Le monologue intérieur de Molly Bloom est la dix-huitième et dernière partie du roman Ulysse de l'Irlandais James Joyce. Un point d’orgue en forme de texte fleuve, composé de 25 000 mots divisés en huit blocs. Pour imiter la pensée de cette femme, inspirée de son épouse Nora Barnacle, James Joyce a écrit le passage sans ponctuation. Une difficulté pour les acteurs/trices, mais aussi une liberté qui ouvre grand le champ des possibles interprétations.
Molly Bloom a quarante ans, elle a connu des joies et des chagrins, elle a des regrets, des fantasmes, des opinions qu’elle exprime pèle mêle en images et souvenirs qui tissent la trame de sa vie. Cécile Morel interprète ce texte tous les soirs, ou presque, au théâtre de l’Adresse d’Avignon du 7 au 30 juillet. En prime, les 8 et 25 juillet, le spectacle se prolonge par une rencontre avec des militantes féministes à laquelle sont convié(e)s tous les spectateurs/trices !
Avec Terriennes, Cécile Morel évoque son personnage et la résonnance qu’il trouve en elle et en nous.
Qui est Molly Bloom que vous incarnez sur scène ?
Dans le roman Ulysse de James Joyce, Molly est la femme de Leopold Bloom, le héros, qui représente un nouvel Ulysse, en errance dans les rues de Dublin. Molly, elle, représente donc Pénélope – une Pénélope moins chaste que l’originale.

Pour camper le personnage de Molly, James Joyce s’est beaucoup inspiré de sa propre femme, Nora Barnacle. C’est elle qui écrivait des textes sans ponctuation, comme le dernier chapitre de Ulysse. Joyce prenait des notes quand sa femme parlait – avec ses cousines dans la cuisine, par exemple. "Ca me déplairait pas d’être un homme," dit-elle dans le spectacle. Or Nora Barnacle s’habillait en homme, quand elle était jeune, pour sortir à Dublin.
Beaucoup de choses sont autobiographiques, aussi, à la fois dans le personnage et dans leur histoire, comme la perte d’un enfant, qu’ils ont vécue, ou tout ce qui a trait au chant. Joyce avait une très belle voix de ténor, il a fait des concerts, reçu des médailles et le chant a toujours été très présent dans sa vie. Dans Ulysse, c’est Molly Bloom qui est une artiste, une soprano qui chante avec des choeurs. Sauf que cela fait un an qu’elle n’est pas retournée sur scène.
L’âge arrive, aussi. Elle en parle ?
Oui, et c’est pour ça qu’elle est si créative. C’est une femme qui cherche à rester vivante. Quelque chose s’est éteint en elle - l’amour, les rencontres, son couple, la trahison. Et pourtant, elle cherche à maintenir la flamme. Le texte de Joyce est assez sinueux, confus. Il est parfois difficile de savoir qui est qui. C’est un flux d’idées et d’impressions où le présent affleure le passé, et l’universel, l’intime.
Parmi les retours de femmes que j’ai à l’issue du spectacle, j’entends souvent : "C’est exactement ce que je ressens , ce que je pense." Comme quand Molly dit du sexe : "Ils veulent tout faire trop vite, ça enlève tout le plaisir." Des choses très simples, parfois très crues, concrètes, pragmatiques, sans être vulgaires. Il n’y a aucune perversion ni même pornographie dans sa manière d’appréhender la sexualité. "Si c’était tout le mal qu’on faisait dans cette vallée de larmes. Est-ce que tout le monde le fait pas ? Mais si tout le monde le fait, mais tout le monde le cache... Est-ce que c’est pas naturel ? Mais bien sûr que c’est naturel," dit-elle.
Il y a aussi chez elle quelque chose de spirituel qui est presque sur le même plan que la sexualité. Quelque chose de très terrien, incarné dans sa manière d’évoquer Dieu. Je pense que ces valeurs-là sont très répandues chez les femmes.