, les adolescentes. De Los Angeles en passant par Lausanne, les jeunes filles subissent au quotidien réflexions voire insultes, restrictions et sanctions à cause de leur tenue à l’école.
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©roseaposey
Il y a quelques années, cette image avait fait le buzz sur les réseaux sociaux, elle a été réalisée par une jeune blogueuse militante américaine Rosea Posey, et publiée avec ce slogan #MyChoicenotyours (Mon choix, pas le tien). Sur la cuisse, on peut lire, de bas en haut, traduit en français "effrontée", "provocante", "tu n'as plus qu'à demander", "salope", "pute".
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Les adolescentes sont régulièrement victimes de critiques voire de harcèlement à l'école en raison de leur tenue.
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Le 2 avril 2018, Lizzy Martinez, 17 ans, se rend à son collège de Floride sans soutien-gorge. Mais le tissu épais de son tee-shirt sportif anthracite Calvin Klein, coupe évasée, manches longues et col ras du cou, ne le laisse pas vraiment deviner au regard du selfie qu’elle a mis en ligne. L’étudiante est pourtant convoquée chez le doyen, qui lui assène que ses «tétons distraient les garçons de la classe».

Le port du soutien-gorge a beau n’être exigé nulle part dans le règlement, l’adolescente est envoyée à l’infirmerie, où on lui demande de coller des pansements sur ses mamelons, enfiler un deuxième tee-shirt, puis sautiller pour étudier les mouvements de sa poitrine… Une humiliation racontée sur Twitter: «En gros, mon école m’a dit que l’éducation des garçons est beaucoup plus importante que la mienne et que je devrais avoir honte de mon corps.»
 
En septembre 2018, c’est une mère française qui s’offusquait sur la plateforme, photo à l’appui, du sort infligé à sa fille de 11 ans, à cause d’un short en jean pourtant ample sur ses jambes fluettes: «Ma fille vient de rentrer du collège avec un jean dégueulasse et qui pue parce que la CPE (conseillère principale d’éducation, ndlr) l’a obligée à se changer car elle portait un short et que ça excite les garçons. Je suis dans une colère noire! Quand allons-nous éduquer les garçons et arrêter de brimer les filles?»
 

«Une adolescente sur deux est insultée à cause de ses vêtements»

Des témoignages du même genre fleurissent aussi sur le compte Twitter «Paye ton bahut», qui recense «toutes les formes de sexisme subies à l’école», alors que la notion de «tenue correcte» reste à l’appréciation de chaque établissement scolaire: short jugé licencieux ici, décolleté interdit là, voire répression de la moindre bretelle de soutien-gorge dépassant ingénument d’un t-shirt…

À force, ces restrictions frappent les collégiennes d’une véritable «charge mentale» selon le rapport «Inégalités femmes-hommes, ça commence dès l’enfance», publié cet hiver par l’Unicef: les jeunes filles cherchant à «éviter à la fois d’être cataloguées comme une «fille qui cherche ça» et de porter une tenue ne correspondant pas aux critères attendus de la féminité» selon les mots de l’enquête.
 

Et tandis que 19% des adolescentes de 15 à 18 ans se disent discriminées au collège en raison de leur tenue, Edith Maruéjouls, géographe du genre et coauteure du rapport, dénonce «l’environnement schizophrène et malsain» dans lequel les filles d’aujourd’hui apprennent à grandir: «D’un côté, on placarde des femmes nues partout et l’on trouve des tee-shirts Belle comme maman au rayon bébé, ce qui amène les filles à chercher très tôt leur place vis-à-vis de ces attentes sur la féminité, de l’autre, on leur dit dès 12 ans qu’elles sont provocantes. La charge mentale, c’est une quête de l’impossible tenue. Tandis qu’une adolescente sur deux confie être insultée à cause de ses vêtements, on lui dit encore, toujours, de surveiller la longueur de sa jupe. Et ça ne la protège même pas puisque l’on sait pertinemment qu’il n’existe aucun lien entre les agressions sexuelles et la tenue! Pire, ce discours légitime les agressions, renvoyant en miroir aux garçons qu’ils sont des agresseurs potentiels… Et pour le moment, on laisse les ados se débrouiller seuls avec ce message.»
 

Lutter contre la propagation des stéréotypes sexistes

Ludmila, Genevoise de 14 ans, l’admet volontiers: «Chaque matin, à l’ouverture de mon armoire et mes tiroirs, un dilemme s’offre à moi. Si je me couvre trop, ce sera «sainte-nitouche» ou «frigide». Une tenue un peu trop légère, et on se sera vite fait sanctionner par les professeurs et étiqueter de «pute» par les élèves.» Et de noter que «la décence est quelque chose de subjectif. Pensez aux années où les femmes ont abandonné le corset, ont dévoilé leurs chevilles, ont coupé leurs cheveux à la garçonne. Il y avait déjà à cette époque-là des gens disant que c’était indécent. Des hommes qui avaient peur que leur épouse ne leur échappe en se libérant des carcans de la société, mais aussi des femmes, comme aujourd’hui, qui jugent que toute apparition pourrait leur faire de l’ombre. Peut-être que dans 100 ans aussi, on se moquera de ceux qui trouvent aujourd’hui les tenues de certaines «indécentes».

Ophélia, 17 ans, scolarisée au collège Claparède, à Genève, confie s’imposer elle-même «des restrictions vestimentaires, parce que sinon, et même si le règlement est souple, il y a des regards qui m’énervent. Il serait temps d’aborder toutes ces questions en classe, notamment l’injonction faite aux femmes d’être sexy, parce que même nous, les filles, sommes conditionnées à regarder le corps des femmes comme un homme le ferait. Nous sommes dans une société tellement sexiste que ça vient naturellement. C’est désolant.»

Le Bureau de la promotion de l’égalité entre femmes et hommes et de la prévention des violences domestiques (BPEV) prend d’ailleurs le sujet à bras-le-corps. En septembre, il a distribué aux professionnels qui encadrent les enfants et les jeunes un guide très complet de prévention «destiné à lutter contre la propagation des stéréotypes sexistes et à prévenir les actes de violence qui peuvent en découler».

Certains accusent toujours des filles de 12 ans d’être en demande de sexualité quand elles portent un short, alors que c’est l’âge où elles commencent à subir le harcèlement de rue. Il est temps de rappeler à tous qu’aucune tenue ne justifie une agression.
Edith Maruéjouls, géographe du genre et coauteure du rapport de l’UNICEF

Colette Fry, directrice du BPEV, salue son succès: «Il a fallu le réimprimer. Pour promouvoir un environnement de respect, nous préparons aussi des ateliers qui s’adresseront aux parents et aux jeunes, et l’année prochaine, nous produirons des clips sur les violences sexistes. Parce que derrière cette éternelle condamnation de la tenue féminine se cache la question de la place des femmes dans l’espace public.»

Edith Maruéjouls, qui travaille pour la mise en œuvre d’une politique d’égalité auprès des collèges français, rêve d’ailleurs de voir «cette question de la décence enfin débattue collectivement dans l’espace scolaire, car pour le moment, certains accusent toujours des filles de 12 ans d’être en demande de sexualité quand elles portent un short, alors que c’est l’âge où elles commencent à subir le harcèlement de rue. Il est temps de rappeler à tous qu’aucune tenue ne justifie une agression.»

Article original de Julie Rambal publié sur le site le Temps :
>«Comment je m’habille?»: ces injonctions contradictoires qui pèsent sur les adolescentes