Les Druzes sont à part : à part de l'islam, leur religion, qui ne les reconnaît pas en raison de leur hétérodoxie ; à part des pays, Liban, Syrie et Israël où ils vivent, même s'ils sont loyalistes aux Etats dont ils sont citoyens. Rania Fadel est une jeune Druze Israélienne, native du petit village de Maghar, à l'extrémité nord-est de la Galilée. Ni vraiment israélienne, ni palestinienne... Très engagée dans diverses associations druzes, elle est aujourd’hui également membre des Yala Young Leaders, un forum de jeunes pacifistes, sur le blog desquels elle exprime cet entre-deux qui fait d'elle une jeune femme à part...
“J’ai toujours pensé, je pense et je penserai toujours que porter ou ne pas porter le voile ou tout autre symbole religieux est une décision personnelle qui doit être respectée. Mais...“
J’ai hésité pendant longtemps avant d’écrire ce texte, parce que j’ai pensé qu’il pourrait peut-être offenser les pratiquants et pratiquantes, que je respecte profondément. Mais il fallait que je l’écrive. Alors voilà. J’ai une très bonne amie, belle, brillante, très instruite. Il y a quelque temps, je l’ai invitée à une fête. Lorsqu’elle est arrivée, je n’ai pu détacher mes yeux d’elle, captivée par son changement. C’était un petit changement, mais il l’avait transformée. Elle semblait plus heureuse que d’habitude, plus confiante et assurée, plus extravertie aussi. Elle rayonnait. A la fin de cette fête, j’ai demandé à une autre amie commune les raisons de ce changement. « L’a t-elle fait pour l’occasion, ou est-ce que c’est pour toujours ? », lui demandais-je. « Non, c’est juste pour la fête, m’a t-elle répondu. D’ailleurs, il faut voir, elle était absolument terrifiée avant de le faire, tout à l’heure avant de venir ! Elle se demandait ce que les gens allaient penser, comment ils allaient la regarder dorénavant elle et sa famille, et elle s’est même regardée plusieurs fois dans le miroir en se parlant à elle-même pour se donner du courage et se convaincre d’enlever son voile aujourd’hui ». Et mon amie de me raconter comment elle s’était répétée : « tu peux le faire, tu peux y arriver, tu as le droit de faire ce que tu veux de ton propre corps ». La peur sociale plus forte que la peur de Dieu J’ai toujours su qu’elle n’avait jamais vraiment aimé porter le voile. Elle m’avait même dit une fois que d’après Al-Azhar, la plus grande université islamique qui se trouve au Caire, il ne faisait pas partie de la religion islamique. Malgré le fait qu’elle était plutôt assez conservatrice, elle n’était donc pas du tout convaincue de la nécessité de le porter. Mais elle y avait été poussée par crainte d’être considérée comme une mauvaise fille. Elle pouvait avoir brillamment réussi et avoir un très bon poste, elle pouvait avoir une personnalité très forte et attachante, cela ne changeait rien : si elle ne portait pas le voile, elle serait jugée comme une mauvaise fille.
Rania Fadel, druze israélienne et membre des Yaya Young Leaders
Cet événement m’a rappelée une de mes cousines, qui appartient à une autre minorité religieuse : elle a aussi été forcée par son mari, lui-même influencé par la société, à couvrir ses cheveux. Et je me suis aussi souvenue de ma superbe amie juive haredi (« craignant Dieu », communauté juive ultra observante, ndlr) : elle est directrice générale d’une grande société mais doit encore se raser les cheveux, porter une perruque et mettre des vêtements longs. Et soudain j’ai réalisé que nous toutes, quelle que soit la religion à laquelle nous appartenons, somme obligées, au nom de la religion, de contrôler nos corps. Même si cela ne fait pas partie de nos religions. Parce que si nous osions faire différemment, on nous dirait « mais qui êtes vous pour faire autrement ? Qui êtes-vous pour oser défier la volonté de Dieu ? ». "Mens sana in corpore sano..." Et là je me dis, mais est-ce vraiment la volonté de Dieu ? Ou est-ce que ce sont les règles de nos sociétés qui tentent de contrôler nos vies au nom de Dieu ? Et comment se fait-il que dans une même religion il y ait alors plusieurs façons d’interpréter et de concevoir les choses, si la volonté de Dieu était aussi limpide ? Et pourquoi faudrait-il que les familles aient à souffrir des jugements d’une société qui penserait que le comportement de leur fille n’est pas assez correct, comme cela arrive souvent dans les sociétés traditionnelles ? J’ai toujours pensé, je pense et je penserai toujours que porter ou ne pas porter le voile ou tout autre symbole religieux est une décision personnelle qui doit être respectée. Je n’ai aucun problème avec les religions et leurs règles, et je soutiens toute femme qui décide en son âme et conscience, délibérément, de le porter. En revanche, j’ai un énorme problème avec les règles sociales qui non seulement tentent de limiter la liberté des femmes sans aucune raison valable. Et quand bien même ils en auraient, des raisons, cela ne justifierait pas leur droit à brimer la liberté des femmes. Parce mon corps appartient à moi seule, j’ai l’entière liberté d’en faire ce que je veux, sans que cela veuille dire que je suis une bonne ou mauvaise fille. Ce n’est pas la responsabilité de la société de me dire ce que je dois en faire, et ce que je dois faire tout court, et cela va de comment je dois m’habiller à quel futur ou quelle voie je me choisis. Ne dit-on pas : « un esprit sain dans un corps sain » ? Peut-être qu’il est temps de changer cette phrase et de dire : « un esprit libre dans un corps libre » ! Chère société, je te le dis : mon corps ne te regarde pas. Et tu sais quoi ? Ma relation avec Dieu non plus.
Le village druze de Maghar, au nord-est d'Israël - Wikicommons
Rania Fadel, note biographique
Rania Fadel est une jeune femme druze Israélienne, native du petit village de Maghar. Diplômée d’abord en biotechnologie, Rania enchaîne très vite des études de sciences politiques et de relations internationales, influencée par l’engagement militant de son père. Elle-même est, depuis son adolescence, très engagée dans diverses associations, notamment la plus grande fondation druze du pays dont elle a pris la présidence et au sein de laquelle elle est mobilisée sur les questions éducatives et d’égalité des genres. Elle représente aussi la communauté druze au sein du Forum Shimon Pérès pour la jeunesse, et au sein de plusieurs instances internationales. Elle est aujourd’hui également chargée de projets au sein du mouvement des Yala Young Leaders, un forum de jeunes qui cherchent à promouvoir la paix au Proche Orient et en Afrique du Nord.